
La vérification en bref :
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Depuis le 30 juin, une vidéo virale sur X montre des bulletins légèrement troués du candidat du Rassemblement national Michel Guiniot dans la 6e circonscription de l'Oise. Des internautes y dénonçaient une "fraude électorale", et affirmaient que ces bulletins allaient être considérés comme nuls.
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La préfecture de l'Oise a toutefois indiqué aux Observateurs que la commission locale de recensement des votes, qui s'assure de la bonne tenue des scrutins, avait été alertée en amont afin "d'éviter tout risque de non prise en compte d'un vote lors des opérations électorales".
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La préfecture a aussi indiqué que les bulletins de vote disponibles dans les bureaux de vote de la circonscription ne présentaient par ailleurs aucune anomalie.
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Selon les résultats officiels, 0,7 % des votes ont été déclarés nuls, soit un pourcentage inférieur à la moyenne nationale (0,81 %). Michel Guiniot a lui terminé premier de loin avec 47,88 % des suffrages.
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Ce cas rappelle des bulletins déchirés de la candidate Marine Le Pen lors de l'élection présidentielle de 2022. A l'époque, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l'élection présidentielle (CNCCEP) avait indiqué aux Observateurs que "la très légère déchirure présente sur le bord des bulletins en cause ne constitu[ait] pas, en toute hypothèse, une cause de nullité".
La vérification en détails :
Des bulletins de vote d'un candidat du Rassemblement national comptabilisés comme nuls à cause de petits trous ? Dans la journée du 30 juin, de nombreux internautes sur X et Facebook ont dénoncé une "fraude électorale" contre le candidat du Rassemblement national (RN) dans la sixième circonscription de l'Oise, Michel Guiniot.
"Des bulletins de vote RN ont été troués pour rendre les votes nuls", a notamment déclaré le compte X Réalité actuelle, dans un post vu plus de 500 000 fois. Le compte, proche du Rassemblement national, a partagé le jour du vote une vidéo d'une vingtaine de secondes dans laquelle une personne se filmait chez elle avec plusieurs bulletins envoyés aux électeurs du candidat du RN légèrement troués.

La séquence a aussi été relayée par le média proche du Rassemblement national Frontières (ex-Livre Noir) dans un post sur X vu plus de 2 millions de fois et mentionnant des "bulletins RN [...] troués dans la 6ème circonscription de l’Oise".
Sur Facebook, plusieurs internautes ont dénoncé une "fraude électorale en cours" à partir de cette vidéo, estimant que ces bulletins avaient été "volontairement" troués.
Une alerte dès le 27 juin
Que sait-on de ces bulletins troués ? En réalité, le candidat et ex-député Michel Guiniot avait déjà lui-même dénoncé le "sabotage" de bulletins de vote à son nom dès le 27 juin.
Ce dernier avait publié des photos de plusieurs de ces bulletins envoyés par la Poste et reçus au domicile de citoyens de la circonscription avec des trous similaires, sur son compte X.
⚠️ Sabotage de mes bulletins de vote !
🚨 Les bulletins de vote "Michel Guiniot" envoyés dans les blisters distribués par la Poste ont été perforés volontairement pour les rendre nuls !
➡️ Si vous le constatez aussi, prévenez-moi immédiatement en commentaire de ce post.
(1/3) pic.twitter.com/iCLvYbPDdu
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Accepter Gérer mes choixLe candidat s'inquiétait notamment du fait que ces bulletins puissent être considérés comme nuls, alors que l'article L66 du code électoral dispose que "les bulletins écrits sur papier de couleur, les bulletins ou enveloppes portant des signes intérieurs ou extérieurs de reconnaissance" sont considérés comme nuls lors du dépouillement.
"Les bulletins de vote 'Michel Guiniot' envoyés dans les blisters distribués par la Poste ont été perforés volontairement pour les rendre nuls !", avait-t-il déclaré, avant d'indiquer : "il ne faut pas utiliser ces bulletins mais prendre ceux mis à disposition dans votre bureau de vote, vérifier qu’ils ne sont ni perforés, ni détériorés mais en très bon état".
À la suite de ces déclarations, la préfecture de l'Oise avait indiqué que des investigations étaient en cours, comme l'écrivait le Courrier Picard le 27 juin.
Des bulletins sans anomalie dans les bureaux de vote
Contactée par les Observateurs, la préfecture de l'Oise a indiqué que "l'origine de ces détériorations" pouvait "relever en amont du travail de l'imprimeur (sollicité par chaque candidat), au cours de l’acheminement postal, ou au moment de l'ouverture des enveloppes".
