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La vérification, en bref :
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Depuis le 8 mai, l'ONU est accusée d'avoir discrètement diminué de 10.000 morts le nombre de victimes de la guerre à Gaza et d'avoir divisé par deux le nombre de femmes et d'enfants morts. Ce jour-là, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU (Ocha) a procédé à des modifications dans la présentation des données concernant le nombre de personnes tuées dans son bulletin d'information.
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Mais l'Ocha n'a pas revu à la baisse le bilan global des morts à Gaza. L'institution, qui s'appuie sur les chiffres du Ministère de la santé gazaoui, a seulement précisé que plus de 10.000 personnes tuées parmi les 35.000 victimes n'avaient pas encore été identifiées.
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L'Ocha a toutefois arrêté de diffuser le chiffre beaucoup repris dans les médias mais erroné selon lequel 70% des victimes seraient des enfants et des femmes. Depuis le 8 mai, l'instance onusienne indique désormais que 52% des victimes sont des femmes et des enfants, contre 70% auparavant.
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Cela ne signifie pas que le nombre de femmes et d'enfants a été divisé par deux : l'Ocha indique désormais que 13.000 femmes et enfants ont été décomptés parmi les 24.686 morts identifiés. Auparavant, le chiffre erroné de 24.000 femmes et enfants morts s'appuyait sur le total de 35.000 qui comprenait des morts non identifiés.
La vérification en détails :
Le bilan des victimes palestiniennes à Gaza a-t-il été diminué par les institutions onusiennes ? Depuis le 8 mai, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l’ONU, l'Ocha, est en effet accusé d'avoir "discrètement" modifié les données issues de son bulletin quotidien sur les victimes gazaouies depuis le début de la guerre le 7 octobre.
"L'ONU a ENFIN modifié son bilan victimaire à Gaza", soutient notamment un compte sur X. dans un tweet publié le 12 mai et vu plus de 350.000 fois, cet internaute affirme que l'ONU a décompté dans son nouveau bilan du 8 mai "10.000 morts de moins" qu'auparavant.
De nombreux autres comptes pro-israéliens affirment aussi que l'Onu aurait "divisé par deux le nombre de femmes et d'enfants tués à Gaza".
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Ce nouveau bilan serait ainsi une "confirmation officielle que le ministère de la Santé de Gaza, dirigé par le Hamas, gonflait le nombre de victimes", selon un autre tweet.
Un bilan humain "inchangé"
Sur quoi se fondent ces accusations ? Sur la nouvelle présentation du bilan humain opérée par l'Ocha.
De manière quasi-quotidienne, le bureau onusien recense via un bulletin le nombre de morts et de blessés à partir des données collectées par le ministère de la santé gazaoui, géré par le Hamas.
Depuis le 8 mai, Ocha a en effet précisé certaines données sur le bilan humain dans son document et retiré des chiffres erronés de son rapport quotidien sur le bilan humain des morts à Gaza.
Mais ces changements ne remettent pas en cause le bilan actuel - 35.091 au 13 mai, ni ne diminuent de moitié le nombre global de femmes et d'enfants tués.
Dans son graphique sur le nombre de morts, l'Ocha a uniquement rajouté une précision que seules 24.686 victimes avaient été complètement identifiées par le Ministère de la santé gazaoui. Pour les 10.000 autres victimes, l'ensemble des données (sexe, nom ou encore date de la mort) n'a pas encore été collecté. Ces 10.000 victimes figurent néanmoins dans le chiffre global publié par l’Ocha.
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La différence entre les victimes identifiées et non identifiées s'explique par la difficulté à récupérer les informations sur le terrain en temps réel, du fait de l'effondrement du système sanitaire gazaoui, à l'origine des remontées des morts identifiés via les morgues et hôpitaux.
“La récolte des données est extrêmement compliquée en temps de conflit”
"Tout le monde sait que la récolte des données est extrêmement compliquée en temps de conflit, du fait notamment de la difficulté d'accès au terrain", rappelle Louise Beaumais, doctorante au Center for International Studies (CERI) à Sciences Po.
Depuis le début de la guerre, le bilan du ministère de la santé s'appuie sur les informations remontées par les hôpitaux de Gaza. Mais les dysfonctionnements liés à la guerre du système hospitalier ont poussé le Ministère de la santé gazaoui à s'appuyer en parallèle sur d'autres sources décrites par les autorités palestiniennes comme des "sources médiatiques fiables", à savoir des rapports médiatiques ou des témoignages. Un formulaire en ligne est aussi diffusé à la population depuis janvier pour déclarer les victimes.
Cette méthodologie plus opaque a toutefois été critiquée par certains analystes comme le spécialiste de l'association Every Casualty Counts Michael Spagat, soulignant une plus grande difficulté à identifier formellement les victimes à partir de ce type de source.
