
Vincent Grammont, ancien travailleur humanitaire qui vit à Delmas, dans la banlieue de Port-au-Prince, décrit la situation cinq jours après le séisme.
Vincent Grammont, ancien travailleur humanitaire, vit à Delmas, dans la banlieue de Port-au-Prince. Il est installé en Haïti depuis 2005. Dimanche, il livrait son témoignage à FRANCE 24.
"Nuit difficile à Delmas. On a entendu beaucoup de tirs d'armes à feu. Les gens doivent maintenant choisir entre ces tirs dans la rue et dormir dans les maisons qui sont restées debout. Finalement, c'est sur le seuil de la porte, à mi-chemin, que certains passeront la nuit.
Chez moi, où nous sommes maintenant quinze, il y a un chef désigné pour le carburant, un chef pour l'eau, un pour la sécurité, un autre pour trouver de la
nourriture... Ainsi qu'un chef pour gérer les enfants qui sont très turbulents. Ils sentent le stress des adultes. Des communautés autour des quartiers se sont organisées de la même manière, nous n'avons fait que copier le pragmatisme des Haïtiens.
Une fois que l'on a géré 'sa propre crise', on peut s'occuper des autres, sinon c'est difficile. C'est d'ailleurs l'un des problèmes majeurs de cette crise. Les gens sensés et en capacité de venir en aide à la population (comme l'ONU et sa force de maintien de la paix - la Minustah -, les ONG, mais aussi les autorités haïtiennes) sont eux-mêmes touchés, voire en état de choc... Donc peu efficaces, ce qui est compréhensible.
Après le séisme, je me suis tout naturellement dirigé vers mes amis et connaissances. Certains ont tout perdu… sauf leur vie. J'ai recueilli des familles et nous avons commencé à voir comment aider les gens sur les hauteurs de la commune de Pétionville. Cela avec mes petits moyens personnels.
Nous avons donc commencé une évaluation rapide des dégâts et des morts, essayé de gérer les priorités, nombreuses notamment dans quatre bidonvilles où habitent environ 80 000 à 100 000 personnes. Par la suite, j'ai profité de mes contacts aux Nations unies et dans les agences pour tenter de faire venir de l'aide dans ces quartiers.
Les soins dans des conditions extrêmes
Nous avons repris nos démarches grâce au carburant que nous avons chèrement acquis au marché noir. Un poste de soins avancés au cœur du quartier de Meyotte a été fourni en matériel. Ainsi, de 150 à 200 consultations sont réalisées par jour. Un autre poste de soins sera opérationnel à Bristout et Bobin, entre aujourd'hui et demain.
Environ 50 000 personnes sont dorénavant couvertes pour les soins d'urgence. Un grand merci pour leur soutien et leur confiance aux responsables de l'OMS et de Promess, le programme local de l'Organisation panaméricaine de la santé (Paho). Les consultations sont assurées dans des conditions extrêmes par du personnel de santé du quartier, bénévoles, comme tout le monde : des médecins, des infirmières et des étudiants.
J'ai du mal à faire venir Télécoms sans frontières, qui reste pour l'instant en périphérie des quartiers, place Saint-Pierre (où sont environ 5 000 personnes) et place Boyer (environ 3 000 personnes). J'ai l'impression que la "stratégie" des aides va se concentrer en périphérie des quartiers, alors que les routes vers l'intérieur de ces quartiers sont malgré tout accessibles.
Le risque de l'insécurité
A Bristout et Bobin, dans la commune de Pétionville, 100% de la population est installée en plein air. Le moindre petit espace a été envahi. Il y a les gens qui ont perdu leur maison, ceux dont les maisons ont été fissurées (une grande majorité) et qui sont donc devenues dangereuses. Il y a enfin ceux qui ont peur d'y rentrer, de dormir dedans. Des immenses camps de réfugiés s'installent spontanément, petit à petit, un peu partout. Il y a un grand besoin de bâches plastiques de protection, de tentes.
Nous allons sûrement installer dans premier temps un bureau opérationnel chez moi avec les équipes qui rentrent, après on verra.
J'ai peur que si nous n'arrivons pas à rapidement subvenir aux besoins de la population, notamment en nourriture et en eau, nous allons nous retrouver dans une situation qui pourrait faire plus de morts que le séisme.
Finalement, plus tard dans la journée, nous avons réussi à amener le Programme de Nations unies dans les quartiers de Bristout et de Bobin pour distribuer des rations de biscuit à 15 000 personnes. C'est peu mais au moins ça bouge.
Je souhaite terminer sur des témoignages de solidarité qui m'ont personnellement et particulièrement touché. Digicel, le plus grand opérateur de téléphones mobiles à Haïti, a chargé 200 "gourdes de crédit" à tous ses abonnés en Haïti. Les camions "Dlo Lokal" distribuent en petite quantité de l'eau dans les quartiers, gratuitement. Le logiciel Skype de téléphonie par Internet a donné aux gens en Haïti (y compris moi) deux dollars américains de crédit de téléphone, correspondant à 2 heures de communication avec les États-Unis.
Faites savoir autour de vous, s'il vous plaît, que ces gestes touchent beaucoup et apaisent les souffrances. Il faudrait aussi que les compagnies de transfert d'argent (Western Union…, CAM) puissent rétablir leurs services, afin de permettre à l'argent de circuler librement entre la diaspora et les familles actuellement bloquées en Haïti."