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Le raid israélien sur Damas, une escalade des tensions "sans précédent"
Parmi les victimes de la frappe aérienne à Damas, lundi, contre une annexe de l'ambassade d'Iran se trouvait Mohammad Reza Zahedi, un haut gradé des Gardiens de la révolution. Israël – que Téhéran accuse d’être l’auteur de cette opération – mise sur le fait que la République islamique ne peut se permettre de répondre de manière disproportionnée. À raison ?

L'Iran a promis de venger la mort de plusieurs officiers de haut rang de la Force Al-Qods, l’unité d’élite des Gardiens de la révolution. Ceux-ci ont péri dans une frappe aérienne qui a touché, d'après Téhéran, le consulat iranien de Damas, en Syrie, lundi 1er avril.

La riposte contre Israël, accusé d’être à l’origine de cette frappe, sera "décisive", a assuré Téhéran. Il s'agirait de la première attaque visant un bâtiment diplomatique iranien en Syrie. L’État hébreu n’a pas officiellement reconnu être l’auteur de cet assassinat ciblé, mais le New York Times assure mardi avoir eu une confirmation par quatre responsables israéliens sous couvert d’anonymat.

Une perte "comparable à celle de Qassem Soleimani"

Israël a déjà visé par le passé les intérêts iraniens en Syrie. Mais cette fois-ci, le nom d'une victime a été mis en avant par l’Iran dans son communiqué : celui de Mohammad Reza Zahedi, présenté comme "vétéran" du Corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) et conseiller militaire de premier plan en Syrie.

Ce brigadier-général est loin d’être un vétéran des Gardiens de la révolution quand on le compare à d'autres membres de ce corps. "C’est l’officiel iranien le plus important tué depuis la guerre déclenchée à la suite des attaques du Hamas sur le sol israélien le 7 octobre", note Ahron Bregman, politologue et spécialiste du conflit israélo-palestinien au King’s College de Londres. "Pour l’Iran, c’est une perte comparable à celle de Qassem Soleimani, l’ancien commandant en chef de la Force Al-Qods, tué par un drone américain en 2020", précise Shahin Modarres, spécialiste de l’Iran à l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Mohammad Reza Zahedi, âgé de 63 ans au moment de son assassinat, avait rejoint le CGRI en 1981, deux ans seulement après la fondation de la République islamique d’Iran. Depuis, ce cadre de l'unité militaire d'élite avait eu plusieurs casquettes, telles que commandant des troupes terrestres des Gardiens de la révolution ou encore de leurs forces aériennes.

"Il est aussi réputé pour avoir été l’un des responsables iraniens les plus proches de Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah", souligne Clive Jones, spécialiste d’Israël et du Moyen-Orient à l’université de Durham. Mohammad Reza Zahedi, qui s'est vu imposer des sanctions par les Américains, a ainsi été accusé par les États-Unis d’avoir mis en place l’approvisionnement du Hezbollah en missiles iraniens.

Mohammad Reza Zahedi a été attaché militaire de la Force Al-Qods en Syrie et en Irak et il a été en poste au Liban. Il jouait ainsi un "rôle central dans la coordination entre les différents groupes islamistes soutenus par l’Iran [le Hamas, le Hezbollah, le Jihad islamique, les Houthis au Yémen, NLDR]", assure Shahin Modarres.

C’est d’ailleurs un point commun entre tous les responsables iraniens tués à Damas lundi. "Ils étaient tous chargés à différents titres des relations avec les groupes affiliés à l’Iran et tout particulièrement le Hamas et le Hezbollah", précise Shahin Modarres. Pour lui, l’attaque, si elle est bien d’origine israélienne, avait une "dimension préventive. Israël a voulu réduire au maximum la capacité iranienne à se coordonner avec tous ces groupes en prévision d’une éventuelle extension du conflit."

Provoquer l'Iran et le Hezbollah

En s’attaquant ainsi à des membres parmi les plus en vue du Corps des Gardiens de la révolution, les Israéliens "veulent faire comprendre à Téhéran qu’ils considèrent aussi l’Iran comme responsable de ce qui se passe à Gaza et à la frontière avec le Liban. C’est une manière de signifier qu’ils ne chercheront pas seulement à frapper les groupes satellites de l’Iran", résume Ahron Bregman.

