C’était une mobilisation pour "marcher à l'intérieur de Gaza" : le 29 février, plus d'une centaine de personnes ont participé à une "marche du retour", organisée depuis la ville israélienne de Sdérot, à quelques kilomètres au nord de Gaza.
Ces manifestants souhaitaient rétablir des colonies israéliennes à Gaza. La marche s’est achevée au poste-frontière d'Erez, au nord de la séparation entre le territoire israélien et Gaza. Malgré la présence de militaires, plusieurs participants ont réussi à entrer dans la zone militaire israélienne du poste-frontière, comme l'attestent plusieurs vidéos. Cette zone est délimitée par une barrière puis un mur, qui séparent Gaza d'Israël.
Now: Israeli right wing settlers enter Eretz crossing an try to build a structure near the border wall with Gaza. They are calling the government to allow them to settle in Gaza pic.twitter.com/fJXTfJsYxk
— Oren Ziv (@OrenZiv_) February 29, 2024Une vingtaine de ces manifestants se sont même ensuite introduits dans Gaza, et sont allés jusqu'à 500 mètres de la frontière. "Nous allons tous bientôt rentrer ici", entend-on dans une vidéo de la part d'un des jeunes Israéliens qui se filme en train d'être reconduit par l'armée à la frontière. "Même les soldats qui nous évacuent veulent être ici", affirme-t-il.
Dans la vidéo, ce dernier fait aussi une référence directe à "Goush Katif", du nom d'une des anciennes colonies israéliennes de Gaza, démantelée en 2005 dans le cadre du plan de désengagement israélien, et que plusieurs mouvements de colons en Israël souhaitent réinstaurer.
Gaza | “We are in Gaza, how fun! Back to Gush Katif We will build here 10 times as we did before. Everyone come! Even the soldiers evicting us, they really want us to be here”
Settlers invading Gaza (incl son of an Israeli minister). The army is peacefully escorting them 1/2 pic.twitter.com/VWLBmwTpBJ
Dans un message publié le soir-même, l'armée israélienne a reconnu qu'une vingtaine de manifestants avait "violemment franchi un poste de contrôle militaire tenu par des soldats" et avait "traversé la zone frontalière du territoire israélien vers la bande de Gaza".
"Établir une colonie juive"
Vêtus pour certains de t-shirts orange vif aux couleurs du mouvement d'opposition au plan de désengagement opéré en 2005, d'autres manifestants, restés dans la zone militaire entre le mur et la barrière, ont aussi eu le temps en quelques heures de construire des structures en bois le long du mur qui sépare Gaza d'Israël, sans en être empêchés par l'armée.
Des préfabriqués symboliques, construits sur le modèle des avant-postes caractéristiques des colonies présentes en Cisjordanie. Dans une vidéo montrant les manifestants en train de construire ces préfabriqués, la personne qui filme la scène déclare : "Gaza appartient au peuple d'Israël".
Interrogé par la rédaction des Observateurs, en amont de la manifestation, sur l'objectif originel de cette marche, l'un des organisateurs de la marche Yair Ben Baruch avait déclaré : "Notre objectif est de marcher vers la bande de Gaza et même d’y pénétrer en exigeant une colonisation juive".
Ce dernier, qui indique avoir grandi dans une colonie en Cisjordanie, affirme être à l'origine d'une organisation du nom de "Shavei Aza" ["Ceux qui retournent à Gaza"], dont le but est "d'établir une colonie juive dans la bande de Gaza".
Selon l'armée, les manifestants entrés dans Gaza ont été par la suite emmenés par la police, mais tous ont été relâchés sans être poursuivis. L'armée n'a pas expliqué comment de nombreux manifestants ont pu rester dans la zone militaire pendant quelques heures.
Des tracteurs à la frontière
Ce type d'action n'est pas isolé. Le 22 février, un collectif récemment formé d'agriculteurs venus du plateau du Golan, nommé "Portrait de la victoire", avait aussi cherché à entrer dans la bande de Gaza.
Animés par leur slogan "Là où passe la charrue passera la frontière", les agriculteurs avaient appelé à s'emparer des champs de Gaza en les labourant.
Plusieurs vidéos de leur mobilisation, encadrée officiellement par l'armée israélienne, montrent les agriculteurs longer la barrière le long de la frontière et circuler dans la zone militaire fermée.
Sur Telegram et Twitter, certains posts ont soutenu que les tracteurs étaient entrés dans Gaza et avaient labouré des champs dans le territoire israélien.
Interrogé par la rédaction des Observateurs, l'armée israélienne a affirmé que les manifestants n'étaient "à aucun moment" entrés dans la bande de Gaza. Mais elle a reconnu que les tracteurs s'étaient introduits dans la zone militaire israélienne interdite à quelques pas de la séparation entre Israël et Gaza, "contrairement à [ses] instructions".
La rédaction des Observateurs n'a pas pu précisément géolocaliser ces images pour établir jusqu’où les tracteurs avaient pénétré. Contacté, le mouvement "Portrait de la victoire" n'a pas souhaité répondre à nos questions.
“L'idée d'une recolonisation de Gaza n’est pas nouvelle”
Pour Ori Givati, directeur de plaidoyer de l'ONG Breaking the Silence, organisation regroupant d'anciens militaires de l'armée israélienne dénonçant la colonisation israélienne, ces mobilisations récentes sont soutenues par une partie du monde politique israélien.
“Ces organisations sont certes nouvelles, mais l'idée d'une recolonisation de Gaza ne l'est pas. Ce qui est nouveau, c'est la légitimation de ce discours par le gouvernement, les membres de la Knesset et, peut-être pire que tout, par une grande partie de la société israélienne”.
Le 28 janvier, onze ministres du gouvernement israélien dirigé par Benyamin Netanyahou ont ainsi participé à une conférence appuyant un retour des colonies israéliennes à Gaza et le "transfert" des Palestiniens hors du territoire.
"Ce serait dommage d'attendre encore 15 ans pour retourner à Goush Katif. C’est le moment du retour chez soi, de la construction des colonies, de la peine de mort pour les terroristes et du temps de la victoire", avait déclaré le ministre de la sécurité nationale israélien, Itamar Ben Gvir, dans son discours.
Lors de cet événement, une carte de Gaza exposée dans le hall d'entrée pointait les différents projets de colonies dans la bande.
Ces prises de position remettent en cause frontalement le plan de désengagement opéré par le Premier ministre israélien Ariel Sharon en 2005, qui avait supprimé les 21 colonies israéliennes dans le territoire et relogé les 8 000 colons déplacés.
Ce plan avait provoqué de nombreux heurts entre les forces de l'ordre israélienne et la population déplacée, dont une partie souhaite toujours revenir dans ces colonies.
"En 2005 a été mis en place le plan de désengagement à Gaza, et aujourd'hui, beaucoup d'Israéliens prennent ce plan comme la cause [des attaques du Hamas en Israël] du 7 octobre", reprend Ori Givati. "Ces personnes exploitent le 7 octobre pour leurs propres besoins afin de justifier la réinstallation, et mettent les Palestiniens en danger, mais aussi les Israéliens et les soldats en danger, pour atteindre leurs objectifs messianiques".