
On entend de plus en plus sa voix. Le prince héritier de Libye, Mohammed Reda Senoussi, prépare le terrain pour jouer un rôle politique majeur dans l’avenir de son pays.
Depuis plusieurs mois et de façon plus rapprochée depuis la mi-janvier, le monarque multiplie les rencontres diplomatiques à l’étranger avec les membres des différentes tribus et les dignitaires libyens. Des rendez-vous dont il ne se cache pas, et qu’il affiche sur le réseau social X.
في استمرار للجولة الرابعة مع المشاورات واللقاءات التي نجريها في سعينا نحو انجاح المساعي نحو حوار وطني شامل تحت مظلة الشرعية الدستورية الملكية ، التقيت بكل الترحاب وفداً مُقدراً من النخب والفاعليات الاجتماعية من الجبل الغربي وباطن الجبل من مختلف القبائل المحترمة من المنطقة الغربية… pic.twitter.com/8zdlkghUzc
— Mohammed El-Senoussi (@CPofLibya) February 1, 2024Cet émir, exilé à Londres depuis l’enfance, n’est autre que le petit fils d’Idris Ier, qui a régné entre 1951 et 1969 sur le pays, avant d’être renversé cette année-là par le colonel Kadhafi.
Dans ses déclarations, l'héritier du trône libyen se pose en pacificateur, cherchant à réinstaurer un dialogue national "qui sauvera notre pays du fléau des guerres, de la discorde et de la division". "Notre objectif commun est de sauver notre pays et œuvrer à construire un État basé sur les institutions et le droit", écrit-il sur X.
Alors que la monarchie a été abolie il y a plus d’un demi-siècle, une partie de la classe politique espère ce retour du prince aux affaires du pays. Un plébiscite qui a lieu sur fond d’impasse politique. La Libye vit toujours déchirée entre deux autorités rivales qui se disputent le pouvoir, avec, d’un côté, le gouvernement de Tripoli reconnu par l’ONU, et de l’autre, l’est du pays, sous le contrôle des forces du maréchal Haftar.
Des rumeurs sur sa venue prochaine en Libye à l'invitation du Premier ministre de l’autorité de Tripoli, Abdelhamid Dbeibah, ont été démenties par la famille royale, qui a affirmé que l'homme politique et son entourage "cherchent à exploiter les progrès réalisés par Son Altesse Royale dans le cadre du dialogue national en cours".
"Le symbolisme, la popularité et l’héritage historique ne suffisent pas"
Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye et chercheur associé au Royal United Services Institute de Londres, a déjà rencontré le prince héritier, qui vit dans la capitale britannique. "C’est un homme intelligent, très accessible, qui a une conscience de son pays. Il est assez ancré dans la réalité pour quelqu'un qui est en exil depuis des décennies. Il voudrait – c’est ce qu’il dit en tout cas – contribuer positivement à la version 2024 de son pays."
Mais un retour politique du monarque laisse cet expert sceptique : "Le symbolisme, la popularité et l’héritage historique ne suffisent pas." Jalel Harchaoui avertit sur l’utilisation politique d’un souverain qui pourrait être utilisé comme un "gadget".
Selon lui, il est illusoire d’imaginer que l’émir pourrait rester une figure "neutre" symbolisant l’unité du pays, sans attache à aucune milice locale. "Il dispose d’un capital politique qu’il va tout de suite consumer, dès qu’il mettra le pied en Libye où il va devoir demander la protection physique d’une faction."
Toutes les factions espèrent son retour "car tous souhaitent l’instrumentaliser", poursuit le chercheur, qui affirme que les groupes armés libyens "le contactent depuis des années".
Un rôle à jouer pour redonner une Constitution à la Libye
Mais pour Jalel Harchaoui, l’émir pourrait avoir un rôle plus intéressant à jouer s’il met son retour dans la balance auprès de la classe politique libyenne pour les pousser à avancer sur l’adoption d’une nouvelle Constitution.
En effet, dépourvue de Constitution depuis la chute de Mouammar Khadafi en 2011, la Libye est dans l’impasse. "Le pays devait signer une déclaration constitutive en 2011, un document temporaire qui était censé être remplacé par une vraie Constitution permanente. Mais cela ne s’est jamais fait en raison de l’incompétence [des dirigeants libyens, NDLR], mais aussi à cause de la poursuite des combats", explique le chercheur.
Les partisans de Mohammed Reda Senoussi rêvent d’un retour à la Constitution de 1951, du temps d’Idris Ier. Ce texte instituait un royaume unifié composé de trois régions bénéficiant chacune d'une large autonomie et un roi chargé de l’unité de façade. Une idée soutenue par la Jordanie et le Qatar, deux pays qui sont eux-mêmes des monarchies. En Libye, le prince hériter a aussi les faveurs des Frères musulmans, proches de Doha.
"Le sujet de préoccupation principal des Libyens reste de savoir ce qu’ils vont manger, s’ils vont avoir de l’électricité ou encore si leur salaire va bien leur être versé", estime Jalel Harchaoui, rappelant que 60 % de la population du pays a moins de 30 ans et n’a jamais connu la Libye du temps de la monarchie.
