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Qui est Tsav 9, le collectif radical israélien qui cible l’aide humanitaire vers Gaza ?
La police israélienne a annoncé, mardi, l’ouverture d’une enquête après le blocage et le saccage, la veille, de sept camions d’aide humanitaire en provenance de Cisjordanie occupée et à destination de la bande de Gaza. Plusieurs médias israéliens pointent la responsabilité de Tsav 9. Créé en janvier dernier, ce collectif radical soutenu par l’extrême droite revendique de multiples blocages visant l’enclave palestinienne tant que les otages israéliens encore retenus ne seront pas libérés.

Des sacs de céréales, de riz et de farine vidés ou jetés au sol et piétinés. C'est ce qu’il est advenu, lundi 13 mai, des marchandises de camions chargés d’aide humanitaire en direction de Gaza. Des dizaines de militants non identifiés, parmi lesquels de nombreux adolescents et jeunes hommes selon l’AFP, ont dévalisé ces camions en Israël, peu après le point de passage de Tarqumiya avec la Cisjordanie occupée, à proximité du village israélien de Shekef.

Le lendemain, la police israélienne a ouvert une enquête. Dans un communiqué, son porte-parole a précisé que suite à un "trouble à l'ordre public", "les forces de l'ordre ont ouvert une enquête qui a abouti à l'arrestation de plusieurs suspects". Cette action radicale a même fait réagir la classe politique israélienne : l’ancien ministre de la Défense, Avigdor Liberman, a apporté le 15 mai sur X son soutien à Tsav 9 quand, au contraire, le chef de l’opposition israélienne Yaïr Lapid a condamné sur X “une attaque”.

Des manifestants israéliens d'extrême droite ont bloqué et vandalisé au moins sept camions humanitaires venus de Cisjordanie en direction de Gaza #AFPVertical ⤵️ pic.twitter.com/9gC6EaBzCB

— Agence France-Presse (@afpfr) May 14, 2024

Deux Israéliennes sur place – se présentant comme des “militantes sociales” – ont documenté ce saccage sur les réseaux sociaux à l’appui de photos et de vidéos. ”Nous avons fait ce que nous pouvions pour empêcher aujourd’hui (lundi) des centaines de colons de détruire la nourriture qui était censée nourrir des dizaines de milliers de personnes à Gaza”, a expliqué l’une d’elles, Sapir Slutzker Imran, sur Facebook et X.

Et de mentionner que les auteurs présumés de ces agissements sont “un groupe de colons de l’organisation Tsav 9 et leurs partisans”.

Plusieurs médias israéliens ont aussi mentionné la présence de ce collectif radical le jour du saccage, comme l’a écrit le journal The Times of Israël : “Le groupe d'activistes Tsav 9, qui cherche à stopper les transferts de fournitures humanitaires vers Gaza tant que des Israéliens y sont retenus en otage, a revendiqué plus tôt dans la journée le blocage de la cargaison au point de contrôle de Tarqumiya.”

“Mouvement d’activistes de droite, dont des fous violents”

Ce collectif, qui a été lancé à la fin du mois de janvier dernier, est nommé ainsi en référence à “Tsav 8” (“Ordre n°8” en français) – le code d’alerte envoyé aux réservistes de l’armée israélienne en cas de mobilisation. Tsav 9 n’en est pas à son premier fait d'armes : on trouve trace de ses premiers blocages le 18 janvier, du côté du point de passage de Kerem Shalom – endroit par lequel transite une grande partie de l’aide humanitaire à destination de la bande de Gaza.

Dès le départ, ce collectif se rassemble sous un mot d’ordre : “Aucune aide n’entre jusqu’au retour des otages” – 128 personnes étaient encore détenues à Gaza le 7 mai, selon les autorités israéliennes. "C'est une initiative civile, le but est de bloquer les convois humanitaires” à destination de Gaza, a expliqué début février Rachel Touiti, porte-parole francophone du mouvement Tsav 9.

