
Selon un communiqué du procureur général de l’État d'Oaxaca, huit corps ont été retrouvés sur une plage, à l’extrême sud du Mexique, jeudi 29 mars. Sept femmes et un homme, tous originaires de Chine, étaient à bord d’une embarcation conduite par un homme mexicain. Ils partaient de Tapachula, ville mexicaine située à la frontière avec le Guatemala et tentaient de rejoindre la ville de Juchitan, située à 400 km, un point de transit pour les migrants du monde entier.
🚨 Identifican como migrantes chinos a 8 personas que naufragaron en mar de Oaxaca https://t.co/PRMlwwBGmU
— El Universal Oaxaca (@ElUniversalOax) March 31, 2024“Il y a des postes de police qui nous réclament entre 30 et 50 euros à chaque contrôle.”
Notre Observateur Yun Chang Sheng (pseudonyme), 27 ans, a fait le même trajet, durant l’été 2023 :
Au Mexique, de Tapachula à Juchitan, si on prend la route par la terre, il y a une dizaine de postes de police qui nous réclament entre 30 et 50 euros à chaque contrôle. Par bateau, il est possible de les contourner, mais c’est très dangereux.
Si ces migrants se retrouvent au Mexique, c’est que les demandes de visa direct de Chine pour les États-Unis sont en général rejetées. Ils décident donc de prendre le chemin de l’immigration clandestine, dans un périple qui traverse plusieurs continents. Grâce à ses économies et des dons d’abonnés sur X, notre Observateur Yun Chang Sheng (pseudonyme) récolte suffisamment d’argent pour acheter un billet d’avion, direction la Turquie, “un pays touristique qui brouille les pistes du gouvernement chinois”, raconte le jeune homme. Il se rend ensuite à Quito, en Équateur, pays où le visa n’est pas obligatoire pour les Chinois, puis commence un trajet de 60 jours, à travers l'Amérique centrale vers la frontière entre le Mexique et les États Unis.

Malgré la dangerosité du trajet, le nombre de ressortissants chinois ayant traversé illégalement la frontière mexico-américaine explose. Alors qu’ils étaient 2 000 en 2022, ils sont passés à plus de 25 000 en 2023, selon le service des douanes de la protection des frontières des États-Unis. Et cette tendance ne cesse de s'accélérer en 2024 puisque depuis janvier, 9 000 migrants en provenance de Chine ont déjà tenté de rejoindre les États-Unis de manière illégale.
Des conseils échangés sur les réseaux sociaux
L’immigration chinoise illégale aux États-Unis n’est pas nouvelle, comme le rappelle Ken Guest, professeur d’anthropologie au Baruch College, à New York :
Le flux de migrants sans papiers augmente régulièrement depuis le début des années 1980, mais après 2016, sous l’administration Trump, ces chiffres avaient diminué. La nouvelle s'est répandue en Chine qu'il était plus difficile de venir, mais aussi que les gens étaient moins bien accueillis. Cette baisse s'est poursuivie avec le Covid. Je vois donc la migration actuelle comme un retour, d'une certaine manière, aux niveaux d'immigration antérieurs, mais avec une diversification des routes empruntées par les Chinois pour atteindre les États-Unis.
Les chiffres actuels sont cependant supérieurs à ceux des années 2010. Parmi les causes de l’exil, on trouve la censure, les persécutions religieuses mais surtout la crise économique et les restrictions imposées par le gouvernement chinois pendant le Covid-19. En juin 2023, le taux de chômage des jeunes chinois de 16-24 ans avait atteint un record de 20,8 %.
“Ils m’ont aussi dit que si je craignais de ne pas être payé, le plus simple était de ne pas travailler.”
Yun Chang Sheng (pseudonyme) était ouvrier en Chine. Lorsque son entreprise cesse de lui verser son salaire, il décide de partir. Sa demande de visa américain refusée, il cherche d’autres moyens de se rendre aux États-Unis, grâce aux réseaux sociaux.
Je suis allé au tribunal pour réclamer mon salaire. Le tribunal m’a répondu que seule l’entreprise décidait de me régler ou non. Ils m’ont aussi dit que si je craignais de ne pas être payé, le plus simple était de ne pas travailler. Je ne pouvais même pas m’en plaindre, la liberté d’expression n’existe pas en Chine. Dire ce que l’on pense sur les réseaux sociaux est risqué pour moi, et même pour mes proches.
