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Équipe de France : avec la réticence des clubs, l'éternel casse-tête du football aux JO
Quand la réalité des clubs se heurte aux ambitions olympiques et à l'union nationale… Thierry Henry fait face à un délicat casse-tête pour constituer son équipe de France en vue du tournoi de football des Jeux de Paris. À l'image du Stade Rennais, les clubs rechignent à libérer leurs joueurs. Une situation familière, rappelant les difficultés de Tokyo.

Être sélectionneur de football pour les JO demande d'être fin diplomate en plus d'avoir des qualités sportives. En effet, alors qu'on pensait qu'avec les Jeux à domicile, l'union nationale serait décrétée pour tenter d'arracher une première médaille depuis 1984, il n'en est rien. Le sélectionneur de l'équipe de France olympique, Thierry Henry, va devoir négocier serré avec les clubs pour que ces derniers libèrent des joueurs pour le tournoi olympique.

Sur le papier, les règles sont simples : la légende d'Arsenal doit convoquer 18 joueurs nés après le 1er janvier 2001, auxquels pourront se greffer "trois footballeurs nés avant cette date", selon le règlement olympique. Comme se rappelle Sylvain Ripoll – son prédécesseur, qui était aux manettes lors des derniers JO à Tokyo –, cela vire souvent au casse-tête face à la réalité. Le tournoi olympique ne faisant pas partie chez les hommes du calendrier Fifa, les clubs n’ont pas l’obligation de libérer leurs joueurs – et ça leur va très bien ainsi.

La douche froide rennaise

C'est le Stade Rennais qui a mis les pieds dans le plat le premier, mardi 26 mars. En marge d'une conférence de presse sur la prolongation de contrat de Julien Stéphan, le directeur sportif Florian Maurice a souligné la difficulté pour le club breton de perdre plusieurs titulaires pour le début de la saison 2024/2025 alors qu'Adrien Truffert, Désiré Doué, Arnaud Kalimuendo et Jeanuël Belocian ont été dans les appelés de Thierry Henry ces derniers mois et que Benjamin Bourigeaud est une piste de renfort de plus de 23 ans : "Il faut aussi comprendre les clubs."

❌ Pour la première fois, les dirigeants d'un club français montrent publiquement leur opposition à l'idée de laisser tous leurs joueurs participer aux JO

Il s'agit du Stade Rennais (avec ici Florian Maurice) et c'est franchement clair. pic.twitter.com/ZLH0OT38FR

— RMC Sport (@RMCsport) March 27, 2024

L’ancien avant-centre, qui avait brillé dans la compétition en 1996 à Atlanta avec les Bleus, marquant trois buts en trois matches disputés, s'est ensuite montré plus conciliant : "Évidemment, on fera du mieux possible pour pouvoir aider l'équipe de France mais il faut que les intérêts soient communs. On ne peut pas se déshabiller pour habiller l'équipe de France, même si j'ai beaucoup d'affection pour l'équipe de France Espoirs, ou l'équipe de France A. C'est difficile pour nous, il faut le comprendre", a-t-il continué.

Il faut se mettre à la place de Rennes : actuel huitième de Ligue 1, son mois d'août pourrait être synonyme de barrages européens, que ce soit en Ligue des champions (en cas de quatrième place) ou pour la Ligue Europa Conférence (sixième place). Dans ce cas, difficile pour le club d'imaginer se passer de sa colonne vertébrale.

Le spectre de Tokyo

Selon L'Équipe, la Fédération française de football (FFF) a été surprise de la teneur du discours du directeur technique du Stade Rennais. Les paroles de Florian Maurice trancheraient avec le sentiment général après la réunion rassemblant à l'automne les présidents et actionnaires de clubs, qui devait éviter que se reproduise le fiasco de Tokyo.

"C’est important qu’il y ait un état d’esprit positif et d’unité autour de ce projet", se félicitait Philippe Diallo, le président de la FFF, le 15 décembre 2023 dans Le Monde.

Un natif de Rennes a dû d'ailleurs sourire en voyant les déclarations de Florian Maurice. Sylvain Ripoll, ancien sélectionneur des Espoirs, avait été largement vilipendé après l'échec de sa sélection aux JO de Tokyo, avec une élimination dès les poules.

"Il faut voir les conditions dans lesquelles cela s’est passé. Je n’ai rien pu maîtriser, parce que les clubs n’ont pas voulu libérer leurs joueurs. À la veille de l’annonce de la liste officielle, on n’avait que onze joueurs et on avait dû demander plusieurs dérogations pour allonger le délai de sélection. Sinon, on était forfaits. On a ensuite dû annuler la moitié de la préparation : les stages en Espagne, etc. Parce qu’on n’avait personne", avait il raconté en octobre 2023, peu après son licenciement pour résultats insuffisants à l'été 2023 lors de l'Euro, qui s'ajoutait à l'échec des Jeux.

Les Jeux de Tokyo restent en travers de sa gorge comme "une mascarade […] parce que quasiment tous les clubs refusaient. Pourtant, tout avait été anticipé dans les temps. Mais sur 150 joueurs sollicités, on a eu plus de 120 refus au final. C’était ridicule."

"Sur place, les joueurs sélectionnés ont été irréprochables, rien à redire sur leur mentalité, ce n’est pas le problème. Mais on a eu le sentiment profond d’aller au casse-pipe", concluait-il.

