Berlin cible Moscou après une "très grave" fuite au sein de l'armée allemande. Le ministre de la Défense a accusé dimanche 3 mars Vladimir Poutine de chercher à "déstabiliser l'Allemagne", à la suite de la diffusion depuis la Russie d'échanges confidentiels entre des officiers allemands sur des livraisons d'armes à l'Ukraine.
"Il s'agit simplement d'utiliser cet enregistrement pour déstabiliser l'Allemagne", a déclaré Boris Pistorius devant la presse à Berlin. Et il a ajouté : "Il s'agit clairement de saper notre unité (...), de semer la division politique sur le plan intérieur et j'espère sincèrement que (Vladimir) Poutine n'y parviendra pas et que nous resterons unis".
Le chancelier allemand, Olaf Scholz, a promis samedi une enquête "très approfondie" après la diffusion d'échanges confidentiels au contenu extrêmement embarrassant pour Berlin. Le ministère allemand de la Défense a confirmé qu'une conversation secrète de l'armée de l'air avait bien fait l'objet d'une écoute illégale.
Et, tout en ne donnant pas une validation à 100 %, une porte-parole du ministère a établi un lien assez clair avec la conversation divulguée, en ajoutant : "Nous ne sommes pas en mesure de dire avec certitude si des modifications ont été apportées à la version enregistrée ou transcrite qui circule sur les réseaux sociaux".
L'option de frappes visant le pont de Crimée évoquée
La controverse a émergé après la diffusion, vendredi en Russie sur des réseaux sociaux, de l'enregistrement d'une conversation entre des officiers allemands de haut rang en visioconférence. La rédactrice en chef de la chaîne d'État russe RT, Margarita Simonyan, a publié ce fichier de plus d'une demi-heure, en le présentant comme un échange daté du 19 février.
Dans cette conversation, que l'AFP a écoutée, les participants parlent notamment de l'hypothèse de la livraison à Kiev de missiles de longue portée Taurus, de fabrication allemande, de ce qui serait nécessaire pour permettre aux forces ukrainiennes de les utiliser et de leur impact éventuel.
Les officiers évoquent en particulier l'option de frappes visant le pont de Crimée reliant la péninsule de Kertch et le territoire russe, l'un d'eux soulignant qu'il faudrait entre 10 et 20 missiles pour en venir à bout. La péninsule de Crimée a été annexée en 2014 par Moscou.
Ces échanges, préparatoires semble-t-il à un briefing pour le gouvernement allemand, placent Berlin dans une situation inconfortable. Car l'Allemagne refuse jusqu'ici officiellement toute livraison de missiles Taurus, pourtant réclamés haut et fort par Kiev, de crainte d'une escalade de la guerre. Ces engins ont une portée de plus de 500 km et pourraient atteindre Moscou.
Une conversation qui dévoile des secrets militaires de pays alliés
Dans l'enregistrement, les participants évoquent aussi des détails sur les livraisons et l'emploi de missiles de longue portée Scalp fournis depuis 2023 par la France et la Grande-Bretagne à l'Ukraine.
Cette partie de l'écoute est l'une des plus gênantes pour Berlin car elle dévoile des secrets de pays alliés. Olaf Scholz a déjà récemment suscité l'irritation en Grande-Bretagne pour avoir affirmé que les Britanniques et les Français aidaient les soldats ukrainiens pour le maniement de ces missiles et la définition des cibles.
Il s'agit d'"une affaire très grave et c'est la raison pour laquelle elle fait désormais l'objet d'une enquête très minutieuse, très approfondie et très rapide", a déclaré le chancelier allemand à l'occasion d'une visite à Rome.
La chaîne de télévision publique ARD parle de "catastrophe" pour les services secrets allemands, accusés de légèreté dans leurs mesures de sécurité. Selon l'hebdomadaire Der Spiegel, la visioconférence a eu lieu via la plateforme publique WebEx, et non un réseau interne ultrasécurisé de l'armée de l'air.
"Si cette histoire se vérifie, elle serait hautement problématique", a déclaré le président de la commission parlementaire allemande de contrôle des services secrets, Konstantin von Notz, aux journaux du groupe RND.
"Intimider" Olaf Scholz sur les missiles Taurus
Côté russe, le chef de la diplomatie Sergueï Lavrov, en visite en Turquie, a voulu voir dans cette affaire l'illustration "que le camp de la guerre en Europe est toujours très, très fort".
Le numéro deux du Conseil de sécurité russe, Dmitri Medvedev, a, lui, jugé sur son compte Telegram que "nos rivaux de toujours, les Allemands, sont redevenus nos ennemis jurés" et préparent des tirs de missiles pour frapper "la patrie" russe.
De nombreux responsables à Berlin y voient, eux, une opération de Moscou pour peser dans le débat allemand sur les livraisons d'armes à l'Ukraine.
Pour l'experte des questions de défense du parti libéral FDP, membre de la coalition gouvernementale, Marie-Agnes Strack-Zimmermann, l'intention de Moscou "est évidente" : "intimider" Olaf Scholz pour qu'il ne revienne pas sur son refus de livraison des Taurus, a-t-elle dit au groupe de presse Funke.
Avec AFP