פעילי צו 9 חסמו משאיות סיוע הומניטרי לעזה במעבר תרקומיא סמוך לחברון pic.twitter.com/vatwKELeud

— החדשות - N12 (@N12News) May 13, 2024

Et elle a estimé que “jusqu'à 70 %” des marchandises de ces camions arriveraient “dans les mains du Hamas”. Un postulat qui s'appuie sur des propos rapportés du chef du service de renseignement Shin Bet, Ronen Bar, selon lequel entre 60 et 70 % de l'approvisionnement destiné aux civils palestiniens bénéficierait aux combattants du mouvement islamiste palestinien.

De quelques dizaines de personnes au départ, Tsav 9 en rassemblerait aujourd’hui 400 selon Rachel Touiti, interrogée en février par la chaîne israélienne Tandem TV.

La porte-parole explique que le collectif est là “pour porter la voix générale : on a des gens de gauche, de droite, des jeunes, des moins jeunes, des religieux, des laïcs... Au vu de ces dernières années, je n'ai jamais vu de protestation qui ait rassemblé des gens aussi différents.”

אזרחים ישראליים חוסמים משאיות סיוע לעזה ופורקים אותן ליד נגוהות. דילגנו על לבנון נהיינו סומליה. pic.twitter.com/eIxJz4og9U

— Omri Lavi 🇮🇱🇺🇦🏳️‍🌈 (@omlavi) May 13, 2024

Bien que le collectif compte dans ses rangs des proches d’otages tués à Gaza et des réservistes, il “attire surtout des activistes de droite et d'extrême droite”, comme l’a relaté fin janvier franceinfo lors d’un reportage sur une de ses actions à Kerem Shalom.

“En apparence, Tsav 9, qui est un tout petit mouvement, est un collectif ‘hétérogène’. Mais en réalité, il s'agit d'un mouvement d'activistes de droite, dont des fous violents, principalement des colons”, explique Ahron Bregman, politologue et spécialiste du conflit israélo-palestinien au King’s College de Londres.

Tsav 9 bénéficie aussi de plusieurs soutiens, dont l’association Israel Is Forever, un mouvement sioniste radical, le mouvement d’extrême droite Regavim ou encore l’ONG d’extrême droite Honenu.

“Immoral de détruire de la nourriture en route pour être distribuée à des civils affamés”

Les blocages de convois humanitaires par Tsav 9 détonnent au vu de la situation humanitaire sur le terrain qui préoccupe depuis plusieurs mois des organisations internationales, dont l’ONU. "La famine est là, une véritable famine dans le nord, et qui se déplace vers le sud" de l’enclave palestinienne, a déclaré dernièrement à la chaîne américaine NBC la directrice du Programme alimentaire mondial (PAM), Cindy McCain.

À cela s’ajoutent les difficultés d’acheminement de l’aide humanitaire : seuls six camions ont pu entrer dans le sud de Gaza depuis le 5 mai et la prise de Rafah par l’armée israélienne, selon l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). À titre de comparaison, ce chiffre était d’environ 130 camions par jour en moyenne depuis le 7 octobre – une aide qui était déjà insuffisante par rapport aux 500 camions par jour nécessaires estimés par l’Unrwa.

Dans ce contexte, les blocages de Tsav 9 sont “scandaleux”, affirme Jessica Montell, directrice de l’organisation israélienne de défense des droits humains HaMoked : “Il est immoral de détruire de la nourriture en route pour être distribuée à des civils affamés. Mais ce qui est encore plus scandaleux, c'est qu'il n'y a pas de policiers ni de soldats pour les arrêter. Où sont les forces de l'ordre pour empêcher un tel acte ?”

Selon Ahron Bregman, ces actions radicales du collectif “causent d'immenses dommages à Israël sur le plan international, comme en témoignent les images de Gaza montrant des Palestiniens affamés, qui contrastent avec celles des militants de Tsav 9 – principalement des colons violents – qui détruisent les denrées alimentaires en route vers Gaza.”