
Même en France, manifester contre le régime chinois n’est pas sans risque. C’est le ressenti de beaucoup de ressortissants chinois pro-démocratie qui disent subir de plus en plus d’intimidations de la part des autorités de leur pays sur le territoire français.
Ceux qui se sont mobilisés le 5 mai à Paris contre la visite d’État du président chinois Xi Jinping en France témoignent par exemple d’une contre-manifestation, pro-régime, organisée juste à côté de la leur. Ils rapportent que des individus sont venus leur intimer de ne pas manifester, les ont filmés ou suivis, comme en attestent plusieurs vidéos publiées sur X (anciennement Twitter).
Légères tensions lors de la visite de #Xi Jimping en France : des drapeaux chinois sont déployés à quelques mètres du rassemblement pour les #ouïghours place de la Madeleine.#Chine pic.twitter.com/lmBELqQ4HK
— AnthoZ (@AnthoDepe) May 5, 2024今天收到维吾尔人的爆料!
中共海外警察(爱心团)的特务,使用同样的方式前往维吾尔人抗议暴君习近平的地点进行跟踪拍摄被当场擒获! https://t.co/nV5kJDAIF2 pic.twitter.com/nNfjsgji9S
Pour les militants pro-démocratie, il ne fait aucun doute que l’ambassade de Chine en France et les autorités chinoises sont derrière ces intimidations.
“J’ai pu voir sur son écran de téléphone une conversation WeChat dans laquelle avait été postée une vidéo de moi”
Wang Jingyu, un dissident chinois qui a fui la Chine à 17 ans en 2019, a publié une série de vidéos sur X montrant selon lui des individus liés à l’ambassade de Chine en train de le suivre et de le filmer le 5 mai place de la République à Paris, lors de la manifestation contre Xi Jinping.
中共特务一路对我进行跟踪!
这个女人对我们拍摄了多端,
多段跟踪视频发送至大使馆微信群! pic.twitter.com/eBP7fNxYFj
Il raconte à la rédaction des Observateurs :
J’ai pu voir sur son écran de téléphone une conversation WeChat [équivalent de Whatsapp en Chine, NDLR] avec sept personnes dans laquelle avait été postée une vidéo de moi marchant dans la rue un peu plus tôt, vers la place de la République. Il y avait également un message de quelqu’un lui demandant de me suivre, pour vérifier ce que je faisais. C’est ce qui m’a fait dire que c’était lié à l’ambassade.
Je ne sais pas ce qu’ils font avec ces vidéos… Peut-être qu’ils veulent savoir ce qu’on veut faire, où on est...

Le reportage avait indigné l’ambassade de Chine, qui a affirmé dans un communiqué que l’enquête de France 2 et Challenge était “basé sur des mensonges et un récit monté de toute pièce” et les accuse d’avoir ”diffuser les fake news”.
Elle n’a en outre pas donné suite à nos sollicitations.
Wang Jingyu affirme que Ling Huazhan et lui continuent d’être harcelés par téléphone depuis la diffusion de ce reportage, et qu’il a de nouveau été filmé dans la gare de Marseille Saint-Charles. Il nous a transmis des images documentant cette traque selon lui.

Une réfugiée ouïghoure cernée devant chez elle
Un autre événement du genre a marqué la communauté chinoise pro-démocratie en France. Le 8 mai 2024, la photo de plusieurs individus autour d’un fourgon noir parqué devant le domicilie de Gulbahar Jalivova, réfugiée Ouïghoure passée par les camps d’internements en Chine, a fait le tour des réseaux sociaux. La police française est intervenue suite à des soupçons de tentative d’enlèvement. Selon le journal le Monde, les policiers ont retrouvé “un passeport de service” qui rattache l’un des hommes à l’ambassade de Chine.
Actuellement, un groupe de Chinois, avec une voiture noire, devant l'immeuble de la rescapée de camps Gulbahar Jalilova à Paris, sonne son appartement. Jalilova est terrorisée. pic.twitter.com/MpYmwTMY8r
— Dr. Dilnur Reyhan 🖋📚🌳🌈 (@DilnurReyhan) May 8, 2024Dans les deux affaires, le contre-espionnage français a mis en évidence l’implication de membres des services chinois présents sur le territoire, toujours selon Le Monde.
Depuis le début de l’année, les rapports qui documentent ce phénomène se sont multipliés (publiés par Amnesty International, Human Rights Watch ou encore Le Centre tibétain de défense des droits de l’homme). On y retrouve les mêmes témoignages qui relatent un système d’intimidation bien rôdé pour dissuader tout dissident d’exprimer un avis politique contre Pékin : pressions par message, chantage via la famille restée en Chine ou encore intimidation sur les lieux de manifestation.
