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Réelle urgence de dernière minute, signe de dépit face aux atermoiements américains ou message politique envoyé aux sénateurs américains ? Le président ukrainien Volodymyr Zelensky n'a fourni aucune explication à son absence de dernière minute, mardi 5 décembre au Congrès, à un point à huis clos, par visioconférence, sur l'avenir de l'aide militaire américaine à l'Ukraine.
"Zelensky ne peut pas se rendre à notre briefing à 15 h, quelque chose s'est produit à la dernière minute", a simplement déclaré à la presse le chef démocrate du Sénat, Chuck Schumer.
"Cette explication reste très floue et cette annulation surprise a un peu sidéré les élus du Sénat qui attendait cette intervention", glisse Matthieu Mabin, le correspondant de France 24 à Washington.
Depuis le début de la guerre, Volodymyr Zelensky a pris l'habitude de s'adresser aux représentants américains pour réclamer davantage d'aide et d'armement face à la Russie. Principal fournisseur de Kiev, Washington a déjà dépensé plus de 40 milliards de dollars depuis le début de l'invasion russe en février 2022. Mais l'administration Biden peine cette fois à faire débloquer une nouvelle enveloppe de 61 milliards de dollars dans un contexte de querelles politiciennes à la veille de l'élection présidentielle de 2024.
À l'origine du blocage : une Chambre des Représentants dominée par les Républicains, qui cherchent à obtenir un durcissement de la politique migratoire en échange d'un accord sur la poursuite du soutien américain. Mardi en fin de journée, Joe Biden a fait part de sa frustration grandissante : "L'incapacité à soutenir l'Ukraine est tout simplement absolument insensée. C'est contraire aux intérêts des États-Unis", a déclaré le président américain.
"Impasse"
"Volodymyr Zelensky a peut-être considéré qu'il s'agissait d'une affaire de politique intérieure américaine. Cela peut-être l'une des raisons pour lesquelles Zelensky ne n'est pas exprimé devant le Congrès", avance Armelle Charrier, chroniqueuse internationale à France 24, qui évoque aussi la piste de tensions au sommet du pouvoir ukrainien.
"Volodymyr Zelensky a été critiqué pour avoir repoussé les élections. Le maire de Kiev s'en est plaint en critiquant un autoritarisme connu en Russie, mais qu'il n'avait pas envie de voir du côté de Kiev. Il y aussi quelqu'un de très populaire auprès des Ukrainiens qui est le chef d'État major [Valeri Zaloujny]. Y a-t-il eu des tensions en interne ?", s'interroge Armelle Charrier.
Ces divisions apparaissent au grand jour ces dernières semaines, à travers une communication de moins en moins maîtrisée. Début novembre, Valeri Zaloujny avait notamment assuré que le conflit actuel avec la Russie était dans "une impasse". Un terme réfuté quelques jours plus tard par le président ukrainien – dans un entretien accordé au média américain NBC, Volodymyr Zelensky a préféré évoquer une "situation difficile".
Engagées depuis juin dans une lente contre-offensive destinée à reprendre aux Russes les territoires conquis au sud et à l'est de l'Ukraine, les troupes de Kiev peinent à trouver la faille dans la gigantesque ligne de défense érigée le long des quelque 1 000 kilomètres de la ligne de front par la Russie. L’Ukraine a toutefois enregistré un succès fin novembre en consolidant des positions sur la rive gauche du Dniepr, quatrième plus long fleuve d'Europe, devenu une ligne de front dans le Sud. Des progrès sur le terrain que les Ukrainiens pourraient faire valoir auprès de leurs soutiens occidentaux.
"Le vrai enjeu pour l'Ukraine aujourd'hui, c'est de gérer la baisse du moral des Occidentaux liée à leur perception du front", estimait en novembre auprès de France 24 l'historien militaire Cédric Mas, rappelant que "la situation stratégique ukrainienne, d'un point de vue militaire, était bien meilleure que celle de mai 2022 lors de la chute de Marioupol".
Cris et hurlements au Congrès
Au-delà de cette absence remarquée du président ukrainien, la journée a été marquée par des débats houleux entre démocrates et républicains à Washington. Plusieurs membres du Congrès ont rapporté des cris et des hurlements lors de la réunion mardi après-midi. Les républicains ont ensuite quitté la salle en bloc.
"Ils ont choisi de mettre en péril le financement de l'Ukraine et ils devront tous vivre avec ce choix lorsque Vladimir Poutine marchera sur Kiev et sur l'Europe", a fustigé le sénateur démocrate Chris Murphy.
Un premier vote de procédure, prévu mercredi au Congrès sur un nouveau gigantesque volet militaire, humanitaire et macroéconomique pour Kiev devrait, sauf surprise, échouer.
La Maison Blanche a elle-même tiré la sonnette d'alarme lundi, assurant que l'aide militaire américaine à l'Ukraine pourrait être coupée net dans les prochaines semaines, faute d'accord budgétaire avec l'opposition républicaine.
"Si le Congrès n'agit pas, d'ici la fin de l'année nous serons à court de ressources pour livrer plus d'armes et d'équipements à l'Ukraine et pour fournir du matériel venant des stocks militaires américains", a écrit la directrice du Budget de la Maison Blanche.
"Des hauts et des bas"
Les responsables ukrainiens martèlent leur besoin accru d'armement pour éviter que les frappes russes ne plongent des millions de personnes dans le noir cet hiver, comme l'an dernier.
"Je reste plutôt confiant sur le fait que, malgré la dramatisation du moment, on est plutôt bons sur 2024", tempère une source européenne, n'excluant toutefois pas un "blocage" compte tenu des dissensions très fortes au sein du parlement de la première puissance économique mondiale.
Anticipant le risque de lassitude du grand allié américain, le président Zelensky s'était rendu à Washington en personne en septembre, rencontrant Joe Biden mais aussi des élus du Congrès avec lesquels il a eu de longs échanges. Cependant, sa visite n'avait pas eu l'effet escompté : embourbé dans une série de crises internes qui ont mené à la destitution du précédent speaker, le Congrès n'avait finalement pas validé l'octroi de nouveaux fonds.
Cet effritement du soutien occidental joue clairement en faveur de la Russie, selon les analystes qui soulignent la résilience de l'économie russe ou encore sa puissance démographique lui permettant d’envisager un conflit de longue durée.
"La Russie a connu une guerre exceptionnellement mauvaise, mais elle mise sur l'apathie de l'Occident et sur une diminution de son soutien. Elle pourrait avoir raison", estime James Nixey, responsable du programme Russie et Eurasie du groupe de réflexion Chatham House, qui appelle toutefois à ne pas surinterpréter la mauvaise passe traversée par les Ukrainiens.
"Les deux camps ont connu des hauts et des bas dans cette guerre, ont pris des morceaux de territoire et ont eu des tactiques de choc qui ont fonctionné. La situation est encore très équilibrée. Tout reste à faire."
Avec AFP