Les partisans de l'ex-Premier ministre Imran Khan, actuellement emprisonné, sont en tête des élections au Pakistan vendredi 9 février au soir, à l'approche de la fin du décompte, mais avec une avance limitée sur les deux grands partis dominant traditionnellement la scène politique.
Même si ces résultats se confirment, cela ne signifie pas que le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), le parti d'Imran Khan, qui a surpassé les attentes, sera en mesure de former un gouvernement.
Aucun des trois blocs ne pouvant plus obtenir la majorité absolue, il faudra au vainqueur nouer des alliances. Toutes les options restent donc ouvertes quant à la composition de cette coalition. La Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de Nawaz Sharif, qui était la favorite du scrutin, reste la mieux placée pour y parvenir.
"Nous n'avons pas la majorité pour conduire le gouvernement seuls, donc nous invitons les autres partis et les candidats vainqueurs à travailler avec nous", a déclaré Nawaz Sharif, qui a déjà exercé trois mandats de Premier ministre. L'ancien homme d'État de 74 ans, qui est rentré au Pakistan en octobre après quatre années d'exil à Londres, aurait le soutien de l'armée, selon les observateurs.
L'ancien Premier ministre pakistanais Imran Khan a de son côté revendiqué sa victoire depuis sa prison,dans un message posté sur X, créé à l'aide de l'intelligence artificielle.
Imran Khan a rejeté les revendications de victoire de son rival Nawaz Sharif, appelant ses partisans à célébrer une victoire obtenue malgré, selon lui, une répression contre son parti.
Chairman Imran Khan's victory speech (AI version) after an unprecedented fightback from the nation that resulted in PTI’s landslide victory in General Elections 2024. pic.twitter.com/Z6GiLwCVCR
— Imran Khan (@ImranKhanPTI) February 9, 2024Le parti d'Imran Khan n'a pas été autorisé à figurer sur les bulletins de vote, ce qui a contraint ses candidats à concourir en tant qu'indépendants. Malgré tout, les derniers résultats officiels préliminaires donnent 92 sièges aux indépendants - très majoritairement liés au parti d'Imran Khan, le PTI - pour le scrutin législatif, contre 63 pour la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N).
Le Parti du peuple pakistanais (PPP), de Bilawal Bhutto Zardari, représentant l'autre dynastie politique du pays, fait aussi mieux que prévu avec 50 sièges, selon la Commission électorale.
Ces résultats annoncés portent sur 225 des 266 circonscriptions en jeu. La lenteur du dépouillement n'a fait qu'ajouter aux soupçons de manipulations à l'encontre du PTI.
"On nous a changé nos résultats"
Les candidats soutenus par le PTI ont surtout remporté des sièges dans la province du Khyber Pakhtunkhwa, au nord-ouest du pays, son fief, où deux partisans du PTI ont été tués et 24 ont été blessés dans des émeutes vendredi soir. Ce sont les premières violences post-électorales rapportées depuis le scrutin de jeudi. "Deux manifestants ont été frappés par des pierres et ont perdu la vie" dans le district de Shangla, a déclaré à l'AFP un responsable de la police locale, Sahibzada Sajjad Ahmed.
Des manifestations ont aussi eu lieu à Peshawar, la capitale du Khyber Pakhtunkhwa, et à Quetta au Baloutchistan, au sud-ouest du pays.
Pour beaucoup d'électeurs d'Imran Khan, le délai dans la publication des résultats a renforcé la conviction que la victoire leur était volée.
"On nous a changé nos résultats (...) Le gouvernement devrait recompter tous les votes", a affirmé Muhammad Saleem, un commerçant de 28 ans qui s'est joint à quelque 2 000 partisans du PTI ayant bloqué une grande artère de Peshawar.
La Commission a invoqué des "problèmes d'internet" pour expliquer la lenteur du processus. La coupure par les autorités des services de téléphonie et d'internet mobiles jeudi avait déjà alimenté les doutes quant à la régularité des élections.
L'Assemblée nationale compte 336 députés, mais 70 sièges y sont réservés aux femmes et aux minorités religieuses et alloués à la proportionnelle. Le PTI n'étant pas autorisé à concourir sous ses propres couleurs, il ne peut prétendre à aucun de ces sièges additionnels.
Les indépendants ne peuvent former eux-mêmes un gouvernement et disposent de 72 heures pour décider s'ils rejoignent un groupe parlementaire ou non, ce qui joue aussi contre le PTI. Cela laisse le temps aux autres partis de courtiser les indépendants soutenus par le PTI et de les pousser à les rejoindre, une pratique courante au Pakistan.
Fraudes pré-électorales
"Même si le PTI n'arrive pas à former un gouvernement, les élections montrent qu'il y a une limite à la manipulation électorale", a toutefois déclaré à l'AFP Bilal Gilani, directeur exécutif de l'institut de sondage Gallup Pakistan. "Cela montre que l'armée n'obtient pas toujours ce qu'elle veut".
Le ministère de l'Intérieur a indiqué vendredi que 61 attaques avaient eu lieu jeudi, jour du vote. Elles ont fait 16 morts et 54 blessés. La veille, 28 personnes avaient péri dans deux attentats à la bombe revendiqués par le groupe jihadiste État islamique, dans la province du Baloutchistan.
La campagne avait été marquée par des accusations de "fraudes pré-électorales", avec la mise à l'écart du populaire Imran Khan condamné à trois longues peines de prison, et la répression à l'encontre de son parti.
La PML-N et le PPP avaient formé un gouvernement de coalition, sous la direction de Shehbaz Sharif, le frère de Nawaz, après l'éviction d'Imran Khan du poste de Premier ministre par une motion de censure en avril 2022.
Le PPP s'était ensuite distancé de la PML-N pendant la campagne et semble avoir moins pâti de l'impopularité de ce gouvernement. Son chef, Bilawal Bhutto Zardari, 35 ans, fils de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto assassinée en 2007, a évoqué des résultats "très encourageants".
La posture anti-establishment d'Imran Khan, ancienne star du cricket, explique que sa popularité soit restée intacte, malgré un passage au pouvoir marqué par une détérioration de la situation économique. Il a défié de front l'armée, qui a dirigé le pays pendant des décennies et était pourtant soupçonnée de l'avoir soutenu en 2018. Il l'a accusée d'avoir orchestré sa chute en 2022 et lui a attribué ses ennuis judiciaires.
"Préoccupations" de Londres et Washington
Les États-Unis, qui entretiennent des relations tendues avec Islamabad même s'ils sont partenaires, ont fait part vendredi de leurs "préoccupations" sur le déroulement des élections au Pakistan, tout en disant vouloir travailler avec le prochain gouvernement.
Le Royaume-Uni a exprimé vendredi de "graves préoccupations" sur le déroulement des élections au Pakistan et "exhorte" les autorités pakistanaises à "respecter les droits humains fondamentaux", en particulier en matière d'accès à l'information.
"Nous reconnaissons (...) les graves préoccupations soulevées quant à l'équité et au manque d'inclusivité des élections", et "nous regrettons que tous les partis n'aient pas été formellement autorisés à se présenter", a affirmé le chef de la diplomatie britannique David Cameron, alors que le décompte des voix touche à sa fin pour ce scrutin émaillé de violences.
We recognise serious concerns over the fairness and lack of inclusivity of Pakistan’s elections.
Authorities must uphold fundamental human rights including free access to information and the rule of law.
I applaud all who voted. https://t.co/15U4EcmRjK
Avec AFP