La vérification en bref
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Les conclusions de l’article cité par les internautes ne nient pas la réalité de la hausse du niveau de la mer : l’étude explique que, localement, cette hausse est compensée par des facteurs géologiques et humains
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La hausse du niveau de la mer est due au réchauffement climatique : l’augmentation des températures entraîne la fonte des glaciers et des calottes polaires, ainsi que la dilatation de l’eau qui se réchauffe et occupe un volume plus important
La vérification dans le détail
L’augmentation de la superficie de certaines îles serait-elle contradictoire avec la montée des eaux ? C’est ce qu'affirment de nombreux internautes sur les réseaux sociaux, reprenant les conclusions d’une étude publiée en mars par Taylor & Francis, une importante maison d’édition scientifique britannique. À partir de points de référence établis par satellite en 1990, les scientifiques ont évalué l’avancée et le recul du littoral d’îles du Sud-Est asiatique, de l’Océan Indien et de la mer Méditerranée.
Les posts sur Facebook et X assurent que la montée du niveau de la mer n’est pas réelle, car l’étude montre que la superficie de certaines îles a augmenté. Ils se basent pour cela sur un article publié par un site d’information allemand, Report24. L’article conclut que les propos prétendument alarmistes de “l'hystérie climatique” seraient faux. Ce site a déjà été épinglé par l’AFP et des vérificateurs indépendants allemands, à propos de la diffusion de fausses informations, notamment sur le Covid-19. L’information a ensuite été partagée par ZEjournal un site francophone décrit par Conspiracy Watch comme “un site conspirationniste d’extrême droite” et reprise par des dizaines d’internautes.
Dans un post Telegram, Silvano Trotta, qui adhère à de nombreux discours complotistes, reprend de réels extraits de l’étude, en les sortant de leur contexte. Il affirme que, “alors que 88% des îles n’ont connu aucun changement significatif entre 1990 et 2020, seulement 12% ont connu des changements majeurs. Dans l'ensemble, selon l'analyse des données satellitaires, 6% des îles ont pu étendre leurs zones côtières, tandis que 7,5 % ont perdu des zones côtières (principalement à cause de l'érosion).”
Cette affirmation tirée de l’article permet à Silvano Trotta d’affirmer que des îles paradisiaques ne sont pas “englouties par la mer” comme le prétendent selon lui des discours “alarmistes”. Mais cette affirmation ne prend pas en compte, comme cité dans l’étude, le caractère artificiel et humain d’une partie du littoral.
L’étude donne l’exemple de l’archipel Zhoushan, non loin de Shanghai qui a récemment gagné du terrain sur la mer, notamment après avoir vu croître ses zones dédiées aux activités portuaires et industrielles.
Il y a donc bien une avancée de certains littoraux sur la mer, notamment à cause de facteurs humains tels que la croissance urbaine, le développement des économies portuaires et l'augmentation des activités aquacoles. Cependant, l’étude précise bien qu’au global, “les rivages naturels représentaient 192 500 km en 1990 [...] et 189 000 km en 2020.”
Par ailleurs, il est à noter que la présence humaine peut également être un facteur aggravant de la montée des eaux selon Gilles Ramstein, paléo-climatologue, contacté par notre rédaction. “Si vous regardez le Delta du Mékong,” explique-t-il, “la hausse globale du niveau de la mer se traduit par le sel qui s’introduit dans les terres et salinise l’eau, et est aggravé par le fait que le Delta s’enfonce sous le poids des constructions, dix fois plus vite que la mer ne monte.”
“L'élévation du niveau de la mer continuera à poser un défi”
Des internautes relaient également cette citation tirée de l’étude pour relativiser l’importance de la montée des eaux : “Contrairement aux hypothèses initiales, nos données empiriques ne permettent pas de relier de manière concluante l'érosion généralisée des littoraux insulaires à l'élévation historique du niveau de la mer, ce qui suggère que les activités humaines pourraient masquer les effets de l'élévation du niveau de la mer.”
Cette citation en elle-même ne nie pas l’existence et l’importance de la hausse du niveau de la mer. La suite permet d’autant plus de comprendre que les auteurs de l’étude ne remettent en aucun cas en cause la dangerosité de la hausse du niveau de la mer : “Sur la base d'une analyse approfondie des données actuelles et de l'examen des futurs scénarios de niveau de la mer, nous pensons que l'élévation du niveau de la mer continuera à poser un défi important aux communautés insulaires”, écrivent-ils.
L’étude le rappelle également dans ses conclusions: “indépendamment des impacts historiques ou actuels de l'élévation du niveau de la mer sur les îles, la dernière évaluation du GIEC AR6 WGI indique avec une grande confiance que tous les facteurs climatiques qui impactent les littoraux, y compris l'élévation relative du niveau de la mer, les inondations côtières et l'érosion côtière, devraient s'intensifier dans presque toutes les régions du monde d'ici le milieu du siècle.”
Selon des chiffres de la NASA, le niveau de la mer a augmenté en moyenne de 9,4 centimètres depuis 1993, avec une accélération dans la dernière décennie. Le réchauffement climatique est également en cause dans l’apparition répétée de phénomènes météorologiques extrêmes comme El Nino, lui-même un facteur contribuant à la marge à la hausse du niveau de la mer.
La circulation de cette information est par ailleurs concomitante à la publication, par le ministère français de la Transition écologique, d’un rapport sur la menace que la hausse du niveau des mers fait peser sur 500 communes du littoral français.