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Corée du Sud : oignons verts, sac Dior et médecins en grève au menu des législatives
En Corée du Sud, les élections législatives, qui se tiennent mercredi, ne se résument plus aux débats politiques traditionnels. Entre des oignons verts érigés en star, un scandale autour d’un sac de luxe et des médecins en grève depuis des semaines, des sujets très divers ont animé la campagne.

Alors que la Corée du Sud s'apprête à élire, mercredi 10 avril, son nouveau Parlement, un large éventail de sujets occupe l'esprit des électeurs.

Si des thèmes de poids comme la politique de Séoul à l'égard de la Corée du Nord – dotée de l'arme nucléaire – sont quasiment absents des discours de campagne, la couverture médiatique a révélé que les préoccupations des électeurs sud-coréens sont variées, et que plusieurs éléments peuvent influencer leur vote.

France 24 vous propose un aperçu de cinq faits marquants qui caractérisent ces élections législatives. 

L’oignon vert, star inattendue de la campagne 

L'oignon vert, ingrédient essentiel de la cuisine coréenne, s'est immiscé dans la campagne après une gaffe du président Yoon Suk-yeol. Devenu symbole de l'opposition, il est désormais interdit près des bureaux de vote.

Tout commence le 18 mars, lorsque le président se rend dans un magasin de fruits et légumes à Séoul pour évaluer les prix des aliments. La question de l'inflation des produits alimentaires préoccupant grandement les Coréens, le président Yoon Suk-yeol est déterminé à montrer qu’il lutte contre la hausse des prix.  

Saisissant une botte d’oignons verts, il déclare : "J'ai visité de nombreux marchés et 875 wons (60 centimes d'euro) pour ça, c'est un prix raisonnable". Le chef d'État est alors loin de se douter que la botte est habituellement vendue trois à quatre fois plus cher. Le magasin, ayant été informé de sa visite, avait intentionnellement baissé ses prix avant son arrivée, selon les révélations des médias locaux.

1/ "Green onion controversy" has taken centre stage in South Korean politics ahead of April elections, with opposition leaders weaponizing the issue to criticise President Yoon Suk Yeol's alleged disconnect from the struggles of ordinary citizens. pic.twitter.com/l8jWJn9Unf

— Raphael Rashid (@koryodynasty) March 24, 2024

Cette séquence embarrassante pour le président provoque une série de mèmes sur les réseaux sociaux. Alors que des membres de la gauche accusent le président de vivre dans une bulle déconnectée de la réalité, certains candidats de l'opposition brandissent des bottes d'oignons verts lors de rassemblements de campagne.

Corée du Sud : oignons verts, sac Dior et médecins en grève au menu des législatives

Une situation qui conduit la Commission électorale nationale (NEC) à interdire la présence d’oignon vert à proximité des urnes. En réactions, de nombreux électeurs font preuve de créativité, utilisant des objets qui ressemblent au légume interdit.

Le scandale du sac Dior 

Le président n’est pas un novice en matière de polémique. Son épouse, Kim Keon-hee, en a également fait les frais lorsqu’une vidéo la montrant accepter un sac de luxe est publiée par un média d’opposition fin 2023. Les images, filmées en caméra cachée en septembre 2022, montrent un pasteur coréo-américain lui offrant un sac Dior d’une valeur de 2 200 dollars.  

Certains voient dans ce cadeau une entorse à la loi anticorruption : en Corée du Sud, les dirigeants et leurs conjoints ont l’interdiction d’accepter tout présent d’une valeur supérieure à 750 dollars.  

Alors qu’une partie des membres du Parti du pouvoir au peuple (PPP, formation conservatrice du président) dénoncent une manipulation et un complot, d’autres exigent des excuses. Pourtant proche du président, le leader du parti démissionne et reconnaît qu’il y a dans l’affaire du sac Dior de quoi "inquiéter" la population. L’un des leaders du PPP, Kim Kyung-yul, va même plus loin, comparant la première dame à la reine Marie-Antoinette.

Après des semaines de silence, le président prend la parole en février, qualifiant la vidéo de "manœuvre politique". Il affirme que sa femme a accepté le sac uniquement parce qu'il lui était difficile de le refuser. De son côté, la première dame n’a pas abordé la question publiquement et n’a fait aucune apparition publique cette année.

"L’opinion publique est très sensible aux accusations de corruption autour des membres de la famille présidentielle, rappelle Lee Jeong-hoon, analyste politique interviewé par Libération, car les anciens chefs d’État ont fait l’objet d’enquêtes pour corruption durant leur mandat."