La préfecture a par ailleurs souligné que les bulletins de vote visibles avaient été "transmis par voie postale". "Il ne s'agit pas des bulletins de vote qui sont acheminés et mis à disposition des électeurs dans les bureaux de vote, et pour lesquels aucune anomalie n'a été constatée à l'occasion du scrutin."
S'il est difficile de déterminer avec certitude d'où sont issus les bulletins visibles dans la vidéo, il semble tout de même qu'ils ne proviennent pas du bureau de vote. La personne, qui se filme chez elle, montre notamment un des courriers reçus avant l'élection.
Un impact très limité sur le résultat final
La préfecture a par ailleurs indiqué avoir alerté la commission locale de recensement des votes, dont l'une des missions est de vérifier les bulletins nuls et blancs, "afin d'éviter tout risque de non prise en compte d'un vote lors des opérations électorales, avec des électeurs qui choisiraient d'utiliser ce bulletin envoyé par voie postale et non celui mis à disposition dans chaque bureau de vote".
Au 1er juillet, la commission n'a toutefois pas encore communiqué sur la nature des votes considérés comme nuls dans la 6e circonscription de l'Oise.
Mais selon les chiffres du ministère de l'Intérieur, seuls 352 votes nuls ont été comptabilisés comme tel dans cette circonscription, soit 0,7 % des votants. Un chiffre plus faible que la moyenne nationale, qui est de 0,81 % au 1er tour.
Par ailleurs, le candidat du RN a fini largement en tête du 1er tour, avec 47,88 % des votes exprimés.

Des cas de bulletins abîmés…et validés
Ces bulletins troués auraient-ils toutefois été considérés comme nuls ? En théorie oui, selon l'article L66 du code électoral vu précédemment. "Mais il est difficile de déterminer si ces bulletins peuvent être considérés comme nuls ou non", nuance Romain Rambaud, professeur de droit public de l'Université Grenoble-Alpes et spécialiste de droit électoral aux Observateurs.
"Normalement, il ne faut pas de marques de reconnaissance. Un bulletin poinçonné pourrait ainsi être considéré comme nul car on serait capable d'y voir un signe de reconnaissance", indique-t-il.
Avant d'ajouter : "Mais en droit électoral, on ne raisonne jamais in abstracto. Le juge électoral est très pragmatique et tout dépend de l'impact de l'annulation des votes sur le résultat du scrutin. Si de nombreux bulletins avec le même défaut ont été considérés comme nuls, ils pourraient être potentiellement réintégrés".
"Il ne doit pas y avoir de caractéristiques distinctives dans les bulletins", indique de son côté Dominique Volut, avocat en droit électoral auprès des Observateurs. "Dans ce cadre-là, on pourrait considérer que ces bulletins troués seraient considérés comme nuls.
"Mais il faut aussi apprécier l'intentionnalité", estime-t-il. "Et tout dépend de la trace pour savoir si ces signes sont récurrents et significatifs. Le juge va ainsi déterminer s'il y a une sincérité électorale.
Ces dernières années, certains cas de bulletins détériorés avaient finalement été considérés comme valides. En 2022, des bulletins légèrement déchirés de la candidate du Rassemblement national à l'élection présidentielle Marine Le Pen avaient aussi été envoyés aux électeurs dans les semaines avant le scrutin.
A l'époque, la Commission nationale de contrôle de la campagne électorale en vue de l’élection présidentielle (CNCCEP), en charge du contrôle du scrutin, avait indiqué aux Observateurs que, "dans l’éventualité où le bulletin présent dans l'enveloppe présenterait un défaut, l'électeur aura toujours la faculté de prendre un nouveau bulletin qui sera à sa disposition dans son bureau de vote".
Même chose du côté du ministère de l'Intérieur, en charge de la tenue des élections à l'échelle nationale : l'instance avait indiqué à l'AFP Factuel qu'une telle marque ne devait "pas constituer une cause de nullité".
En mars 2021, le Conseil d'État était aussi revenu sur une décision d'annulation de deux bulletins lors des municipales de 2020 et avait indiqué qu'ils "ne pouvaient être déclarés nuls, dès lors que ces traces ne sont pas suffisantes pour être considérées comme des signes de reconnaissance, ainsi que l'ont jugé à bon droit les premiers juges."