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Géorgie : le Parlement contourne le veto présidentiel et adopte la loi sur l'"influence étrangère"
Contournant le véto de la présidente Salomé Zourabichvili, le Parlement géorgien a adopté définitivement mardi la loi controversée sur l'"influence étrangère", après des semaines de manifestation contre ce texte accusé de détourner la Géorgie de l'Europe pour l'entraîner vers la Russie.

En Géorgie, la mobilisation populaire massive n'aura pas suffi à empêcher l'adoption de la loi sur l'"influence étrangère". Le Parlement a adopté définitivement ce texte controversé, mardi 28 mai, contournant le véto présidentiel sur cette loi qui a provoqué des manifestations très importantes et suscité des critiques de l'Union européenne et de Washington.

Les députés du parti au pouvoir du Rêve géorgien, majoritaires dans l'hémicycle, ont adopté la loi par 84 voix pour, et quatre contre, balayant ainsi le véto apposé par la présidente pro-occidentale Salomé Zourabichvili, après l'adoption du texte controversé en troisième lecture, le 14 mai. La plupart des députés de l'opposition ont quitté l'hémicycle au moment du vote, a constaté l'AFP.

L'Union européenne a déclaré "profondément regretter" l'adoption définitive de la loi, appelant ce pays candidat à l'adhésion à "revenir fermement sur la voie de l'UE".

The EU regrets that the Georgian Parliament decided to override the President's veto on the law on transparency of foreign influence, and to disregard the Venice Commission's legal arguments leading to a clear recommendation to repeal this law.

Statement by @JosepBorrellF with… pic.twitter.com/UG4SC5tsFq

— European Commission (@EU_Commission) May 28, 2024

L'Union européenne "a souligné à plusieurs reprises que la loi adoptée par le Parlement géorgien allait à l'encontre des principes et des valeurs fondamentales de l'UE", a rappelé le chef de la diplomatie Josep Borrell dans un communiqué, ajoutant que l'UE et ses Etats membres "examinent toutes les options".

Une nouvelle manifestation attendue à Tbilissi 

Les détracteurs de cette loi, qui ont manifesté plusieurs fois par dizaines de milliers depuis début avril, qualifient le texte de "loi russe", en raison de sa similitude avec une législation sur les "agents de l'étranger" utilisée en Russie depuis 2012 pour réprimer toute voix dissidente.

La loi impose à toute ONG ou média recevant plus de 20 % de son financement de l'étranger de s'enregistrer en tant qu'"organisation poursuivant les intérêts d'une puissance étrangère" et de se soumettre à un contrôle administratif. Plusieurs ONG ont indiqué à l'AFP s'attendre à ce que leurs actifs soient gelés et leur travail entravé avec l'entrée en vigueur de la loi.

Dès avant le vote organisé mardi 28 mai, des manifestants avaient commencé à se rassembler devant le Parlement, brandissant drapeaux géorgiens et européens. Une manifestation était attendue dans la soirée, comme Tbilissi en a déjà connues avec parfois des dizaines de milliers de personnes.

Si le Rêve géorgien a assuré que la loi ne visait qu'à obliger médias et ONG à la transparence, l'opposition géorgienne et l'Union européenne avaient dénoncé une législation anti-démocratique, incompatible avec les ambitions affichées par cette ex-république soviétique du Caucase de rejoindre à terme l'UE.

"Réduire au silence les critiques"

Des opposants et analystes interrogés par l'AFP y voient aussi un instrument de répression particulièrement menaçant à cinq mois des législatives prévues en Géorgie fin octobre, qui pourrait priver le camp pro-européen de toutes chances de revenir au pouvoir.

"Le Rêve géorgien sait qu'il perdrait le pouvoir si les élections étaient libres et équitables", a affirmé Tina Bokouchava, députée du parti d'opposition Mouvement National Uni de l'ex-président pro-occidental Mikheil Saakachvili. "C'est pour cela qu'ils ont adopté la loi à l'approche du scrutin, ils espèrent l'utiliser pour réduire au silence les critiques".

Le débat qui a précédé le vote mardi a été agité, comme souvent en Géorgie. Le député d'opposition Girogi Vachadzé s'est notamment vu aspergé d'eau alors qu'il s'exprimait à la tribune. 

Le secrétaire d'État américain Antony Blinken avait prévenu la semaine dernière que les États-Unis allaient réexaminer l'ensemble de leur coopération avec Tbilissi après l'adoption de ce texte. Washington a aussi annoncé des restrictions de visas de séjour aux États-Unis visant les personnes jugées responsables de "saper la démocratie" en Géorgie, ainsi que leurs proches.

Le parti Rêve géorgien a réagi en dénonçant un "chantage au visa" et une "tentative flagrante d'empiéter sur l'indépendance et la souveraineté de la Géorgie". 

Des accusations de "chantage" également lancées contre un commissaire européen, qui avait tenté de plaider la semaine dernière contre l'adoption de la loi auprès du Premier ministre géorgien Irakli Kobakhidzé. Le commissaire à l0201Elargissement, le Hongrois Oliver Varhelyi, avait affirmé que ses propos avaient été "sortis de leur contexte". 

Des déclarations hostiles envers l'Occident 

Bien que la Géorgie soit officiellement candidate à l'UE depuis décembre 2023, et que le Rêve géorgien soutienne formellement l'objectif inscrit dans la Constitution de rejoindre un jour l'UE et l'Otan, ce parti, au pouvoir depuis 2012, a récemment multiplié les mesures rapprochant le pays de Moscou.

La bataille autour du texte - proposé une première fois par le Rêve géorgien l'an dernier avant d'être retiré face à la contestation suscitée - a par ailleurs mis en lumière l'influence de Bidzina Ivanichvili, un homme d'affaires qui a fait fortune en Russie. 

Fondateur du parti Rêve géorgien, le milliardaire a été brièvement Premier ministre de 2012 à 2013, et continue selon ses détracteurs à diriger le pays en coulisses. Même s'il assure vouloir faire entrer la Géorgie dans l'UE, il a multiplié les déclarations hostiles envers l'Occident et voit les ONG comme des ennemies de l'intérieur.

Dans ce contexte, la présidente Zourabichvili a appelé, avant le vote mardi, à un rassemblement de toutes les forces d'opposition pour former un gouvernement de transition qui annulerait plusieurs lois votées par le Rêve géorgien l'éloignant de l'UE. 

"Il faut forger une nouvelle réalité politique", a-t-elle déclaré. "Cela nécessite une nouvelle forme d'unité (des partis d'opposition), un Parlement différent, des élections différentes et un gouvernement différent". 

Avec AFP