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Malgré la guerre, "nous serons aux JO", assure le comité olympique palestinien
Malgré la guerre qui fait rage entre Israël et le Hamas et l'invasion de Gaza, Nader Jayousi, directeur technique du comité olympique palestinien, espère que les Jeux de Paris seront "historiques". Il explique à France 24 comment l'institution et ses athlètes s'adaptent tant bien que mal. Il espère que la présence d'une délégation palestinienne le 26 juillet prochain, lors de la cérémonie d'ouverture, sera un "message de paix" et d'"inspiration" pour les enfants palestiniens. Entretien.

"Nous ferons mieux qu'à Tokyo." Nader Jayousi le martèle tout au long de l'entretien : le comité olympique palestinien n'a pas baissé les bras et, malgré la guerre en cours entre Israël et le Hamas, le drapeau palestinien flottera sur la Seine le 26 juillet prochain lors de la cérémonie d'ouverture des JO de Paris. Et le directeur technique du comité espère battre le record d'athlètes présents, établi à 5 au Japon.

Les sportifs, comme tous les Palestiniens, ont payé un lourd tribut dans le conflit. "Entre les athlètes, les coaches, les personnels de club, la scène sportive palestinienne a perdu au moins 170 personnes", explique Nader Jayousi, rappelant que ce chiffre est très probablement sous-estimé compte tenu de la difficulté à communiquer avec Gaza et de recenser les morts. Parmi eux, l'entraîneur de l'équipe olympique de football Hani al-Masdar et la star du volley Ibrahim Qusaya. "À ces tragédies s'ajoutent les destructions d'infrastructures : le stade Yarmouk, les QG du comité olympique à Gaza, plusieurs stades… SI la guerre s'arrêtait aujourd'hui, au moins 70 % de la population gazaouie serait sans abri, alors ne parlons même pas des lieux pour faire du sport", rappelle-t-il. 

Nader Jayousi a conscience que la tragédie en cours a fait voler en éclats les plans pour les JO 2024, alors qu'un programme d'aide et de suivi des athlètes avait été mis en place pour la première fois de leur histoire dans la compétition. Pourtant, il croit en la résilience de ses sportifs. Le mois dernier, le taekwondiste Omar Ismail a montré la voie en décrochant un ticket pour les Jeux en mars 2024. Si, avec la préparation tronquée par la guerre, beaucoup d'athlètes devront espérer une invitation du CIO pour être présents, Nader Jayousi y croit.

France 24 : Quel impact a eu le début de la guerre entre Israël et le Hamas et l'invasion de Gaza sur les objectifs du comité olympique palestinien ?  

Nader Jayousi : Le sport est à l'arrêt en Palestine depuis le 7 octobre. Quand les événements ont eu lieu, nous étions avec notre délégation en Chine pour les Jeux asiatiques de Hangzhou. Et nous étions en train d'écrire l'histoire, avec la médaille de bronze de Hala Alqadi en karaté.

Depuis, nous passons notre temps à tenter d'assurer la sécurité de la délégation. Nous avons conscience de la réalité, mais nous essayons toujours d'atteindre notre objectif. Pour la première fois, nous avions mis en place un programme de préparation olympique pour qualifier des athlètes. Cependant, le coup d'arrêt est survenu au pire moment. La dernière année avant les JO est le moment le plus important du cycle olympique. Donc un arrêt de plus de six mois à ce moment-là est dévastateur pour nos athlètes. On a tenté de s'adapter en raccourcissant la liste des athlètes qu'on suit et on continue de travailler.

Cela montre que nous prenons tout ça au sérieux. Nous sommes présents aux JO depuis ceux d'Atlanta en 1996. On a réussi à obtenir une qualification historique en taekwondo. Grâce à Dieu, nous avons réussi à atteindre notre objectif. Et nous avons fait une qualification, une qualification directe à Paris. C'est déjà historique [c'est seulement la deuxième fois dans l'histoire olympique qu'un Palestinien devra sa présence à une qualification et non à une invitation, NDLR].

Quelles sont les conséquences concrètes de la guerre sur le travail du comité olympique ?

Pendant 40 jours, nous avons tout fait pour que notre champion d'haltérophilie, Mohammed Hamada, et son coach, qui est également son frère, puissent sortir de Gaza. Il était champion du monde junior et très proche d'obtenir une qualification pour les JO. Malheureusement, quand la tragédie a commencé, il vivait dans le nord de Gaza. Il était dans l'une des premières zones qui ont été envahies.

Mentalement, il est très fort. Il a même continué à s'entraîner pendant le premier mois. Il existe des vidéos de lui s'entraînant chez lui au milieu des bruits d'avions et de drones… Mais la famine a commencé dans Gaza et il a perdu une quinzaine de kilos. Ce qui est énorme pour un haltérophile…

On l'a aidé à sortir de Gaza. On a postulé en son nom pour une invitation au cas où il n'arriverait pas à se qualifier lors du tournoi en Thaïlande.

