Rien n'est joué. Trois blocs, dont celui mené par l'ex-Premier ministre Imran Khan, actuellement emprisonné, sont au coude-à-coude vendredi 9 février dans le décompte des sièges pour les élections au Pakistan, mais la lenteur du dépouillement n'a fait qu'ajouter aux soupçons de manipulation.
À 13 h 30 (8 h 30 GMT) – plus de 20 heures après la fermeture des bureaux de vote –, la Commission électorale du Pakistan n'avait annoncé que 81 résultats sur 266 attendus.
Le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) d'Imran Khan n'a pas été autorisé à se présenter en tant que parti aux élections de jeudi. Mais les résultats officiels préliminaires donnent 26 sièges aux candidats indépendants liés au PTI pour le scrutin législatif, soit cinq de plus que la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N) de la famille Sharif, qui était pourtant la favorite du scrutin.
Le Parti du peuple pakistanais (PPP), de Bilawal Bhutto Zardari, représentant l'autre dynastie politique du pays, fait lui aussi mieux que prévu avec 26 sièges également, selon la Commission électorale.
Vers un gouvernement de coalition ?
Si ces résultats se confirment, aucun des trois blocs ne semble en mesure d'obtenir la majorité absolue et de gouverner seul. Il faudra au vainqueur nouer des alliances pour former un gouvernement de coalition, toutes les options paraissant ouvertes.
Nawaz Sharif, 74 ans, qui est rentré au Pakistan en octobre après quatre années d'exil à Londres, aurait le soutien de l'armée selon les observateurs. Une victoire de son parti pourrait lui permettre de diriger le pays pour la quatrième fois, pourvu qu'elle soit suffisamment convaincante.
"Le sentiment de certitude (sur l'issue finale du scrutin) a disparu assez tôt", les candidats liés au PTI faisant mieux qu'attendu, a déclaré à l'AFP Sarah Khan, professeure de sciences politiques à l'université de Yale, aux États-Unis. "Ce n'est assurément pas la conclusion déterminée à l'avance que tout le monde attendait", a-t-elle estimé.
La campagne avait été marquée par des accusations de "fraudes préélectorales", avec la mise à l'écart du populaire Imran Khan, 71 ans, condamné à trois longues peines de prison, et la répression à l'encontre de son parti.
Avant l'annonce des premiers résultats officiels, l'organisateur en chef du PTI, Omar Ayub Khan, s'était dit convaincu que son parti serait en "capacité de former le prochain gouvernement fédéral avec une majorité des deux tiers", dans une déclaration vidéo aux médias.
La PML-N reste toutefois bien placée pour remporter la province du Pendjab, la plus peuplée du pays, a souligné sa porte-parole, Marriyum Aurangzeb.
La PML-N et le PPP avaient formé un gouvernement de coalition, sous la direction de Shehbaz Sharif, le frère de Nawaz Sharif, après l'éviction d'Imran Khan du poste de Premier ministre par une motion de censure en avril 2022.
Le PPP s'était ensuite distancé de la PML-N pendant la campagne et semble avoir moins pâti de l'impopularité de ce gouvernement. Son chef, Bilawal Bhutto Zardari – fils de l'ancienne Première ministre Benazir Bhutto, assassinée en 2007 –, a évoqué des résultats "très encourageants".
L'Assemblée nationale compte 336 députés, mais 70 sièges sont réservés aux femmes et aux minorités religieuses et alloués à la proportionnelle. Le PTI n'étant pas autorisé à concourir sous ses propres couleurs, il ne peut prétendre à aucun de ces sièges additionnels.
"Un effort est en cours pour falsifier les résultats"
La Commission a invoqué des "problèmes d'Internet" pour expliquer la lenteur du processus.
"Un effort est en cours pour falsifier les résultats", a accusé dans la nuit Raoof Hasan, responsable de l'information pour le PTI. Le parti n'a cessé de dénoncer des manipulations tout au long du processus électoral.
"Les craintes de falsification des résultats et de fraudes sont répandues et à juste titre", a aussi observé, sur le réseau social X, Michael Kugelman, directeur de l'Institut d'Asie du Sud au Wilson Center de Washington.
La coupure par les autorités des services de téléphonie et d'Internet mobiles pour la journée électorale jeudi avait encore renforcé les doutes sur la régularité des élections.
Imran Khan espérait bénéficier, comme lors de son élection en 2018, de la mobilisation de la jeunesse, assoiffée de changement après des décennies de domination des grandes dynasties familiales, jugées corrompues.
La posture anti-establishment de l'ancienne star du cricket explique que sa popularité est restée intacte, malgré un passage au pouvoir marqué par la détérioration de la situation économique. Imran Khan a défié de front l'armée, qui a dirigé le pays pendant des décennies et était pourtant soupçonnée de l'avoir soutenu en 2018. Il l'a accusée d'avoir orchestré sa chute en 2022 et lui a attribué ses ennuis judiciaires.
Le scrutin a été ensanglanté mercredi par la mort de 28 personnes dans deux attentats à la bombe revendiqués par le groupe jihadiste État islamique, dans la province du Baloutchistan (Sud-Ouest).
L'armée a indiqué que 51 attaques avaient eu lieu jeudi, faisant 12 morts, dont 10 membres des forces de sécurité.
Avec AFP