Le 19 mai, la ville de Kinshasa se réveillait au son des coups de feu. L’ambassadeur du Japon en RDC est l’un des premiers à relever les tirs qui semblent émaner du palais présidentiel. 

Des images d’hommes en armes posant dans le palais présidentiel apparaissent ensuite. Ces derniers s’expriment en lingala et se montrent triomphants : "Félix est tombé [Félix Tshisekedi, président de la RDC, NDLR] (...), nous sommes vainqueurs".

Pourtant, quelques heures plus tard, des images d’hommes accusés d’être parmi les putschistes aux mains de militaires loyalistes commencent à émerger sur les réseaux sociaux.

Parmi, ces contenus violents, l’une de ces vidéos a retenu l’attention de la rédaction des Observateurs. Filmée dans le quartier de Gombe, le long du fleuve Congo qui borde Kinshasa et Brazzaville (capitale la République du Congo), on peut y voir ce qui pourrait être des exécutions sommaires. 

Des hommes qui semblent être prisonniers sont allongés sur des embarcations et entourés de militaires armés en uniforme. L’un des soldats tire deux coups d’arme automatique sur l’un des prisonniers. Quelques secondes après, un autre prisonnier est à l’eau. Un militaire tire alors plusieurs rafales dans sa direction. On ne voit pas clairement si les hommes à l’eau ont été touchés par les tirs.

Sur la vidéo, on entend les militaires crier : “ tire, tue-le… Il est en train de fuir, tue-le !”, “tire par là-bas !” ou encore “arrête de tirer ! tu vas trouer l’engin !”.

En ligne, des commentaires de la vidéo assurent que les hommes accusés d’être putschistes auraient tenté de se réfugier près du fleuve afin de le traverser et d’atteindre le territoire du Congo-Brazzaville. Il est cependant impossible de vérifier ces affirmations de façon indépendante. 

Les soldats présents sur la vidéo appartiennent à la ”Garde républicaine” congolaise. Cette unité, chargée de la protection du président et de ses biens, auraient neutralisé les putschistes. 

Sur la vidéo, il est possible de reconnaitre l’insigne présent sur les bérets rouges de certains hommes. Ce logo correspond à celui arboré par les hommes de la Garde républicaine lors de plusieurs parades militaires. Sur l’image de gauche ci-dessous, il est possible d’identifier un militaire présent dans la vidéo qui arbore un béret similaire à celui utilisé par la garde nationale.

“Ce n’est pas pour la première fois que les Gardes républicains violent les droits de l’Homme”

Selon John Hannibal de l’ONG citoyenne congolaise LUCHA , la Garde nationale a déjà été impliquée dans des violations des droits de l’Homme :

Ce n’est pas la première fois que les Gardes républicains violent les droits de l’Homme. À Goma [à l'est RDC, NDLR], la même unité avait tiré sur une centaine de civils alors qu’ils allaient organiser une manifestation pacifiste contre la non-implication du gouvernement dans processus de paix. J’étais sur place, j’ai pu constater les violences. Mais il n’y a pas de suivi judiciaire sérieux et aucune sanction n’a été prise.

Pour ce qui est de la tentative de coup d’État, on sait que 40 personnes ont été arrêtées  parmi les présumés assaillants et que ces derniers ont été amenés aux services de renseignements militaires pour y être interrogés. Pourtant, les putschistes n’ont pas encore été déférés, on ne sait donc pas s'il y aura un procès. Nous n’avons aucune information sur la situation des prisonniers, car les services de renseignement ne communiquent pas.

 Nous souhaitons un procès afin de faire la lumière sur les évènements. Ce n’est pas normal que des hommes en armes aient pu pénétrer dans le Palais de la Nation qui est l’un des endroits les plus sécurisés du pays. Cela s’est peut-être fait avec une complicité en interne. C’est pour cela que nous voulons un procès juste et équitable : pour juger les putschistes, mais aussi leurs probables complices.

Une autre vidéo partagée en masse sur les réseaux montre deux prisonniers amenés sur le ponton de l’embarcadère où se situaient les bateaux.

Outre les uniformes ou encore la couleur verte des embarcations, on observe que dans chacune des vidéos, les bateaux disposent tous de deux moteurs situés à la poupe. 

À partir de ces images, il est également possible de géolocaliser l’endroit où a été tournée la vidéo des tirs sur les prisonniers à l’eau. En effet, on distingue un ponton présent sur les images satellites des environs du palais présidentiel. Les bateaux de la vidéo sont visibles sur ces images satellites, ils sont habituellement amarrés à un ponton proche du Palais de la Nation.

Sur les images tirées de cette vidéo, on distingue des bâtiments sommaires ainsi qu’un grillage nappé d’un filet de camouflage. Il est possible de les retracer sur l’image satellite.

Sur d’autres images satellites de mai 2024, on distingue également des bandes de terres qui jouxtent la végétation qui borde le fleuve, que l’on retrouve dans la vidéo.

Sur ces deux vidéos, il est possible de reconnaitre un protagoniste majeur de cette tentative de coup d'État avortée : Marcel Malanga. Ce dernier est le fils de Christian Malanga, le chef du mouvement “Parti congolais uni” et désigné comme l’initiateur du putsch par les autorités. 

Pour John Hannibal de l’ONG LUCHA, cette vidéo pourrait constituer une grave infraction au droit international :

Nous voulons des explications de la part des autorités sur ces vidéos. Les prisonniers que l’on voit à l’écran n’étaient pas armés. Pourtant, un militaire donne ordre de leur tirer dessus en lingala. Pour moi, c’est une exécution sommaire, ce qui est contraire aux droits humains et aux lois congolaises. Ces militaires de la garde républicaine doivent être traduits en justice. Cela fait une semaine que nous demandons des explications à l’Etat, mais pour l’instant, nous ne savons même pas combien de personnes ont perdu la vie.

 Contacté par la rédaction des Observateurs, le gouvernement congolais n’a pas donné suite à nos sollicitations.