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Le président américain, Joe Biden, a officialisé, mardi, un décret visant à interdire l'entrée sur le sol américain aux migrants clandestins qui traversent la frontière avec le Mexique pour demander l’asile. Une décision inédite pour un président démocrate, plus que jamais en campagne pour sa réélection.

Jouer la carte de la fermeté. Le président Joe Biden a annoncé, mardi 4 juin, la fermeture temporaire de la frontière des États-Unis avec le Mexique en cas de rebond d’arrivées de migrants clandestins. À cinq mois de l'élection présidentielle, il espère, avec cette mesure sécuritaire de court terme, regagner du terrain auprès des électeurs pour se maintenir à la Maison Blanche face à Donald Trump. 

En principe, quiconque touche le sol américain peut y demander l'asile. Avec ce décret exécutif annoncé de longue date, le président démocrate pourra "suspendre l'entrée de non-citoyens traversant illégalement la frontière" dès lors qu'un seuil moyen de 2 500 arrestations quotidiennes sera franchi, ce qui est actuellement le cas. 

Si le nombre de passages à la frontière a connu une baisse significative ces derniers mois par rapport à l'année dernière, il s'élevait encore à près de 4 300 entrées quotidiennes en avril, selon les données les plus récentes du gouvernement. Pour un retour à la normale, il faudrait que ce seuil passe sous la barre des 1 500 pendant trois semaines, un niveau jamais atteint depuis juillet 2020 - en pleine pandémie de Covid-19. Avec cette mesure, les migrants ne pourront demander l'asile et seront expulsés sans avoir pu déposer leur dossier.

"Ajustement de stratégie"

En suspendant, même temporairement, le droit d'asile, le président américain et son administration opèrent un virage politique notable. "Ne rien faire n’est pas une option", a déclaré Joe Biden, qui a choisi d'attendre l'élection présidentielle au Mexique et la victoire historique de Claudia Sheinbaum avant de dévoiler cette mesure. 

Si Joe Biden est un chef d’État très actif sur la question migratoire, avec 535 mesures exécutives prises selon l’Institut des migrations politiques, il n’a pas réussi à rassurer les électeurs, alors que l’immigration figurait en tête des préoccupations en avril, pour le troisième mois consécutif. La majorité des Américains (56 %) ont en effet une opinion négative de sa gestion de l'immigration et de la sécurité des frontières, selon un sondage AP-NORC d’avril. Un chiffre bien supérieur aux 37 % qui désapprouvaient la politique de Donald Trump sur ces questions. 

Même au sein des démocrates, l'opinion est partagée : seuls 30 % des sympathisants estiment que la politique de Joe Biden sur l'immigration a été bénéfique, contre 30 % qui la jugent nuisible. À l'inverse, chez les républicains, 86 % affirment que la politique de Donald Trump sur ces questions était positive. 

"Aujourd’hui, l’électorat penche majoritairement à droite et plébiscite certaines des propositions défendues par Donald Trump", confirme Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (UVSQ). "Face à ce constat, Joe Biden ajuste sa stratégie pour s’aligner avec l’opinion générale." 

"Fracturer le camp démocrate" 

Cette décision de fermer la frontière, envisagée depuis plusieurs mois, intervient après l'échec d’un accord bipartisan sur la réforme migratoire au Congrès. Présenté début février, ce texte visait à restreindre l'accès à l'asile, à renforcer la sécurité à la frontière et à augmenter les capacités de détention des migrants avant leur expulsion. Mais à la demande de l’ancien président Donald Trump, la plupart des élus républicains l’ont refusé. "Les républicains ne m'ont pas laissé le choix", a justifié Joe Biden. 

"L’impasse sur l'immigration arrange les républicains : refuser tout compromis avec les démocrates permet de maintenir le problème en l'état, d'éviter sa résolution et donc de continuer à en faire un sujet de débat", explique Ludivine Gilli, directrice de l’observatoire Amérique du Nord de la Fondation Jean Jaurès. "Cette stratégie vise à la fois à garder l'immigration sous le feu des projecteurs et à fracturer le camp démocrate." 

