Vainqueur des élections législatives dimanche en Serbie, le président nationaliste Aleksandar Vucic navigue entre deux eaux, à mi-chemin entre l’Union européenne, que Belgrade veut officiellement rejoindre, et la Russie, avec qui il entretient des relations privilégiées.
Il n’y a pas eu de surprise ce dimanche 17 décembre à Belgrade. Les élections législatives serbes ont vu la formation nationaliste et pro-européenne SNS (Parti progressiste serbe, engagé sous la liste "Serbia Must Not Stop") triompher en remportant 46,7 % des voix et 127 des 150 sièges du Parlement.
D'après ces premiers résultats officiels, le parti du président Aleksandar Vucic, réélu en 2022, a largement devancé l’opposition menée par la liste de coalition "Serbia Against Violence" (23,5 %). Le SNS est également arrivé en tête dans la course à la mairie de Belgrade avec 44,5 % des voix, toujours devant la coalition (38,2 %).
Les élections législatives et municipales ont cependant été entachées de nombreuses irrégularités, selon le Centre pour la recherche, la transparence et la responsabilité (CRTA), dans un pays encore largement miné par la corruption. Selon les observateurs de cette ONG créée en 2016, "des irrégularités ayant directement compromis les résultats des élections ont été enregistrées dans 5 % des bureaux de vote lors des élections parlementaires et dans 9 % des bureaux de vote lors des élections à Belgrade." Le CRTA parle notamment de "bulletins préremplis", de "migrations organisées d’électeurs" ou encore de "pressions" et de "pots-de-vin".
Les allégations de fraudes ont été confirmées par un rapport préliminaire de la mission internationale d'observation (OSCE, Parlement européen et Conseil de l'Europe), qui évoque "des achats de voix" et "des bourrages d'urnes".
Lundi soir, plusieurs milliers de manifestants se sont réunis devant le siège de la commission électorale pour demander une annulation du scrutin municipal de Belgrade, décrit comme le plus contesté.
Corruption et violence politique
Le climat de violence politique entourant les scrutins en Serbie ne semble pas s'arranger. "Malheureusement, cette fois encore, nous sommes confrontés à une peur énorme en Serbie… Nous vivons dans un pays de violence, de corruption et de criminalité terrible", déclarait il y a quelques jours l'un des leaders de la coalition "Serbia Against Violence", Borko Stefanovic. Le 23 novembre 2018, l'opposant avait été frappé à coups de barre de fer, en marge d'une réunion politique à Krusevac, bastion du pouvoir central.
Ces allégations passent mal à Bruxelles, dix ans après le début des négociations d'adhésion de la Serbie à l'UE. Quelques semaines plus tôt, le Conseil de l'UE rendait un rapport mitigé sur la situation démocratique dans ce petit pays des Balkans (7 millions d'habitants), soulignant qu'il devait "intensifier ses efforts dans la lutte contre la corruption et la criminalité organisée et lutter contre toutes les formes de désinformation".
Mais la Serbie veut-elle vraiment intégrer l'Union européenne ? C'est la question que se posent plusieurs observateurs. Selon Florent Marciacq, chercheur associé à l'Ifri et spécialiste des Balkans, "il y a des réformes qui ne sont faites qu’en apparence et une autocratie qui se consolide". Le spécialiste évoque "un recul de la liberté de la presse, une violence politique qui se développe". Surtout, "la lutte contre la corruption n'avance qu'en apparence. Il y a des réformes mises en œuvre dans les hôpitaux, mais pas sur les grands projets d’investissement", précise le chercheur.
La Russie en embuscade
Autre dossier qui traîne aux yeux des Européens : le Kosovo. Si depuis 2011, Bruxelles se félicite de maintenir le dialogue entre la Serbie et cette région à majorité albanaise, dont l'indépendance proclamée en 2008 n'a toujours pas été reconnue par Belgrade, les discussions sur une reconnaissance mutuelle peinent à aboutir.
En mars dernier, Belgrade et Pristina ont une fois de plus échoué à trouver un accord. "Vucic va continuer à jouer un double jeu. Il donne de fausses garanties à l’UE sur certaines questions pour montrer qu’il est de bonne volonté, mais en réalité son maintien au pouvoir est lié au crime organisé", analyse un conseiller politique de la région qui préfère garder l'anonymat.
Les efforts de paix sont définitivement tombés à l'eau le 24 septembre dernier, lorsqu'un commando de plusieurs centaines de Serbes surarmés a pris d'assaut le village de Banjska, faisant quatre morts. Selon Le Monde, plus de quarante lance-roquettes antichars RPG, près de 200 lance-grenades, des dizaines de fusils automatiques, des mines et 80 000 munitions ont été retrouvés dans les véhicules abandonnés aux alentours de la localité.
Les Kosovars, qui ont arrêté l'attaque in extremis, ont directement accusé Belgrade d'avoir orchestré le coup, ce qu'a démenti Aleksandar Vucic. Mais l'enquête a rapidement démontré qu'il connaissait le chef du commando, Milan Radoicic. Ce dernier était même le vice-président de la Liste serbe pour le Kosovo, une formation considérée comme le bras politique de Belgrade dans le nord du Kosovo.
"On a trouvé des caches d’armes dans le nord du Kosovo pour armer près de 400 personnes. Comment sont-elles entrées ? Il faudra bien que quelqu’un réponde un jour. Les diplomates européens veulent encore croire que Belgrade est en dehors de tout ça, ce qui frustre énormément Pristina", alerte le conseiller politique des Balkans.
Pour mettre la pression sur son voisin Kosovar, la Serbie peut notamment s'appuyer sur son second allié, la Russie. Les deux pays entretiennent de profonds liens historiques et culturels, ainsi qu'une défiance mutuelle vis-à-vis de l'Otan, qui avait bombardé Belgrade en 1999, lors de la guerre avec le Kosovo. D'après un sondage du Conseil européen des relations étrangères conduit en 2022, 54 % des Serbes considèrent la Russie comme une alliée et 95 % comme une partenaire nécessaire.
Le pays des Balkans n'a d'ailleurs jamais adopté les sanctions occidentales contre Moscou initiées après l'invasion de l'Ukraine en février 2022. "La Serbie est dépendante de la Russie sur la scène internationale pour promouvoir son agenda de non-reconnaissance du Kosovo", confirme Florent Marciacq. Le Kremlin ne s'y est pas trompé. Dimanche soir, après la victoire d'Aleksandar Vucic aux législatives, Dmitri Peskov, le porte-parole de Vladimir Poutine, s'est empressé de le féliciter.