Live Update: 4 Tibetans peacefully protesting. Circled in by 10+ Chinese on both sides. 20 cops on site.
FREE TIBET! DOWN WITH THE CCP! pic.twitter.com/MtrolRQcMR
“Au moment de la visite de Xi Jinping en France, mes parents ont été interrogés cinq fois par la police”
Li Min Ming (notre rédaction a préféré l'anonymiser pour des raisons de sécurité) est membre du “Front de la Liberté”, un groupe pro-démocratique de jeunes chinois qui vivent à Paris .
En 2012, il est arrêté pour suspicion d'incitation à la subversion du pouvoir de l’État” en Chine. Il finit par quitter le pays à 25 ans, en 2018, alors que le contexte politique se dégrade. Il vit désormais en France où il “espère apprendre l'expérience des mouvements sociaux et l'introduire en Chine”.
Mais depuis son arrivée, il dit continuer de subir la répression, que ce soit via des cyberattaques, ou via des menaces adressées à sa famille.
Au moment de la visite du président Xi Jinping en France, mes parents ont été interrogés cinq fois par la police. Ils ont été menacés de perdre leur pension de retraite et de se voir interdire de quitter le pays pour venir me rendre visite. L’objectif était de me faire taire pendant la visite de Xi Jinping en France. Pendant cette période, mon site personnel a été attaqué plus de 200 fois par jour.
Certains amis et artistes en Chine avec qui j'ai des contacts sont régulièrement convoqués par la police et la police secrète pour discuter, afin de s'enquérir de mes nouvelles, avec pour instruction de ne pas me contacter.
C’est une expérience partagée avec les autres membres de son collectif pro-démocratie basé en France.
Pendant la visite de Xi Jinping en France, les familles d'au moins cinq membres de la communauté du “Front de la Liberté” ont été interrogées par la police en Chine.
Depuis 2021, nous avons organisé plus de neuf manifestations contre le Parti communiste chinois à Paris et avons également participé à des rassemblements organisés par d'autres groupes. Pendant ces événements, certaines personnes d'apparence asiatique nous ont délibérément photographiés, mais nous ne pouvons pas déterminer de quel groupe elles proviennent ni quelles sont leurs intentions.
“La France doit faire respecter les droits fondamentaux des personnes de la diaspora chinoise sur son territoire”
Ce phénomène se généralise, comme en témoigne le rapport d’Amnesty International publié le 13 mai 2024 sur la répression transnationale ciblant les étudiants chinois en Europe et aux États-Unis : près d'un tiers des étudiants interrogés affirme par exemple que les autorités chinoises avaient harcelé leur famille pour les empêcher de critiquer le gouvernement chinois ou ses politiques lorsqu'ils étaient à l'étranger.
Jean-Claude Samoullier, le président d’Amnesty International France a lui-même été témoin de ce type d’intimidation lors des manifestations du 5 mai place de la Madeleine :
C’est un vrai système de répression des voix dissidentes, en Chine comme à l’étranger. Les étudiants disent que les autorités chinoises vont voir leur famille en Chine et leur demandent de ne pas prendre part à des manifestations, avec des sanctions telles que la confiscation de passeport, des licenciements, le blocage de promotions, des suppressions d’allocation retraites et parfois même des restrictions physiques. Cela se traduit aussi par un phénomène de peur qui s’installe, qui entraîne de l’autocensure, les personnes n’osent pas témoigner, n’osent pas participer à des débats.
La France s’est engagée à faire respecter les droits humains sur son territoire, y compris pour les personnes de nationalité étrangère. Elle doit mettre en place des mécanismes de signalement et prendre les mesures administratives et pénales nécessaires pour faire respecter les droits fondamentaux des personnes de la diaspora chinoise sur son territoire.
Le 22 mai 2024, l’Institut Ouïghour d’Europe a déposé une plainte contre la répression transnationale par la République populaire de Chine à l’encontre de la diaspora ouïghour en France.
Contacté par notre rédaction, le ministère des Affaires étrangères déclare attendre “de ses partenaires qu’ils respectent pleinement les dispositions de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques” et “le plein respect du droit français sur le territoire national”. Selon le quai d’Orsay, “de telles activités de répression transnationale constituent une violation de souveraineté et sont donc inacceptables. Notre position est connue des autorités chinoises. La France met tout en œuvre pour empêcher les ingérences étrangères sur son territoire et protéger les droits et libertés fondamentaux des personnes se trouvant sur celui-ci.”