Le chiffre de 70% de femmes et d'enfants tués retirés du bilan de l'Ocha
Interrogé à ce sujet le 13 mai lors d'une conférence de presse, le porte-parole du secrétariat général de l'ONU Farhan Haq a toutefois indiqué que le bilan humain global "demeurait inchangé" malgré cette distinction.
8/ Today, Farhan Haq, Deputy Spokesperson for the Secretary-General, was asked about the 'halving'. He refutes the 'halving' narrative, stating clearly that MoH have FULLY identified 24,686 of the dead. Haq states that the >35000 number of fatalities remains… pic.twitter.com/ifehz2q60v
— Marc Owen Jones (@marcowenjones) May 13, 2024Ce dernier a toutefois reconnu la difficulté de donner les chiffres les plus précis et fiables possibles dans le contexte actuel de "brouillard de guerre". "Ce qui a changé, c'est que le Ministère de la santé de Gaza a mis à jour la répartition des décès".
Car depuis le 8 mai, l'ONU a aussi cessé de partager un chiffre beaucoup repris dans les médias, mais critiqué par de nombreux observateurs : que plus de 70% des victimes seraient des femmes et des enfants.
Depuis plusieurs mois, beaucoup d'observateurs et de médias, dont Libération en France, ont remis en cause ce chiffre jamais détaillé et considéré comme incohérent. Ce chiffre, qui englobait ainsi des morts à l'identité pourtant inconnue, a tout de même été mis en avant pendant plusieurs mois par le Ministère de la santé gazaoui et repris par le bureau de presse du gouvernement du Hamas dans ses bilans quotidiens.
Interrogé par le média Sky News début avril, Zaher al Wahaidi, qui dirige le Centre d'information sur la santé du Ministère de la santé gazaoui, avait reconnu ne pas être en mesure d'expliquer la base de cette estimation ni qui l'avait produite.
Depuis avril, ces chiffres n'apparaissent désormais plus dans les bilans du Ministère de la santé gazaoui. Ils sont toutefois toujours partagés par le bureau de presse du gouvernement gazaoui le 13 mai sur leur chaîne Telegram, et étaient aussi repris par l'Ocha jusqu'au 6 mai.
Jusqu'au 6 mai dernier, Ocha reprenait ainsi à tort des chiffres erronés des autorités gazaouies déclarant que 9500 femmes et 14.500 enfants (soit 72% des 35.000 morts) avaient été tués depuis le début du conflit.
D'où cette modification tardive dans ses bilans depuis le 8 mai : l'Ocha précise désormais uniquement le pourcentage de femmes et d'enfants parmi les 24.686 morts identifiés. Selon ce décompte corrigé sur la base des victimes identifiées, on compte désormais 4.959 femmes (20%) et 7.797 enfants (32%) parmi les victimes, soit 52% du nombre total des morts identifiés.
A partir de cette correction faisant passer le nombre de femmes et d'enfants morts de 24.000 à 13.000, de nombreux comptes pro-israéliens ont prétendu que l'ONU avait "divisé par deux le nombre de femmes et d'enfants tués à Gaza".
Une affirmation trompeuse alors que le chiffre repris désormais par l'Onu ne s'appuie plus que sur le nombre de morts identifiés (24.686), et non sur l'ensemble des morts (35.091).
Le Ministère de la Santé, source unique du bilan humain à Gaza
Le bilan du Ministère de santé gazaoui, très critiqué par le gouvernement israélien, est toutefois considéré comme globalement fiable depuis le début de la guerre par de nombreux observateurs et organisations, comme l'Organisation mondiale de la santé ou Human Rights Watch.
Plusieurs chercheurs qui analysent ces chiffres depuis le début du conflit ont de leur côté expliqué que le bilan global est aussi probablement sous-évalué, malgré les erreurs concernant l'identité des victimes. "Le système de collecte d'informations du Ministère de la santé est en retard sur la réalité", a indiqué Michael Spagat dans un article du 17 avril qui détaillait pourtant les failles des données du Ministère de la santé.
"Je pense que ce bilan est le plus fiable que l'on peut avoir. Plusieurs études montrent même une sous-estimation de la situation", indique aussi Louise Beaumais.
Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou a lui-même estimé qu'au moins 30.000 personnes avaient été tuées dans la bande de Gaza depuis le début de la guerre, tout en affirmant que 14.000 d'entre eux étaient des “combattants”.
De son côté, l'Onu a maintenu sa confiance envers le bilan du Ministère de la santé gazaoui.
"Nous avons ces dernières années la triste expérience d'une coordination avec le Ministère de la Santé sur les chiffres des victimes lors d'incidents de grande ampleur à Gaza", a rappelé Farhan Haq. "Et par le passé, leurs chiffres se sont avérés généralement exacts".
Le porte-parole a aussi rappelé que les équipes de l'ONU étaient dépendantes de ces données à cause de l'incapacité à "identifier et vérifier ces chiffres de manière indépendante, compte tenu de la situation sur le terrain, de la poursuite des combats et du nombre de victimes".