
Le geste est sûr, précis. Il a été fait des milliers de fois. Florent, planteur ivoirien basé à la frontière avec le Liberia, coupe d’un coup de machette les cabosses de cacao prêtes à être récoltées dans son champ. Il y en a trop peu cette année, les fortes pluies ayant empêché la floraison. Les fèves que Florent tient dans sa main sont devenues un produit rare, dont la valeur atteint des sommets. Fin mars, le cours mondial du cacao affichait 10 000 dollars la tonne (environ 9 410 euros), du jamais-vu.

Un niveau de prix historique
Premiers maillons de la chaîne de production, les planteurs comme Florent restent pourtant les derniers à profiter de cette hausse de prix. En Côte d’Ivoire, le système de vente anticipée et de stabilisation de la valeur du cacao fonctionne avec un prix minimum fixé par le gouvernement. Il y a quelques semaines, compte tenu des envolées spectaculaires sur le marché international, des syndicats de producteurs se sont mobilisés pour réclamer une augmentation.
Après la menace d’une grève généralisée, suivie d’intenses négociations avec le gouvernement, le ministre de l’Agriculture Kobenan Kouassi Adjoumani a finalement annoncé, le 2 avril, augmenter le prix au kilo de 1 000 francs CFA (environ 1,52 euro) à 1 500 francs CFA (2,29 euros). "Un niveau de prix jamais atteint dans l’histoire de la filière", s’est-il félicité. Un soulagement pour les producteurs du pays, et une victoire certaine pour les syndicats. Pourtant, leur combat ne s’arrête pas là.

Trafic de cacao
Dans l’ouest du pays, Florent est régulièrement approché par des trafiquants, qui proposent de vendre son sac de cacao de l’autre côté de la frontière, dans les pays voisins qui ont un système libéralisé – Guinée, Liberia – où le kilo d’or brun se vend à 2 000 francs CFA (3,05 euros), parfois plus. Tentant pour ceux dont le quotidien reste difficile.
"Actuellement, tout en Côte d’Ivoire a augmenté", déplore Florent. "Le riz pour nourrir les salariés, les engrais… Si certains font du trafic, c’est qu’il y a une insatisfaction sur les prix", souligne-t-il.
Pour lutter contre cette fuite du cacao, des séances de sensibilisation sont régulièrement organisées par les syndicats dans les villages. Assis en rond, sur des bancs, ces derniers tentent, lors de longues conversations, de dissuader les planteurs de vendre aux trafiquants. Un cacao ivoirien qui reste en Côte d’Ivoire, premier producteur mondial, profite à tous. Mais pour beaucoup, il faut s’attaquer aux racines du problème.

Vers un système hybride ?
À Abidjan, d’autres syndicats continuent le bras de fer avec le gouvernement. "Le système en lui-même ne pose aucun problème car la stabilisation garantit et sécurise le revenu du producteur. Mais nous souhaitons un autre palier, un système hybride", explique Thibeaut Yoro, de la Centrale syndicale agricole. Avec un mécanisme simple : la stabilisation est maintenue, mais une marge est ajoutée sur le principe de libéralisation. "Quand les prix flambent à l’international, nous voulons en bénéficier", justifie le syndicaliste.
Pour avoir plus de poids, 76 organisations, associations et coopératives – représentant un million de producteurs – se rassemblent au sein de l’Organisation interprofessionnelle agricole café-cacao (OIA). "L’État s’est approprié la gestion de la filiale, mais il n’est pas planteur. La filière doit être gérée par les planteurs eux-mêmes", assure Thibeaut Yoro. L’OIA, qui devrait naître au mois de juillet, aura pour objectif de coordonner la représentation des planteurs et de peser davantage sur la gestion de la filière.
"Il ne faut pas faire de politique"
Avec, pour première revendication, de passer le prix du cacao au kilo de 1 500 à 2 500 francs CFA (de 2,29 à 3,81 euros). Une utopie ?
"Il y a ceux qui rêvent et ceux qui restent dans la réalité", se défend le ministre de l’Agriculture, qui argue qu'"il ne faut pas faire de politique" avec le cacao. Une pique lancée au principal parti d’opposition, le PDCI-RDA, qui milite depuis le début des négociations pour un prix fixé à 2 500 francs CFA.
"Malgré un marché qui représente 40 % de la production mondiale, plus de 80 % de nos producteurs de cacao vivent encore sous le seuil de pauvreté", a déclaré le 11 avril Simon Doho, président du groupe parlementaire PDCI-RDA, lors d’un échange avec les producteurs de Bangolo, dans l’ouest du pays.
Selon lui, la production des précieuses fèves – en baisse significative depuis quelques années, notamment à cause du changement climatique – continuera de chuter, faisant encore augmenter les prix du marché. "On nous a trop volés", prévient le député d’opposition, qui promet de se battre pour un prix à 3 500 francs CFA le kilo (5,33 euros) à l’ouverture de la campagne principale en octobre prochain. Tout en faisant miroiter de nouvelles perspectives offertes par le PDCI-RDA si le parti parvient à remporter la présidentielle en 2025.