Leur mobilisation ne faiblit pas. En Serbie, des milliers de manifestants continuent de se rassembler quotidiennement devant la commission électorale, après que le Parti serbe du progrès (le SNS) a revendiqué la victoire aux élections législatives du 17 décembre, avec 46,72 % des voix contre 23 % pour la coalition de l’opposition "Serbie contre la violence".
"Si rien ne change, les blocages s’étendront à tout le pays à partir de mercredi", a annoncé le collectif des étudiants de l’organisation Borba, "La lutte".
Ces élections ont été "truquées" selon la cheffe de l'opposition, Marinika Tepic, qui a entamé le 25 décembre, avec six autres parlementaires, une grève de la faim pour demander leur annulation.
Des observateurs internationaux, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) et du Parlement européen, ont dénoncé une série d’"irrégularités", "l’achat de voix" et "le bourrage des urnes". Le parti du président Aleksandar Vucic aurait également profité, selon eux, d’un traitement de faveur dans les médias qui sont sous la coupe du pouvoir en place, en Serbie.
Aleksandar Vucic rejette ces accusations. Mais le parquet a demandé une enquête, le 23 décembre.
De son côté, la Russie accuse l'Occident de provoquer ces "troubles" et de chercher à "déstabiliser" la Serbie, le seul pays en Europe qui refuse de prendre des sanctions contre la Russie suite à la guerre en Ukraine.
Des fausses adresses à Belgrade
L’opposition estime notamment que la victoire lui a été "volée" dans la capitale serbe. Car les irrégularités qui ont entaché le scrutin concerneraient particulièrement Belgrade.
"Les élections (municipales) à Belgrade montrent, contrairement aux élections législatives, que le parti d’opposition, Serbie contre la violence, a réalisé un score d’environ 35 % des voix contre 39 % pour le parti du président. Une différence faible qui aurait pu être beaucoup plus importante (en faveur de l’opposition) s’il n’y avait pas eu de fraude. Et notamment, si on n’avait pas amené depuis la Bosnie voisine des Bosno-serbes voter à Belgrade", a affirmé Pierre Mirel, ancien directeur Balkans à la Commission européenne et conseiller pour le centre Grande Europe de l’institut Jacques Delors, sur France Culture.
Les Serbes de l’étranger ont le droit de vote aux législatives, mais pas aux municipales. C’est aussi le cas des Serbes de Bosnie qui ont la double nationalité.
"Des cartes d’identité et des fausses adresses à Belgrade ont été données à des Serbes de Bosnie. On parle de plus de 20 000 personnes qui ont été amenées en bus et qui ont été payées pour voter pour le pouvoir en place, le parti du président Vucic", explique Laurent Rouy, le correspondant de France 24 à Belgrade. La coalition d’opposition estime de son côté ce chiffre à "plus de 40 000 personnes".
Ce n’est pas la première fois que l’opposition serbe dénonce des irrégularités électorales. "Depuis qu’Aleksandar Vucic est au pouvoir, soit depuis 11 ans, à chaque élection des irrégularités sont constatées, précise Laurent Rouy. Ce qui est nouveau, c’est que la communauté internationale a réagi. Ils ont été, et c’est une surprise, très sévères dans leur caractérisation du niveau de fraude."
L'Allemagne a qualifié les fraudes présumées d’"inacceptables" pour un pays qui espère rejoindre l'Union européenne. La Serbie est officiellement candidate depuis 2014. Mais le pays s’éloigne de plus en plus de Bruxelles.
Un Maïdan serbe "dirigé par la CIA américaine et les services étrangers"
L’affaire de Banjska, du nom de cette localité dans le nord du Kosovo, où en septembre dernier un commando de plusieurs centaines de Serbes surarmés a pris d'assaut le village faisant quatre morts, a ravivé les inquiétudes des Occidentaux.
"Depuis ces incidents armés, Aleksandar Vucic ne serait plus vu comme une solution du problème kosovar mais comme une partie du problème, analyse Laurent Rouy. Ce qui pourrait expliquer l’évolution de la position de la communauté internationale".
Bruxelles parvient à maintenir le dialogue entre la Serbie et le Kosovo, son ancienne province à majorité albanaise. Mais Belgrade, soutenu par Moscou, refuse toujours de reconnaitre l’indépendance de Prishtina, qui a été proclamée en 2008.
Ce soutien russe à la Serbie explique en partie le double jeu du président Vucic qui veut à la fois intégrer l'Union européenne et continuer à entretenir des liens étroits avec la Russie.
Aleksandar Vucic a d’ailleurs reçu lundi l’ambassadeur de Moscou à Belgrade, Alexandre Botsan-Khartchenko. Selon ce dernier, il lui aurait dit que "l'opposition a commencé les manifestations encouragées et soutenues depuis l'extérieur". "Tout le mécontentement et les tentatives de déstabiliser le pouvoir de Vucic sont liés avant tout à sa volonté ferme de ne pas rejoindre les sanctions antirusses" décrétées par les Occidentaux, a assuré l'ambassadeur russe.
Le président et la Première ministre Ana Brnabic voient dans ces manifestations un "Maïdan serbe". Ils comparent la contestation à la révolution pro-européenne qui a abouti en 2014, à la destitution du président ukrainien pro-russe Viktor Ianoukovitch. Ana Brnabic a même remercié les services secrets russes d'avoir communiqué des informations sur "les activités" de l'opposition. Les tabloïds pro-gouvernementaux ont affirmé dans leurs éditions du 25 décembre que ce "Maïdan serbe" était "dirigé par la CIA américaine et les services étrangers".
L’opposition dément ces accusations. "Il n'y a aucune preuve que les pays occidentaux organisent des manifestations et ces affirmations sont totalement infondées", affirme Predrag Petrović, à la tête d’une ONG de Belgrade, le Centre d’étude sur la politique de sécurité, sur les ondes de Radio Free Europe. Il estime que de telles déclarations constituent une tentative de "criminaliser et délégitimer" l’opposition.
Avec AFP