Autrement dit, la frappe aérienne de lundi suggère que l’État hébreu s’estime prêt à intensifier le conflit régional avec l’Iran. "C’est une escalade sans précédent des tensions depuis le début de la guerre contre le Hamas", souligne Filippo Dionigi, spécialiste des mouvements islamistes et du Moyen-Orient à l’université de Bristol, en Angleterre.

Cette attaque à Damas est notamment liée à la stratégie israélienne à la frontière avec le Liban, selon Clive Jones. "La plupart des Israéliens estiment qu’il faut faire quelque chose contre le Hezbollah afin de permettre le retour en sécurité des quelque 100 000 Israéliens qui ont dû quitter la région proche de la frontière libanaise depuis le début de la guerre à Gaza. Israël augmente graduellement la pression sur le Hezbollah et cette dernière opération constitue une nouvelle provocation pour voir comment le mouvement radical chiite va réagir", estime Clive Jones.

Mais l’État hébreu n’a pas voulu faire passer un message qu’à ses ennemis. "C’est aussi une manière de s’adresser aux États-Unis. Depuis janvier, Washington et Téhéran cherchent à faire baisser les tensions, et en frappant à Damas, Tel-Aviv fait comprendre à son allié américain qu’il ne compte pas le laisser entraver sa liberté d’action. Je pense que cet épisode va rendre les relations entre Israël et les États-Unis bien plus tendues", estime Clive Jones.

Car l’assassinat de Mohammad Reza Zahedi risque d’entraîner exactement ce que les États-Unis redoutent : une riposte iranienne. D’abord parce que c’est une attaque qui fait mal au Corps des Gardiens de la révolution. "La mort de Mohammad Reza Zahedi prive l’organisation d’un élément qui avait une très bonne connaissance tactique et une grande expérience du terrain", souligne Shahin Modarres.

Le dilemme de la riposte

Alors certes, "il va être remplacé, mais c’est aussi une attaque qui risque d’ébranler la foi [des militants des groupes pro-iraniens, NDLR] dans la capacité iranienne à déjouer les plans israéliens", estime Filippo Dionigi. En effet, en réussissant à tuer sept responsables iraniens réunis au même endroit au même moment, "Israël prouve que ses services de renseignement sont très bien informés", ajoute ce spécialiste. Pour l’Iran, riposter représente aussi un acte d’autorité à l’égard des mouvements affiliés. 

D’autant plus que Téhéran accuse Israël d’avoir visé son consulat en Syrie. Ce n’est pas un hasard si le seul aspect que l'armée israélienne accepte de commenter concerne le lieu de la frappe. Israël assure qu’il s’agissait d’un bâtiment militaire et non pas d’une représentation diplomatique. La nuance est de taille : "Les consulats sont considérés comme des extensions du territoire national, donc au regard du droit international, Israël aurait dans ce cas frappé le sol iranien avec son tir de missile", souligne Filippo Dionigi.

Selon lui, "c’est un pari très risqué qu’a pris Israël avec cette opération qui peut déboucher sur un embrasement". L’État hébreu mise sur le fait que l’Iran peut difficilement réagir à hauteur de l’affront infligé sans déclencher une guerre régionale que Téhéran cherche à éviter. Une analyse de la situation qui tient beaucoup au fait qu’après la mort de Qassem Soleimani en 2020, "l’Iran avait promis de se venger des États-Unis et d’Israël [accusé d’avoir aidé les Américains, NDLR], mais il ne s’est rien passé de notable", souligne Shahin Modarres.

Mais cette fois, dans le contexte de la guerre à Gaza contre le Hamas, mouvement soutenu par l’Iran, Téhéran "va devoir réagir", assure Ahron Bregman. Il peut s’agir d’ordonner une intensification des attaques contre Israël de la part du Hezbollah ou des Houthis, mais, pour les experts interrogés par France 24, le plus probable serait une opération contre les intérêts d’Israël à l’étranger, comme une ambassade.