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Législatives anticipées : le vote des jeunes convoité en vue du premier tour
Alors que plus d’un jeune sur deux a boudé les élections européennes, le vote des moins de 35 ans apparaît comme l’un des enjeux clés de la campagne législatives débutée lundi. Mais à qui pourrait profiter une éventuelle mobilisation de cet électorat le 30 juin ? La "jeunesse qui emmerde le Front national" ou la "génération Bardella" peut-elle faire basculer le scrutin ?

C'est une réserve de voix qui sera très convoitée ces prochains jours par tous les candidats. Les électeurs de moins de 35 ans, abstentionnistes à 60 % lors des européennes, vont faire l'objet de nombreuses attentions lors de la campagne des législatives, qui a officiellement débuté lundi 17 juin.

Alors que le Rassemblement national caracole en tête des sondages avec 35 % des intentions de vote, le nouveau Front populaire à gauche et le bloc centriste emmené par le Premier ministre, Gabriel Attal, espèrent contrer la dynamique du RN issue du scrutin européen. 

"Les jeunes étant la catégorie de la population qui s'abstient le plus, ce sera un enjeu fondamental pour tous les partis d'arriver à les mobiliser pour cette l'élection", explique l'historienne Valérie Igounet, spécialiste de l'extrême droite et directrice adjointe de Conspiracy Watch.

"La tendance observée chez les jeunes est celle d'une participation intermittente, soit le fait de voter à l'une ou à l'autre des élections, en fonction des enjeux mobilisateurs, de la lisibilité du scrutin et de la structuration de l'offre politique", détaille le sociologue Laurent Lardeux, chargé de recherche à l'Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire (INJEP).

En théorie, pour ces législatives, les conditions d'une forte mobilisation de la jeunesse semblent se dessiner : une offre politique claire en trois grands blocs, une dramatisation des enjeux liée à la possible nomination d'un Premier ministre d'extrême droite, ou encore des appels à faire barrage au RN venus de personnalités influentes comme le vidéaste Squeezie, deuxième youtubeur de France avec 18,9 millions d'abonnés.

D'après un sondage de l'Ifop publié par le JDD, le niveau de participation le 30 juin pourrait atteindre globalement les 63 %, soit 15 points de plus par rapport à 2022 et un niveau inégalé depuis 2002 (64,42 %).

Des jeunes plus à gauche

"Les enjeux de cette élection se rapprochent de ceux d'une présidentielle, où la participation est nettement plus forte chez les jeunes, mais certains paramètres de scrutin rendent les prévisions très difficiles", nuance Laurent Lardeux.

"Cette campagne sera exceptionnelle et inédite, avec un vote qui aura lieu au début des vacances scolaires alors que beaucoup de gens seront partis. Par ailleurs, ce ne sera pas évident de se saisir des programmes politiques en seulement deux semaines, en particulier pour les primo-votants", ajoute le chercheur.

Reste à savoir à qui profiterait une participation en hausse chez les moins de 35 ans. Traditionnellement, le vote des jeunes est plutôt orienté à gauche. Lors des européennes, la France insoumise est arrivée en tête chez les 18-24 ans avec 33 % des voix. Est-ce à dire que la jeunesse qui "emmerde le FN", slogan popularisé par le groupe punk Bérurier noir après le score de Jean-Marie Le Pen (14 %) à la présidentielle de 1988 peut faire basculer le scrutin ? 

"Il y a une polarisation plus importante au sein de la jeunesse que dans les autres classes d'âge, avec d'un côté un vote plutôt social et écologiste et de l'autre un vote plutôt national et identitaire", rappelle Laurent Lardeux. "Mais il est difficile de savoir pour qui va pencher 'le ventre mou', c'est-à-dire une jeunesse plus modérée et moins ancrée dans le champ partisan", estime le sociologue.

Par ailleurs, le fonctionnement des législatives, où chaque circonscription constitue une mini élection à part entière, rend hasardeux toute prédiction de la composition de la future Assemblée nationale. Une plus forte mobilisation des jeunes des quartiers populaires, déjà acquis à la gauche, peut ainsi faire remonter le taux de participation électorale mais sans bouleverser les résultats finaux.

"La question se pose plutôt dans des circonscriptions où les tendances sont plus incertaines, comme les circonscriptions rurales et les zones périurbaines", précise Lardeux.

"Un jeune homme qui leur ressemble"

Si le nouveau Front populaire semble bien placé pour rafler une partie des voix des jeunes ayant boudé les européennes, le RN pourrait aussi tirer son épingle du jeu. D'autant que, sous l'effet de sa stratégie de dédiabolisation, le parti de Marine Le Pen ne fait plus figure de repoussoir pour une bonne partie des jeunes Français.

"Il est fondamental de comprendre que pour cette génération, le Rassemblement national n'est pas le Front national. Le parti est désormais dédiabolisé et normalisé et parvient à parler de leurs préoccupations comme l'immigration et le pouvoir d'achat. C'est un vote d'adhésion", explique Valérie Igounet.

Une stratégie de normalisation symbolisée par le président du RN, Jordan Bardella, qui a reçu 25 % des suffrages exprimés par les 18-24 ans aux Européennes, et même 30 % chez les 25-34 ans. Un succès qui s'explique en partie par une communication habile sur les réseaux sociaux, notamment Tik-Tok. "Les jeunes votent pour le RN mais surtout pour Bardella, car ils s'identifient à ce jeune homme qui leur ressemble", estime Valérie Igounet.

"La popularité de Jordan Bardella déborde les frontières de la jeunesse la plus démunie, la moins diplômée, la moins dotée économiquement, culturellement et socialement pour toucher d’autres segments : les étudiants, les jeunes de classes moyennes. Ce n’était pas le cas auparavant", notait également Anne Muxel, directrice de recherche au Cevipof dans un article publié par The Conversation.

L'hypothèse d'une nouvelle dynamique favorable au président du RN chez les jeunes abstentionnistes n'est donc pas à exclure : 22 % des 18-24 ans comptent glisser un bulletin aux couleurs du parti à la flamme aux législatives, selon un sondage Elabe publié la semaine dernière.

"La campagne des européennes a beaucoup été marquée par des effets d'image et de communication. Est-ce qu'il y aura une personnalisation aussi forte lors de ces législatives ?", s'interroge Laurent Lardeux, selon qui les partis devront aller chercher l'ensemble des abstentionnistes, toute classe d'âge confondue, pour faire bouger les lignes et convaincre les indécis avant le 30 juin.

"Il faut rappeler qu'il y a peu de décalage entre la participation des plus jeunes et les générations actives. La génération qui fait remonter le taux de participation de l'ensemble des Français, reste celle des 'boomers', c'est-à-dire les plus de 65 ans."

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