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Vladimir Poutine et l’extension du domaine de la guerre : des menaces en l’air ?
Le président russe Vladimir Poutine a assuré qu’il se réservait le droit de fournir des armes à des pays "alliés" afin qu’ils ciblent des "intérêts stratégiques" occidentaux. Une manière, d’après lui, de répondre à l’autorisation de pays occidentaux d’utiliser des armes pour frapper en Russie. Mais ces menaces n’ont en réalité qu’une portée très limitée, d’après les experts interrogés par France 24.

Œil pour œil, missile pour missile ? Le président russe Vladimir Poutine a menacé, mercredi 5 juin, de livrer des "équipements militaires" à des pays "hostiles" à l’Occident afin qu’ils puissent frapper des "cibles stratégiques" appartenant aux Américains et à leurs alliés.

Le maître du Kremlin a présenté cette menace comme une réponse à l’autorisation accordée par plusieurs pays occidentaux à l’Ukraine d’utiliser des armes occidentales pour viser des cibles en Russie. "Si quelqu’un pense pouvoir fournir de telles armes dans une zone de guerre afin d’attaquer notre territoire, pourquoi n’aurions-nous pas le droit d’armer des pays dans des régions du monde où ils pourront cibler des installations sensibles [pour les pays occidentaux, NDLR]", a précisé Vladimir Poutine.

Vagues menaces

Et ce n’est pas tout. Des responsables américains ont affirmé que la Russie s’apprêtait à mener des exercices navals… dans les Caraïbes, durant l’été. Des manœuvres militaires qui seraient coordonnées avec Cuba et le Venezuela, les deux pays d'Amérique latine qui, depuis 2022, soutiennent sans équivoque la guerre menée par Moscou en Ukraine.

Autrement dit, Moscou semble "multiplier les menaces d’extension du conflit en Ukraine à d’autres horizons et fait miroiter un risque de prolifération des armes entre les mains d’ennemis de Washington", résume Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.

La rhétorique de Vladimir Poutine "demeure cependant très vague quant aux détails de ces menaces", assure Joseph Moses, expert en stratégie militaire à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Quels sont les pays concernés ? De quelles armes s’agirait-il ? En fait, Vladimir Poutine est resté flou exprès, estiment les experts interrogés par France 24. Le but premier reste "de faire peur aux dirigeants occidentaux et de nourrir les discours de ceux qui veulent arrêter de soutenir militairement l’Ukraine", estime Jeff Hawn. En restant aussi vague que possible, le président russe permet à chacun d’interpréter ses menaces à l’aune de ses propres craintes, notamment celles des opinions publiques à l'Ouest.

Ceci étant, les options pour la Russie de pays à qui livrer des armes sont limitées. Les menaces de Vladimir Poutine "pourraient signifier que Moscou est prêt à envoyer davantage d’armes à la Biélorussie [principale alliée de la Russie en Europe, NDLR] ou à certains pays africains qui se sont récemment détournés de l’Europe de l’Ouest ou des États-Unis", détaille Joseph Moses. Cet expert rappelle que Sergueï Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, vient de boucler une tournée africaine qui l’a amené notamment à se rendre au Burkina Faso et pour la première fois au Tchad. Des visites qui pourraient préfigurer une coopération militaire plus étroite.

"Le plus probable est d'assister à une augmentation de la livraison d'armes dans les pays d'Afrique centrale", assure Joseph Moses. La Russie et la République démocratique du Congo ont ainsi signé en mars un accord de coopération militaire. Les experts interrogés reconnaissent que ce n'est pas dans cette zone que se trouvent les sites les stratégiques des pays occidentaux, mais dans un contexte régional instable, l'afflux de nouvelles armes russes pourraient être un élément déstabilisateur supplémentaire.

Livrer des armes, mais à qui ?

"L’Iran et la Corée du Nord sont d’autres pays à qui la Russie pourrait livrer du matériel militaire en plus", souligne Veronika Poniscjakova, spécialiste des questions de sécurité internationale et de la guerre en Ukraine à l’université de Portsmouth. Il est, en revanche, beaucoup moins sûr que la Russie puisse impunément livrer davantage d’armes à ses alliés en Amérique latine, comme le Venezuela et Cuba.

Encore faudrait-il ensuite que ces pays acceptent de frapper des "intérêts stratégiques" occidentaux. Rien n’est moins sûr. La Biélorussie représente, à cet égard, un cas d’école "d’alliée" peu désireuse de s’aventurer trop loin sur le chemin de la guerre contre l’Occident. "Le président biélorusse Alexandre Loukachenko ne manque pas une occasion de soutenir la Russie dans ses paroles, mais quant aux actes, il tente de ne pas trop se faire aspirer dans la guerre en Ukraine", assure Jeff Hawn. Le Venezuela et Cuba "reconnaissent que les États-Unis sont de très loin la puissance dominante dans la région", ajoute-t-il.

Ce n’est pas tout : la Russie peut aussi difficilement se permettre d’inonder le monde d’armes pour exporter sa guerre en Ukraine vers d’autres cieux. Certes, "ils ont des réserves de missiles balistiques, de drones ou, simplement, de munitions d’artillerie", reconnaît Joseph Moses. Mais "vu leur besoin en Ukraine, ils ne vont sûrement pas envoyer leurs 'bonnes' armes à d’autres pays", affirme Veronika Poniscjakova.

Le risque est donc "très faible que d’éventuelles livraisons d’armes russes puissent représenter un danger important pour les intérêts stratégiques américains ou occidentaux", affirme Joseph Moses. D’autant plus que la plupart de ces sites occidentaux sont "bien protégés contre même les armes les plus modernes", rappelle Jeff Hawn.

Opération de com'

Les menaces russes d’appliquer sa vision de la loi du Talion seraient donc "essentiellement vide de sens", assure Veronika Poniscjakova. Pour les experts interrogés par France 24, "c’est avant tout une opération de communication du pouvoir russe". "Après les déclarations américaines et allemandes concernant l’utilisation d’armes occidentales pour frapper des cibles sur le territoire russe, Vladimir Poutine s’est senti obligé de réagir", estime Veronika Poniscjakova.

Les exercices navals à venir dans les Caraïbes sont un exemple classique de cette communication de guerre "made in Moscou". Ce serait beaucoup de bruit pour pas grand-chose. "Il serait très surprenant, vu l’état de la flotte russe, qu’il y ait plus de trois ou quatre navires envoyés dans les Caraïbes", estime Jeff Hawn.

En outre, ce n’est pas sans précédent. La Russie a déjà participé à des exercices navals dans les Caraïbes en 2008. Et plus récemment, la flotte russe "a effectué des entraînements avec l’Iran et la Chine [dans le Golf d’Oman, NDLR]", rappelle Veronika Poniscjakova.

Ces sorties en haute mer sont, en réalité, autant d’occasions pour Moscou "d’essayer de convaincre ses alliés que malgré deux années de guerre en Ukraine, la Russie est toujours capable de projeter sa puissance militaire partout dans le monde", résume Veronika Ponidcjakova.