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Sommet sur l’énergie nucléaire à Bruxelles : l’atome, faux allié du climat ?
Réunissant une trentaine de pays, un sommet visant à accélérer les investissements dans la production d’énergie nucléaire s’est tenu jeudi à Bruxelles. Au cœur des discours, l’argument-roi du retour en grâce de l’atome : la baisse des émissions de gaz à effet de serre. Une fausse solution climatique, dénoncent experts et militants écologistes. Décryptage

Il était une fois, en Belgique, un étrange conte de fée : un "conte de fées nucléaire". C’est du moins les mots affichés sur les banderoles déployées par des manifestants écologistes, qui ont tenté de retarder la tenue du sommet dédié à l’énergie nucléaire organisé à Bruxelles, jeudi 21 mars.

Une trentaine d'États, dont la Chine, les États-Unis, le Brésil et la France s’y sont réunis en vue d'accélérer de façon coordonnée le développement du nucléaire civil. Pour les partisans de cette énergie, comme le président français Emmanuel Macron, le nucléaire est une bonne nouvelle pour la planète. 

Et ce pour une raison simple : les centrales nucléaires n'émettent pas de CO2 pour produire de l’électricité. Développer massivement cette énergie permettrait donc de lutter efficacement contre le dérèglement climatique.

"Partout dans le monde, le nucléaire fait son grand retour [en raison du] besoin de lutter contre le changement climatique, de sécurité énergétique après l'invasion de l'Ukraine, de produire de l'électricité sans interruption", a résumé le directeur de l'Agence internationale de l'énergie, Fatih Birol.

"On n'aura aucune chance d'atteindre nos objectifs climatiques à temps sans le soutien du nucléaire" à côté des renouvelables, a-t-il martelé.

Le climat, nouvel "alibi" des pro-nucléaires ?

Le climat est utilisé par les gouvernements et lobbies pro-nucléaires comme un alibi pour redorer l’image de cette industrie", soupire la militante de Greenpeace, Lorelei Limousin.

Dès 8 h du matin, la jeune femme s'était jointe aux manifestants rassemblés pour perturber le sommet, aux portes de l’Atomium. "Face au dérèglement climatique, le nucléaire est un problème, pas une solution" tranche la militante. 

Sommet sur l’énergie nucléaire à Bruxelles : l’atome, faux allié du climat ?

"Récente, cette immixtion du climat au cœur du plaidoyer pro-nucléaire date des accords de Paris [de décembre 2015]", commente Cyrille Cormier, ingénieur spécialisé dans la transition énergétique.

"Du nucléaire au nom de la planète" : l’argument du sommet bruxellois s'inscrit ainsi dans la foulée de la COP-28 sur le climat, en novembre 2023, où une vingtaine de pays avaient appelé à tripler les capacités du nucléaire dans le monde d'ici 2050.

Le nucléaire en retard sur l’urgence climatique

Aujourd’hui, les programmes d’énergies nucléaire ne survivent qu’en invoquant l’argument climatique, estime Cyrille Cormier. Car selon lui, les réacteurs servant à produire l’énergie nucléaire ont, sur le plan strictement économique, un talon d’Achille : ils sont chers à déployer.

Ainsi, la construction de six nouveaux réacteurs, annoncée par Emmanuel Macron en février 2002, coûtera quelque 51,7 milliard d’euros. Les travaux s’étaleront sur 25 ans, avec une date butoir en 2050.

Beaucoup trop tard, soulignent les climatologues. L’Agence internationale de l’énergie a fixé à 2035 la date à laquelle les pays européens devraient décarboner leurs secteurs électriques pour s'aligner sur l'objectif de 1,5°C de l'Accord de Paris. 

"Les infrastructures nucléaires ne sont pas constructibles dans des délais satisfaisants", résume Cyrille Cormier. 

Une source d'énergie fragilisée par le dérèglement climatique ?

Trop lente à déployer, l’énergie nucléaire suscite un autre type d’inquiétude environnementale. Des accidents comme ceux de Three Mile Island, Tchernobyl ou Fukushima prouvent que l’énergie nucléaire n’est pas "raisonnable", estiment ses détracteurs.

La catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2011, avait porté un coup d’arrêt à l’engouement en faveur du nucléaire, concédait sur le plateau de France 24 Myrto Tripathi, présidente de l’ONG Voix du Nucléaire.

Les leçons de ces accidents ont été tirées, invoquent, en somme, les acteurs du nucléaires tels qu’EDF ou l’Agence internationale de l’énergie. Ils soulignent que les nouveaux réacteurs sont conçus avec des normes de sécurité plus élevées.

Depuis ces drames nucléaires toutefois, le risque a lui aussi sensiblement augmenté, justement du fait du dérèglement climatique. Dans un pays comme la France, les installations nucléaires sont complètement tributaires de l’eau pour rafraîchir les réacteurs. "Comment ne ressentir aucune appréhension face au nombre croissant de rivières déjà asséchées en France ?", s’interrogeait précédemment Johny Da Silva, ingénieur thermicien.

Selon le bureau français de recherches géologiques et minières, le débit moyen annuel des cours d’eau en France métropolitaine pourrait baisser de 10 % à 40 % d’ici 2050. Une perspective plus inquiétante en été, où le niveau des fleuves chuterait jusqu’à 60 %.

Une énergie "propre" demain qui encourage les plus "sales" aujourd’hui

Énergie reconnue "verte" par le parlement européen en novembre 2023, le nucléaire encourage cependant à court terme la production d’énergies fossiles, explique Cyrille Cormier. Comme une quinzaine d’années séparent la décision de construire les infrastructures nucléaires et leur mise en service, le nucléaire incite les géants de l’énergie "sale" à continuer d’en produire "en attendant", arguant que l'énergie nucléaire apportera "plus tard" une solution aux inquiétudes climatiques.

C’est le chemin emprunté par de nombreux pays comme la Pologne, la Slovaquie ou encore la République Tchèque, ajoute Cyrille Cormier. 

Datant en grande partie des années 1970 et 1980, le parc nucléaire français est vieillissant. "Il est donc probable que les investissements réalisés aujourd’hui en faveur ne servent qu’à remplacer des réacteurs déjà existants", prédit l’ingénieur. Elles ne permettraient donc pas de remplacer les sources d'énergie polluantes.

"Mais l’industrie des énergies renouvelables, elle, se déploie désormais si vite et à des coûts tellement faibles qu’elle peut remplacer l’électricité produite par une centrale nucléaire en seulement un an." 

Espoirs renouvelables 

À l’échelle européenne, les industries renouvelables ont en effet franchi un cap historique en 2002 : le soleil et le vent ont fourni 23 % de la production électrique totale de l’Union européenne. 

Une transition portée notamment par l’Allemagne. Selon le ministère allemand de l'Économie, 12 gigawatts (GW) d'installations solaires ont été ajoutés outre-Rhin en 2023. "Cela correspond à peu près aux capacités productives de deux réacteurs nucléaires. En adoptant la cadence allemande, l’économie française serait donc à même de remplacer deux [de ses 56] réacteurs nucléaires par an", calcule l’ingénieur. 

L’argument des artisans du nucléaire consiste à parier sur une solution qui sera "supposément formidable dans l’avenir", résume-Cyrille Cormier, avant de conclure : "Pourquoi ne pas résoudre le problème des émissions de gaz à effet de serre avec des solutions – renouvelables – qui fonctionnent dès aujourd’hui ?"

Sommet sur l’énergie nucléaire à Bruxelles : l’atome, faux allié du climat ?