Et cela a déjà porté ses fruits. Pramila Jayapal, élue démocrate à la Chambre des représentants, s'est déclarée "profondément déçue" après l’annonce du décret, insistant pour que l'administration prenne des mesures qui soulageraient les immigrés déjà présents aux États-Unis. Le sénateur Alex Padilla, un démocrate californien qui a participé à la campagne de Joe Biden auprès des communautés latinos, a qualifié le décret de reprise de "l'interdiction d'asile de Trump" dans un communiqué publié mardi

D'autres démocrates ont salué la décision, comme le député Tom Suozzi, membre d'un groupe parlementaire démocrate sur la sécurité des frontières, qui a déclaré : "Le président a dit : ‘Je vous entends, je sais que c'est un problème et je prends des mesures’". De son côté, Ruben Gallego, un démocrate qui brigue un siège au Sénat en Arizona, a qualifié cette décision de "pas dans la bonne direction". 

"Urgence électorale" 

Anticipant les critiques qu'il pourrait essuyer lors du premier débat présidentiel, le 27 juin sur CNN, face à Donald Trump, le président a déjà brandi son décret comme un argument de poids. Dans son discours, il s'est employé à souligner sa différence avec son rival : "Je n’utiliserai pas l’armée américaine pour aller dans les quartiers de tout le pays, pour arracher des millions de personnes à leur foyer et à leur famille, pour les placer dans des camps de détention en attendant leur expulsion, comme mon prédécesseur dit qu’il le ferait s’il était réélu". 

“I will not use the U.S. military to go into neighborhoods all across the country to pull millions of people out of their homes, and away from their families, to put detention camps while awaiting deportation, as my predecessor says he will do if he occupies this office again.” https://t.co/kxY9ZSDyMN

— The Recount (@therecount) June 4, 2024

"Le recours au décret présidentiel s'est imposé comme la dernière solution envisageable après l'échec des autres approches et face à l'urgence croissante, non pas migratoire en soi, mais électorale", analyse Lauric Henneton. "Le président voulait ainsi neutraliser la question migratoire avant le débat crucial du 27 juin en espérant que son décret lui garantisse un impact durable sur l’opinion publique et la couverture médiatique." 

Par ailleurs, le débarquement surprise de milliers de demandeurs d'asile, transférés par bus par des gouverneurs républicains en direction de villes ou d'États démocrates de la côte Est, depuis 2022, ont mis la pression sur la Maison Blanche. "Si Joe Biden veut tenter de limiter le flux migratoire, c’est aussi pour soulager la pression sur les villes démocrates, notamment New York et Chicago, dont les capacités d’accueil sont saturées", soulève Ludivine Gilli. "Il veut montrer aux maires démocrates qu’ils les écoutent." 

Impact incertain 

Mais l'impact réel du décret sur le flux migratoire demeure incertain, selon les spécialistes interrogés par France 24. Poussés par différents motifs tels que les répressions politiques ou les catastrophes économiques et climatiques, des milliers de réfugiés affluent chaque jour à la frontière sud du pays. Après avoir été contrôlés à leur arrivée en provenance du Mexique, ils se répartissent sur le territoire national en attendant la décision finale sur leur statut.  

Selon Ludivine Gilli, "le défi migratoire aux États-Unis ne réside pas tant dans le nombre d'arrivants que dans la capacité du pays à les absorber. Le système actuel présente un décalage entre un afflux de migrants désireux de travailler mais dans l'incapacité de le faire légalement, et une demande croissante pour de la main-d'œuvre peu qualifiée et bon marché." 

À l'approche du scrutin présidentiel, Joe Biden s’est engagé à ne jamais "diaboliser" les migrants comme son prédécesseur. "Je ne dirai jamais des immigrés qu'ils 'empoisonnent le sang' d'un pays", a-t-il dit mardi, en référence à des propos de Donald Trump en décembre dernier. "Je ne séparerai jamais les enfants de leur famille à la frontière. Je n'interdirai pas aux gens d'entrer dans ce pays en raison de leurs croyances religieuses".