
Après deux jours d'averses, le soleil est enfin revenu sur la Côte d'Azur jeudi matin, éclairant de ses rayons le tapis rouge du 77e festival de Cannes, où a été rendu un nouvel hommage aux figures du #MeToo français.
Judith Godrèche, l'actrice et réalisatrice française devenue figure de proue du combat contre les abus sexuels était accompagnée de plusieurs dizaines de femmes qui ont participé à son court métrage "Moi aussi", œuvre chorale visant à encourager les victimes à témoigner. Ensemble, elles ont posé pour une photo de groupe sur les marches du Palais des Festivals, les mains couvrant leur bouche.
"Nous sommes réunies parce que nous avons été victimes d'abus", a déclaré Clare l’une des participantes. "Nous ne nous cachons plus. Nous montons les marches de Cannes comme les stars du cinéma”.
Judith Godrèche, de son côté, a appelé à changer le rapport de force. "La puissance de frappe du patriarcat domine les histoires de violence et réduit au silence beaucoup de personnes. Il faut rééquilibrer le pouvoir".
Cette photo de famille s'inscrit dans le thème de ce début de festival, axé autour des icônes féminines du cinéma et des personnages de femmes fortes.
Au même moment, loin du tapis rouge, les festivaliers sortaient des premières séances matinales de Cannes, l'occasion de rattraper les films qui avaient fait les gros titres la veille au soir.
Certains ont opté pour le rythme effréné de "Furiosa", de George Miller, dernier volet de la franchise "Mad Max". D'autres ont choisi "La jeune femme à l’aiguille" de Magnus von Horn – histoire de femmes vivant en marge de la société danoise au lendemain de la Première Guerre mondiale - salué par la presse anglophone, mais dont l’accueil critique a été plus timoré en France.
Autre proposition et non des moindres, "Rendez-vous avec Pol Pot", dernier film du réalisateur cambodgien Rithy Panh. Une exploration poignante du génocide perpétré par les Khmers rouges dans son pays d'origine.
"Rendez-vous avec Pol Pot" : Des journalistes en terrain génocidaire
Le cinéaste, lauréat du prix Un certain regard en 2013 pour "L'image manquante", a passé sa vie à reconstituer le puzzle de la tragédie qui a frappé le Cambodge entre 1975 et 1979, lorsque le régime de Pol Pot régnait sur l'ancienne colonie française dans un isolement total.
“Il vaut mieux ne pas voir l’horreur et rester vivants. Mais si on survit en voyant l’horreur, il faut témoigner” explique, depuis le Palais des festivals, ce réalisateur chevronné, qui avait 13 ans lorsque les Khmers rouges ont chassé sa famille de Phnom Penh.
Son nouveau film est basé sur le livre de la journaliste américaine Elizabeth Becker "Les larmes du Cambodge : l'histoire d'un auto-génocide" (When the war was over: Cambodia and the Khmer Rouge Revolution, 1988). Il suit un trio de journalistes et d'intellectuels français qui participent à un voyage de presse, rigoureusement encadré, au Kampuchea démocratique – nom attribué au Cambodge par le régime – dans l'espoir d'obtenir une interview avec Pol Pot.
Sous haute surveillance, le trio est escorté dans des villages Potemkine et des "coopératives" rurales censés vanter les mérites d'une révolution qui a chassé plus de deux millions de citadins de leurs foyers dans le but d'instaurer une utopie paysanne.
"La révolution doit faire table rase du passé", martèle le guide du trio, justifiant l'expérience brutale qui a coûté la vie à quelque 1,8 million de personnes, victimes d'exécutions massives, de famines et de maladies.

Le film explore les limites et les dangers du journalisme sous un régime génocidaire déterminé à "effacer 2 000 ans d'histoire" sans laisser de traces. “Les journalistes n’ont plus de prise sur un meurtre de masse invisible", souligne l'actrice franco-suisse Irène Jacob, dont le personnage de Lise Delbo est inspiré de celui d'Elizabeth Becker. “C'est pour ça qu’elle prend des notes en permanence tellement elle a peur de passer à côté”.
