"Il n'y a pas de tabou pour la France et je suis totalement prêt à reconnaître un État palestinien mais (...) je considère que cette reconnaissance doit arriver à un moment utile". Le président Emmanuel Macron a douché, mardi 28 mai, les espoirs des Palestiniens de voir la France emboîter le pas à l'Espagne, l'Irlande et la Norvège qui ont officiellement reconnu, le même jour, un État de Palestine.
Le lendemain, il a même semblé écarter cette éventualité à court terme en la liant, lors d’un entretien téléphonique avec le président Mahmoud Abbas, à la mise en œuvre de "réformes indispensables" de l’Autorité palestinienne (AP), qui ne contrôle que la Cisjordanie occupée.
Une perspective difficile à envisager avec un "Abou Mazen" au pouvoir depuis 2005, mais largement déconsidéré, et une Autorité palestinienne minée par la corruption et marginalisée politiquement par les gouvernements successifs de Benjamin Netanyahu.
Une suite logique
De leur côté, les diplomates palestiniens estiment que la France aurait pu envoyer un signal fort en franchissant sans plus attendre le pas de la reconnaissance.
D’autant plus qu’une telle initiative aurait été une suite logique après les récentes prises de position de la diplomatie française à l’ONU, estime Hala Abou-Hassira, ambassadrice et cheffe de la mission de Palestine en France.
"La reconnaissance par la France viendrait en cohérence (sic) avec les différents votes au Conseil de sécurité, à l’Assemblée générale et le vote annuel pour le droit à l’autodétermination [lors de l’Assemblée générale]", juge-t-elle.
Le 18 avril, la France a voté en faveur d’un projet de résolution présenté par l’Algérie recommandant l’admission de l’État de Palestine à l’ONU, devant le Conseil de sécurité. Favorable "à l’admission de la Palestine comme État membre de plein droit", elle a également voté, le 10 mai, pour un projet de résolution "conférant de nouveaux droits à l’État observateur de Palestine au sein des Nations unies".
"Pour être juste avec la position de la France, il faut souligner que son vote a été décisif au Conseil de sécurité, puis à l'Assemblée générale, confie l’ambassadeur Majed Bamya, observateur permanent adjoint de l'État de Palestine auprès des Nations unies. Nous espérons qu'elle reconnaîtra l'État de Palestine, ce qui serait cohérent avec la position historique de la France".
Du général Charles de Gaulle, aux relations difficiles avec les Israéliens, en passant par François Mitterrand, qui brise le tabou de "l’État" palestinien en 1982 devant la Knesset, et Jacques Chirac, surnommé le "Docteur Chirac", pour ses penchants pro-palestiniens, par Yasser Arafat, l'ancien président de l'AP décédé en 2004, la France a affiché une position constante sur le conflit israélo-palestinien.
Au risque d’être accusée d’avoir une inclination "pro-arabe" par la droite israélienne, Paris a toujours plaidé pour un règlement politique de ce conflit sur la base de la solution à deux États, à même de répondre aux besoins de sécurité d’Israël, ainsi qu’aux aspirations des Palestiniens à un État.
En décembre 2014, l’Assemblée nationale française avait même voté une résolution "invitant le gouvernement français à reconnaître l’État de Palestine en vue d’obtenir un règlement définitif du conflit". Un texte non contraignant adopté par la majorité socialiste du président François Hollande.
"Préserver la solution à deux États"
Aujourd’hui, les diplomates palestiniens ne doutent pas que d’autres pays européens devront "très bientôt" suivre l’exemple de l'Espagne, de l’Irlande et de la Norvège. La Slovénie a annoncé, jeudi 30 mai, une décision similaire, portant à 11 le nombre de pays de l'UE qui reconnaissent l'État de Palestine.
Pour la diplomatie palestinienne, la France a laissé passer sa chance de jouer le rôle de locomotive européenne, ce qui aurait été plus conforme au poids diplomatique qu’elle souhaite avoir dans la région.
"Si la France avance vers la reconnaissance de l'État de Palestine, je pense que la plupart des États membres de l'Union européenne suivront", estime Abdalrahim Alfarra, ambassadeur de Palestine auprès de l'UE, de la Belgique et du Luxembourg.
Hala Abou-Hassira estime, quant à elle, que la reconnaissance d’un État palestinien dans les frontières de 1967 reviendrait "à reconnaître le droit inaliénable du peuple palestinien à l'autodétermination" et contribuerait "à préserver la solution à deux États"... chère à la France.
Intensifier la pression sur Israël
Une solution à l’avenir très incertain alors qu’Israël a qualifié l’initiative diplomatique des trois pays européens de "récompense pour le terrorisme", en pleine guerre contre le Hamas palestinien dans la bande de Gaza, depuis l’attaque du 7 octobre, perpétrée par le mouvement palestinien et ses alliés sur le sol israélien.
À la France qui temporise, Emmanuel Macron ayant précisé qu’il ne ferait "pas une reconnaissance d'émotion", alors même que la classe politique française se déchire sur le conflit en cours dans la bande Gaza, les Palestiniens répondent que c’est justement "le bon moment". Selon eux, une reconnaissance de leur État serait un moyen d’intensifier la pression pour qu'Israël cesse son offensive dans la bande de Gaza et mette un terme à l’occupation et à la colonisation de la Cisjordanie.
"La reconnaissance par la France viendrait au moment même où Israël refuse totalement la création de l'État de Palestine, plaide Hala Abou-Hassira, en rappelant que la Knesset a voté, le 22 février, une résolution s’opposant à toute reconnaissance "unilatérale" d’un État palestinien.
Et de conclure : "Comment faire comprendre au gouvernement israélien que l'avenir de la région, celui du peuple israélien et du peuple palestinien nécessitent la paix et la création de l'État de Palestine ? C'est exactement le bon moment car aujourd'hui des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité sont commis contre le peuple palestinien".