Theresa Cheng siège au conseil d’administration de l’association Border Kindness, qui aide les migrants à la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Elle est témoin du nombre croissant de Chinois qui entrent par la frontière sud-américaine :
Les chinois ont peur pour leur avenir et pour celui de leurs enfants. Certains ne gagnent que 20 dollars par mois et ne peuvent pas offrir de soins médicaux à leurs enfants, alors ils fuient. Les réseaux sociaux sont devenus un véritable manuel d'instructions sur la manière de rentrer illégalement aux États-Unis.
En tapant le mot clé “Zǒu xiàn” (“走线”), qui signifie “marcher sur la ligne” en chinois et désigne le trajet en Amérique latine, sur X, Telegram ou Facebook, des centaines de comptes délivrent des conseils sur la manière de prendre la route.

Ce groupe Facebook intitulé “les Migrants Chinois au Mexique”, donne ainsi des conseils à ses 15 800 membres sur les villes à traverser et les zones à éviter avant de se rendre aux États-Unis. Dans la description du groupe Facebook, on peut lire : “J'espère faire de ce groupe une plateforme permettant aux gens d’échanger, de dépenser le moins d'argent possible et atteindre sa destination le plus rapidement possible.”
“Je sentais la mort planer au-dessus de moi.”
Selon les services migratoires panaméens, en 2023, les Chinois sont devenus la quatrième nationalité à traverser la jungle du Darien, un passage extrêmement dangereux situé entre la Colombie et le Panama.
Notre Observateur Li Ming (pseudonyme), 42 ans, est musulman. C’est après avoir découvert les camps de travail forcé dans le Xinjiang grâce aux médias étrangers qu’il a décidé de se réfugier aux États-Unis en 2023, par peur des répercussions religieuses. Pour atteindre la liberté, il traverse la jungle sauvage du Darien en trois jours.
On marchait 10 heures par jour, sans nourriture et sans eau. Je sentais la mort planer au-dessus de moi. J’ai même vu un cadavre. J’ai dû payer 1 100 dollars à des gangs pour ne pas me faire dépouiller. Ce qui m’a fait tenir jusqu’au bout, c’est l’envie de vivre. Je savais que si je restais en Chine, je risquais ma vie.
巴拿马🇵🇦雨林第一天香蕉林烂泥路 pic.twitter.com/p6HeI6P8Zu
— 独闯美国的牛马驴骡–宝仔(baozai)🇨🇳🇺🇸 (@weixin738489775) June 16, 2022Au total, nos deux Observateurs ont dépensé 10 000 dollars chacun pour traverser l'Amérique centrale. “Une partie du succès de la migration chinoise au cours des 40 dernières années a été la capacité à mobiliser un capital financier à partir d'un réseau de famille et d'amis. Une fois arrivés à destination, ils aident à leur tour d'autres personnes à venir aussi ”, analyse Ken Guest.
Franchir le mur
Le mur ne s’étend que sur une partie de la frontière entre le Mexique et les États-Unis. Les migrants le contournent, et une fois sur le sol américain, attendent parfois des jours dans des zones de détention à l’air libre, avant d’être contrôlés par des patrouilles frontalières. Ils patientent ensuite de nouveau pour obtenir un éventuel statut régularisé. “Notre système d'immigration a déjà plusieurs années de retard, il faut plus de trois ans pour obtenir une réponse définitive à une demande d'asile ”, estime Theresa Cheng. Entre 2012, année de prise de pouvoir de Xi Jinping, et 2023, le nombre annuel de demandeurs d'asile aux États-Unis en provenance de Chine est passé de 3 000 à 95 00, selon les données du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés.
到美国了,到家了,接下来先去丁胖子广场 pic.twitter.com/oB9WsJNtwa
— 一路向北 (@lhao6293) September 17, 2023Li Ming (pseudonyme) est maintenant mécanicien à Los Angeles et Yun Chang Sheng travaille dans un restaurant chinois, à New York. Même après avoir atteint le rêve américain, tous deux restent inquiets pour leur famille, restée en Chine.
La police peut se rendre chez moi et menacer mes parents si je critique le parti de l’étranger, confie Yun Chang Sheng, Tous ceux qui sortent de Chine ont peur des répressions des autorités chinoises sur leur famille.