L’ancien président américain Donald Trump a une fois de plus fait trembler les relations internationales, en mettant en cause le principe de solidarité qui régit l’Otan. Le 11 février, lors d’un meeting de campagne en Caroline du Sud, celui qui brigue un deuxième mandat de "commander in chief" a à nouveau reproché aux États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique nord de ne pas financer suffisamment l’institution et a laissé entendre qu’il pourrait ne pas protéger un allié en cas d’attaque russe.
Ces propos chocs ont suscité l’inquiétude en Europe. Depuis sa création en 1949, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Otan n’en est pourtant pas à sa première crise et sa relation s'est révélée assez souvent tumultueuse avec les États-Unis. Comme le rappelle Jenny Raflik, professeure d’histoire contemporaine à l’université de Nantes, ce n’est d’ailleurs pas de l’autre côté de l’Atlantique qu’a germé l’idée de cette alliance. "C’était d’abord une volonté des Français et des Britanniques car ils avaient peur que les États-Unis se détournent de l’Europe. Les Américains avaient ramené leurs troupes à la maison, alors que les Russes n’avaient pas démobilisé. Il y avait une vraie crainte de voir la Russie attaquer", décrit cette spécialiste des relations internationales. "À l’époque, les Américains n’avaient pas envie de remettre les pieds durablement en Europe. Dans le contexte actuel, c’est intéressant de voir qu’ils demandaient déjà aux Européens de s’engager vraiment dans leur propre défense".
Finalement, malgré ces réticences, l’explosion en septembre 1949 de la première bombe atomique soviétique et le déclenchement de la guerre de Corée accélèrent la mise en place de la structure militaire intégrée de l’Otan. Dans le contexte des débuts de la Guerre froide, le rôle de l’Otan consiste alors – selon les mots de son premier secrétaire général, Lord Ismay – "à garder les Russes à l’extérieur, les Américains à l’intérieur et les Allemands sous tutelle".
"La colonne vertébrale de l’Otan"
Les États-Unis occupent peu à peu le premier rôle dans cette alliance. "Ils deviennent la colonne vertébrale de l’Otan parce que l’Europe fait défaut, notamment en termes de moyens financiers, matériels et industriels. L’Europe de l’après-guerre est d’abord mobilisée dans sa reconstruction et sa modernisation. Beaucoup de pays européens sont également très vite pris dans le processus de la décolonisation, comme la France, les Pays-Bas ou la Grande-Bretagne", explique Jenny Raflik.
Très vite, l’Alliance connaît des moments de tension. En pleine guerre d’Indochine, la France demande à ses alliés de financer, au titre de l’Otan, leur effort militaire. "Les Américains donnent des armes, mais ils veulent avoir un droit de regard sur leur utilisation. Les Français s’offusquent alors d’une ingérence américaine dans leurs affaires militaires", raconte l’historienne. "Ce sont des malentendus que l’on retrouve en permanence entre Américains et Européens. Les Américains payent et s’attendent à avoir un poids déterminant dans l’élaboration de la stratégie militaire".
Après la Guerre froide
Avec la chute de l’Union soviétique, l’Otan perd son adversaire naturel, mais son existence n’est pas pour autant remise en question. "L’idée de voir disparaître l’Alliance n’a pas duré très longtemps. Garder les Américains sur le continent européen était vu comme quelque chose de rassurant. La menace soviétique avait disparu, mais la menace russe restait prégnante dans les mentalités de beaucoup de pays", analyse Jenny Raflik. "Il y a quand même un désengagement progressif des Américains sur le sol européen avec la fermeture de bases militaires. L’Europe n’est plus vraiment au cœur des préoccupations de la géopolitique américaine, comme elle pouvait l’être au début de la Guerre froide".
Paradoxalement, c’est après la fin de l’affrontement entre les blocs de l’Ouest et de l’Est que l’Otan entreprend ses premières opérations militaires. En 1999, elle bombarde ainsi la Yougoslavie lors de la guerre du Kosovo. "Il a fallu attendre la fin de la Guerre froide pour que l’Otan agisse. Cela a été un premier test pour juger de son potentiel militaire et de la capacité des Alliés à agir ensemble", souligne Jenny Raflik.
Deux ans plus tard, le monde bascule dans une nouvelle ère avec les attaques du 11-Septembre sur le sol américain. Pour la première fois de son histoire, l’Otan invoque l’article 5 du traité de Washington prévoyant que tous les membres de l’Alliance doivent venir en aide à un membre attaqué. L’Otan mène alors ses premières opérations antiterroristes, notamment en Méditerranée et dans l’océan Indien, mais les opérations militaires de grande envergure des États-Unis ont toutefois lieu en dehors du cadre de l’organisation, comme le rappelle Jenny Raflik : "L’Alliance n’est finalement utilisée qu’à la marge. Les Américains préfèrent le mécanisme d’une coalition internationale sous leur direction et sous mandat de l’ONU pour avoir un peu plus de marge de manœuvre".
Une organisation "obsolète"
Depuis le début des années 2010, l’organisation fait face à un regain de tensions. Les menaces sont différentes et les priorités ne sont pas forcément les mêmes chez les Alliés, selon l’historienne : "L'Otan s'est divisée entre ceux qui étaient obsédés par les Russes et ceux qui étaient obsédés par le terrorisme. Chacun défendait ses intérêts et vivait dans sa propre réalité géopolitique. Cela a fragilisé l’Alliance".
En 2017, avant même son élection à la présidence des États-Unis, Donald Trump s’attaque ainsi à l’organisation en estimant qu’elle est obsolète "parce qu’elle ne s’est pas occupée du terrorisme", tout en reprochant déjà à ses États membres de ne pas payer leur part de la défense commune. Deux ans plus tard, le président français Emmanuel Macron enfonce le clou en jugeant que l'Otan est en état de "mort cérébrale".
Mais depuis le début de l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par la Russie en février 2022, l’Alliance apparaît comme ressuscitée. L’ennemi originel, de retour, lui a offert un regain d’intérêt. "Il n’y a rien de plus fort pour une alliance que de regarder dans la même direction et vers la même menace. Il y a un retour à l'essence de l'Otan avec ce regard de nouveau porté vers l’Est", résume Jenny Raflik. Mais ce renforcement a été mis à mal par les récentes déclarations fracassantes de Donald Trump. Comme en 2017, le candidat républicain a semé le trouble en affirmant que peu de pays payaient ce qu’ils devraient. "Le danger pour l’Alliance, c’est qu’il montre ses faiblesses au grand jour. Il porte atteinte à sa crédibilité. C’est du pain béni pour les Russes qui voient les Occidentaux s’entre-déchirer".
L’historienne minimise toutefois la portée de ces paroles. Elle rappelle qu’il y a sept ans, Donald Trump était revenu sur ses propos. Une fois élu, il avait affirmé que l’Otan n’était plus obsolète et qu’elle était un "rempart pour la paix internationale". Pour Jenny Raflik, même si l’homme d’affaires retrouve le Bureau ovale, l’existence de l’Alliance ne sera pas remise en question : "Il y a des garde-fous, notamment au Congrès américain. Les États-Unis sont une démocratie. Donald Trump ne fera pas ce qu’il veut. Par ailleurs, l’Otan a inauguré il y a quelques années un nouveau siège flambant neuf qui a coûté des millions de dollars. Ce n’est pas pour mettre la clé sous la porte demain. Elle pourrait évoluer, mais elle ne disparaîtra pas".