Rithy Panh s'abstient de filmer l'horreur qui est cachée aux trois visiteurs. Il utilise à la place un dispositif avec des figurines d'argile pour illustrer la réalité du génocide – tout comme il l'avait fait dans son film "l'Image manquante" de 2013. "Je crois à la force de l’image" explique-t-il. "Quand j’étais enfant, sous les Khmers Rouge, je regardais souvent le ciel et je rêvais qu’on me parachute un appareil photo. ”
Son film s'intéresse également aux idées préconçues des Occidentaux sur des Khmers rouges, en particulier celles de leurs alliés idéologiques, parfaitement inconscients des meurtres de masse qui étaient perpétrés – ou qui ont simplement refusé d'y croire.
Le Pol Pot de Rithy Panh lit des livres de Jean-Jacques Rousseau, cite Danton et écoute des chansons révolutionnaires françaises. Il évoque les racines coloniales de la tragédie perpétrée par les Khmers rouges, dont les principaux idéologues ont fréquenté les plus grandes universités françaises.
S'appuyant sur les travaux antérieurs de Rithy Panh, le film met en lumière les rouages idéologiques des régimes génocidaires, obsédés par l'élimination des tares humaines et des "ennemis intérieurs" de la société.
"La révolution avance sous le fouet de la contre-révolution", explique le guide du trio, qui insiste sur la nécessité d'"éliminer tous les parasites". "Mieux vaut pas d'humains du tout que des humains imparfaits", affirme Pol Pot, également connu sous le nom de "Frère numéro un", lors du rendez-vous qui a donné son nom au film. "Les révolutions passées ont échoué parce qu'elles ont cherché le compromis avec les faiblesses humaines".
"Megalopolis" : le film inratable de Coppola ?
Lorsque les troupes vietnamiennes sont entrées dans Phnom Penh en janvier 1979, renversant finalement le régime sanguinaire de Pol Pot, le réalisateur américain Francis Ford Coppola s'empressait de terminer une épopée tentaculaire sur la guerre du Viêt Nam qui allait entrer dans l'histoire du cinéma, à Cannes, quelques mois plus tard.
"Apocalypse Now", production chaotique au surcoût faramineux a été récompensée par une Palme d'or après une première qui a marqué la mythologie du festival. Du même coup, Francis Ford Coppola devenait le premier cinéaste couronné à deux reprises à Cannes, après sa première victoire pour "Conversation secrète" en 1974.
Près d'un demi-siècle plus tard, le vétéran d'Hollywood est en lice pour une troisième Palme d'or, un record, avec un nouveau mastodonte au coût exorbitant, résultat de plusieurs décennies de labeur.
"Megalopolis" est le premier film de Coppola depuis 13 ans. Comme "Apocalypse Now", il a atterri à Cannes auréolé de rumeurs faisant état de problèmes de production et d'inquiétudes quant à la qualité du final cut.
Il a également coûté au réalisateur de 85 ans la somme astronomique de 120 millions de dollars, financée en partie par la vente de son domaine viticole californien.
Présenté comme une épopée romaine transposée dans l'Amérique d'aujourd'hui, le film met en scène Adam Driver dans le rôle d'un architecte visionnaire cherchant à reconstruire un New York au bord de la ruine. Avec Aubrey Plaza, Shia LaBeouf et Dustin Hoffman dans la distribution, il s'agit de l'avant-première la plus attendue du festival.
Devant le Palais des festivals, parmi la foule compacte, massée pour apercevoir la légende d’Hollywood et son casting cinq étoiles, Cinzia, enseignante dans un lycée italien, et plusieurs de ses élèves. "Coppola, Hoffman, Driver, c'est difficile à battre", se réjouit-elle. Son élève Emma écarte d’emblée l'idée d'un échec pour le double lauréat de la Palme d'or. "Quand on a fait Le Parrain, on ne peut pas produire un film raté".
Costume noir, chapeau panama et canne à la main, Francis Ford Coppola fait finalement son apparition sur le tapis rouge. Et c’est justement au son de "Brucia la terra", l’hymne de sa trilogie mythique sur la mafia américaine que le cinéaste pose pour une photo de famille avec l’équipe du film. l'issue de la projection, le réalisateur a été gratifié d’une standing ovation de 10 minutes au Grand théâtre des Lumières, à la hauteur de l’attente suscité par son nouvel opus.
Francis Ford Coppola recibió una ovación de 10 minutos en El Festival De Cannes 🪄🎥
El reconocimiento a una leyenda del séptimo arte✨ pic.twitter.com/iHJNmD5aVG
