Les artistes d'Outre-mer livrent une manifestation coup de poing samedi 1er juin pour la "Nuit blanche" à Paris, imaginée pour "décentrer le regard" et qui a pris une dimension politique dans le contexte des violences en Nouvelle-Calédonie.
La transformation de l'esclave en homme libre, la domination de l'homme blanc, la déshumanisation du corps féminin racisé ou les révoltes kabyles et kanak : la France ultramarine des "trois océans et quatre continents" est à l'honneur de la 23e édition de cet événement d'art contemporain initié en 2002 Bertrand Delanoë, alors maire de Paris.
C'est dans la cour du palais Galliera, musée de la mode de Paris, avec la tour Eiffel scintillante en fond de toile, que la chorégraphe réunionnaise Soraya Thomas déconstruit l'image de l'homme occidental dans une performance punk rock mêlant l'esthétique des défilés de mode et celle des parades militaires.
"Je ne parle pas de tropicalisme ni d'exotisme. J'intègre tout ce que la société réunionnaise est à l'heure actuelle", résume-t-elle à l'AFP.
Elle met en scène quatre figures masculines occidentales dans tous leurs états. Pour dire que l'homme est multiple et "ne peut pas se réduire juste à une couleur, à un genre, à une vision autoritaire ou patriarcale".
Pour Soraya Thomas, il était "grand temps" de mettre en lumière "des talents incroyables qui parviennent difficilement jusqu'à l'Hexagone".
"Prendre son espace"
Dans le branché Carreau du Temple qui accueille défilés de mode et festivals gastronomiques, elle met en mouvement Saint-George, né esclave en Guadeloupe et devenu compositeur, escrimeur et musicien dans la société de cour du Paris du Siècle des Lumières.
À travers des mouvements d'escrime et de la danse contemporaine, la chorégraphe explore "comment prendre son espace" en dépit des tensions et contradictions.
Dans la forêt de lumière du jardin du musée du quai Branly, on tombe sur deux corps inanimés enveloppés de linceul au pied de fresques murales.
Aux sons des tambours, les personnages de ce conte créole commencent à hurler, se débattent, se libèrent, puis se cachent derrière des masques de chiens.
Ronald Cyrille, artiste né en Guadeloupe, explore ainsi le thème de "l'étranger" et veut passer le message "qu'il n'y a pas une culture qui vaut plus qu'une autre".
#NuitBlanche, c'est ce samedi 1er juin !
Plaisir de découvrir hier soir, avec @carine_rolland et @lau_patrice, certaines œuvres au cœur de cette programmation inédite et d'échanger notamment avec les artistes Soraya Thomas (Réunion), Ronald Cyrille (Guadeloupe) et ses danseurs pic.twitter.com/vh2ODXF4iw
Communards, Kabyles et Kanaks
Tabita Rézaire, basée à Cayenne, capitale de la Guyane française, accueille dans une structure en textile décorée de feuilles de plantes médicinales d'Amazonie en forme de calice d'hibiscus, installée dans le jardin de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière.
Dans une projection vidéo qui accompagne cette installation baptisée "L'art de naître", des accoucheuses guyanaises parlent de leurs pratiques ancestrales.
"Aujourd'hui, on est dans un monde où il y a beaucoup de violence envers celles qui donnent la vie", dit l'artiste à l'AFP, en affirmant qu'il y a plus de décès maternels chez les femmes racisées.
Le thème de cette édition avait pour but de "décentrer le regard par l'entremise de la création artistique contemporaine" d'Outre-mer, a déclaré à l'AFP la directrice artistique de cette édition, Claire Tancons.
"L'actualité est politique mais ce n'était pas mon choix", souligne-t-elle.
C'est un spectacle d'Abdelwaheb Sefsaf à Sartrouville, "Kaldûn", qui raconte les trois révoltes populaires au XIXe siècle impliquant Communards, Kabyles et Kanaks, qui lui a suggéré le thème de cette "Nuit blanche" il y a plus d'un an quand la Nouvelle-Calédonie n'était pas dans l'actualité, a-t-elle raconté.
Une adaptation de cette oeuvre sera présentée samedi à Montmartre, au pied du Sacré-Cœur.
Avec AFP