C'est un exemple parmi d'autres, mais cela donne une idée de tout ce que le comité olympique doit désormais faire en plus. Mais c'est notre devoir de le faire. Nous sommes au service des athlètes pour les mettre dans les meilleures conditions de performance.

Comment les athlètes arrivent-ils à garder la tête froide et à se concentrer sur les Jeux dans ce contexte ?

C'est quelque chose que nous avons construit. Ils sont suffisamment conscients et mûrs pour comprendre que ce qu'ils font n'est pas un rêve individuel. Nos athlètes apprennent qu'ils ne se représentent pas eux-mêmes. Ils représentent notre pays, notre histoire et notre cause.

C'est la base de notre pyramide olympique. C'est le message que le président de notre comité olympique, Jibril Rajoub, répète 24 h sur 24 à nos athlètes. Nous véhiculons ce message à tous nos sportifs, à tous nos juniors. Nous tentons de les transformer en êtres humains conscients de la cause qu'ils représentent, qui comprennent ce que signifie être Palestinien et qui comprennent quels symboles doivent être nos athlètes.  

C'est comme ça que nos athlètes restent concentrés et gardent la tête froide. Nous vivons cela depuis 75 ans. Si nous nous laissions perturber, nous serions battus en deux jours. Nous devons être très forts mentalement. Nous serons aux Jeux olympiques.

Quels soutiens avez-vous reçu depuis le début de la guerre ?

Nous avons été soutenus par nos pays frères arabes, qui ont accueilli des camps d'entraînement pour nos équipes. Nos footballeurs se sont entraînés en Arabie saoudite et ont pu réaliser une performance historique en janvier dernier, en atteignant les huitièmes de finale de la Coupe d'Asie. Certains de nos athlètes s'entraînent au Koweït, à Doha… Nous avons un soutien massif de la part de pays qui croient en l'aspiration des Palestiniens à se distinguer dans le domaine du sport, et nous soutiennent dans cette démarche.

En ce qui concerne le CIO, nous sommes en contact avec eux. Le président Thomas Bach lui-même a déclaré qu'il ferait son possible pour que la Palestine participe aux Jeux olympiques de Paris. Il considère que c'est très important que nous soyons présents, comme n'importe quel pays. Nous respectons cette position. Nous avons également renouvelé notre engagement envers la charte olympique, à 100 % et à l'égard des règlements du CIO.

Ces deux dernières années ont été aussi marquées par l'invasion de l'Ukraine et les appels à l'exclusion des athlètes russe et biélorusses des Jeux. Le CIO exclut un scénario similaire pour Israël : le regrettez-vous ?

En tant que comité olympique, nous évitons de nous mêler d'affaires politiques. Nous préférons nous focaliser sur le sport.

Nous ne ferons pas de commentaires concernant la présence des Russes et des Ukrainiens. Et concernant la présence des Israéliens aux JO, ce n'est pas un sujet de discussion chez nous. Si nos dirigeants politiques veulent aller sur ce terrain-là, ils en parleront dans les médias.

Au comité olympique, nous sommes là pour mettre nos athlètes dans les meilleures conditions possibles.

Les JO pourraient voir un Palestinien affronter sur le terrain un Israélien. Est-ce un sujet de discussion au sein du comité ?

Pensez-vous que nous devenons nerveux à l'idée de rencontrer des Israéliens ? Nous les rencontrons dans nos villes, dans nos écoles. Ils nous arrêtent dans la rue. En général, ils sont armés. Donc, une telle rencontre aux JO n'est pas un sujet de préoccupation pour nos athlètes.

Nous savons que ça peut arriver, mais nous sommes là pour faire notre propre travail. Nous sommes là pour concourir et représenter notre pays de la meilleure manière possible.

Que représente pour vous la présence de votre drapeau le 26 juillet à la cérémonie d'ouverture 

Au milieu de toutes ces atrocités et massacres, des gens verront des hommes et femmes déterminés à voir leur rêve devenir réalité.

Je pense qu'il s'agira là d'un grand message de paix pour le monde entier, qui lui montrerait à quoi les Palestiniens pourraient ressembler à l'avenir. Mais aussi un message pour nos prochaines générations, pour nos enfants qui ont perdu leurs rêves, qui ont vu leurs rêves brisés par les bombes et les roquettes. Ces enfants verront des modèles qui auront réussi à aller aux Jeux olympiques de Paris et à se qualifier pour les compétitions de taekwondo aux Jeux olympiques de Paris. Ce sera un moment historique !