Son successeur, Thierry Henry, est bien conscient que le scénario pourrait se reproduire. Il l'a d'ailleurs confié en conférence de presse en marge des matches des Bleuets en mars. "Je n’ai pas peur, je sais que ça va arriver [des refus de clubs, NDLR]. Là où c’était plus délicat pour Sylvain Ripoll à l’époque, c’est que les difficultés venaient des clubs français. C’est dur à comprendre, quand même. Je ne pense pas que ça viendra d’eux cette fois, enfin je l’espère", affirmait-il, un brin fataliste.

Et à l'étranger ?

Le salut ne risque pas de venir des clubs étrangers. Le Real Madrid a déjà écrit à la FFF pour l'informer qu'aucun de ses joueurs ne disputerait les JO. Si, sur le papier, aucun des Bleuets n'est concerné, cela risque de bloquer Kylian Mbappé, qui répète à l'envi sa volonté de faire partie des Jeux en tant que joker de plus de 23 ans mais que tout le monde annonce dans la capitale espagnole une fois son contrat avec le PSG expiré fin juin.

D'autres clubs risquent de s'engouffrer dans la brèche ouverte par le Real : Malo Gusto et Benoît Badiashile pourraient être retenus par Chelsea, tout comme Castello Lukeba et Michael Olise, qui évoluent respectivement à Leipzig et au Crystal Palace.

"Nous n'avons pas les cartes en main. Ce ne sont pas des dates Fifa et les équipes auront besoin de leurs joueurs en début de saison. Est-ce que les équipes à l'étranger sont là pour penser à nous et aux JO ? Non, ils pensent à leur équipe et leurs joueurs donc ce sera leur décision. On discute mais ils prendront leur décision", a reconnu Thierry Henry.

Lille, Lens et l'OL à la rescousse

Au lendemain de la déclaration de Florian Maurice, des déclarations venues de Lens, Lille et Lyon ont dû redonner le sourire à la FFF et à Thierry Henry.

"Nous sommes plutôt favorables à ce qu'ils y aillent. Il faudra voir dans quelles conditions. Pour un club qui s'appelle Olympique Lyonnais, il serait dommage que les joueurs ne participent pas aux Jeux olympiques", a déclaré Pierre Sage, l'entraîneur de Lyon. "Au même titre que l'Euro ou d'autres compétitions, nous avons beaucoup d'internationaux dans notre effectif, c'est bien qu'ils aient la possibilité de participer à de belles compétitions qui les font progresser, rêver, vivre de superbes choses."

À Lille, Paulo Fonseca a tenu des propos similaires. "Je pense que ce sera positif si nous avons trois joueurs aux Jeux olympiques [Bafodé Diakité, Leny Yoro et Lucas Chevalier sont pressentis, NDLR], a expliqué le technicien portugais. Je ne sais pas si je serai l'entraîneur du Losc [la saison prochaine, NDLR], si c'est le cas, ce sera plus difficile pour moi. Pour les joueurs, c'est très positif."

Franck Haise d’accord avec la décision du RC Lens, de laisser ses joueurs participer aux Jeux Olympiques : « Je crois que le club a communiqué aujourd’hui dans ce sens. Et la communication du club 𝗷𝗲 𝗹𝗮 𝘃𝗮𝗹𝗶𝗱𝗲 𝘁𝗼𝘁𝗮𝗹𝗲𝗺𝗲𝗻𝘁. […] Personnellement si j’avais eu la… pic.twitter.com/nIcg2T7uut

— Instant Foot ⚽️ (@lnstantFoot) March 28, 2024

Son homologue lensois Franck Haise a confirmé qu'il ne retiendrait pas ses joueurs susceptibles de disputer la compétition, comme Elye Wahi et Andy Diouf. "Je trouve que c'est une compétition tellement magnifique à vivre qu'en tant que coach, je ne me vois pas dire non à un joueur, a-t-il expliqué. Personnellement, si j'avais eu la chance de vivre cet événement et qu'un entraîneur m'avait bloqué, cela aurait été un peu compliqué."

Le Normand est allé plus loin dans la réflexion, remettant en question le calendrier du football : "Pourquoi cette compétition n'est pas mise comme date internationale ? Cela simplifierait les choses. Cela paraît tellement évident : la Coupe du monde, l'Euro, la CAN... Je pense que le vrai débat est plutôt là."

Peut-on faire l'Euro et les JO ?

Thierry Henry fera face à une autre difficulté au moment de présenter sa liste. Comme tous les quatre ans, les JO auront lieu juste après l'Euro de football, pour lequel l'équipe de France A est ambitieuse. Et le sélectionneur Didier Deschamps, qui pourrait piquer un ou deux joueurs à Henry pour le tournoi, ne croit pas à la possibilité d'enchaîner les deux tournois. "L'Euro reste prioritaire, Henry et le président le savent, c'est dans les dates Fifa. Ce n'est pas le cas des JO, ce qui peut amener à des complications", a commenté Deschamps. "C'est très difficile, sur un plan psychologique et physique, d'enchaîner deux compétitions comme ça sur un été, avec un championnat qui va commencer derrière. Mais l'objectif reste le même : avoir la meilleure équipe possible. Je souhaite beaucoup de courage à Titi."

Du courage, Henry risque d'en avoir besoin d'ici au 24 juillet, date à laquelle la France entrera en lice au Vélodrome face aux États-Unis.