Une candidate visée par une attaque sexiste 

La campagne électorale est loin d'être un fleuve tranquille et les attaques fusent de toute part. En mars, le président du Parti démocrate, Lee Jae-myung, critique pour ses prétendues positions pro-japonaises une candidate du parti au pouvoir, Na Kyung-won, en l'appelant "Nabe" : une combinaison de lettres de son nom et de celui du défunt Premier ministre japonais Shinzo Abe.

Un surnom familier qui n’est pas sans rappeler le terme péjoratif coréen "naembi", qui peut désigner une femme ayant de nombreux partenaires sexuels. Le chef du parti présidentiel, Han Dong-hoon, ne tarde pas à condamner ces propos, les qualifiant de "misogynie extrême".

La polémique ne s'arrête pas là. Des partisans du candidat rival de Na Kyung-won diffusent sur les réseaux sociaux une affiche obscène sur laquelle est écrit "le naembi a meilleur goût quand il est piétiné".

La grève des médecins, un bras de fer qui dure 

L’un des autres grands sujets des législatives est le mouvement de colère des médecins. Depuis le 20 février, des milliers de jeunes médecins internes sont en grève pour protester contre un projet de réforme du système de santé.

Le gouvernement souhaite augmenter de 2 000 le nombre d'admissions dans les écoles de médecine dès l'année prochaine pour lutter contre les pénuries de médecins et se préparer au vieillissement rapide de la population. De leur côté, les internes craignent que cette mesure ne nuise à la qualité des soins et à leurs conditions de travail déjà précaires. Dès l’annonce de cette réforme, certains démissionnent.

Alors que les hôpitaux les plus importants de Séoul sont submergés par un afflux de patients qui n'ont pas pu être pris en charge ailleurs, les médias font état de cas dramatiques de patients décédés après avoir été refusés dans les hôpitaux, faute de lits disponibles. Selon le ministère de la Santé, les patients ont déposé plus de 2 000 plaintes concernant des interventions chirurgicales et autres traitements reportés, annulés ou refusés, relate le New York Times.

Corée du Sud : oignons verts, sac Dior et médecins en grève au menu des législatives

Face à la grogne, le gouvernement menace dans un premier temps de sanctionner les grévistes, les qualifiant de "fauteurs de troubles". À l’approche des élections, sa position devient plus flexible, et le président est amené à trouver un compromis.

Malgré la situation catastrophique dans les hôpitaux, les sondages montrent que le public soutient le plan de réforme. "Avec un soutien massif du public à la réforme, l'impasse actuelle avec les médecins ne nuira pas au parti de Yoon, [mais] pourrait même l'aider dans les sondages", déclare à l'AFP Shin Yul, professeur de sciences politiques à l'université Myongji de Séoul.

Une jeunesse désabusée et sous-représentée 

Lors des élections de mercredi, la jeunesse brillera une fois de plus par son absence. Avec seulement 5,6 % des candidats âgés de moins de 40 ans, le fossé générationnel entre la classe politique est le reste de la population est plus que jamais criant. Une sous-représentation de la jeunesse qui se traduit également dans le vote.

Plusieurs facteurs expliquent ce déséquilibre dans les urnes. D'abord, la Corée du Sud connaît un déclin démographique sans précédent, avec un taux de natalité parmi les plus bas au monde. La société vieillit, les couples se marient peu et les foyers d'une personne deviennent la norme.

Ensuite, une série de scandales récents, comme la bousculade meurtrière d'Halloween à Séoul en 2022, qui a fait 159 morts, en grande majorité des jeunes, a ébranlé la confiance des jeunes dans les autorités. Ils se sentent délaissés par un système qui ne répond pas à leurs préoccupations et qui leur offre peu de perspectives.

Enfin, comme dans de nombreux pays, les jeunes Coréens sont plus enclins à l'abstention que leurs aînés. En 2020, seulement 57,9 % des 20-39 ans ont voté, contre 79,3 % des 60-79 ans, selon des statistiques officielles. Un peu plus de la moitié des 18-29 ans ont l'intention de voter mercredi "quoi qu'il arrive", selon un dernier sondage de l'institut Gallup Korea. 

Ce désengagement de la jeunesse sud-coréenne traduit un malaise profond : la pression scolaire intense, les difficultés d'accès à l'emploi et la flambée des prix du logement pèsent lourdement sur son moral.

Avec AFP et AP