
Jusqu'à présent peu de détails avaient filtré sur les accusations israéliennes qui ont conduit l'Unrwa à se séparer de plusieurs de ses employés. Mais le New York Times a levé un coin du voile dimanche 28 janvier en révélant le contenu d'un dossier transmis par Israël au gouvernement américain dans lequel figure la liste des personnes incriminées et leur rôle supposé dans l'attaque du 7 octobre.
Présenté aux responsables américains vendredi, le rapport énumère les noms et les emplois occupés ainsi que les allégations portées contre douze personnes. Neuf d'entre elles ont déjà été licenciées, a annoncé dimanche le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres
Les services de renseignement israéliens assurent notamment avoir établi les mouvements de six hommes à l'intérieur d'Israël le 7 octobre en s'appuyant sur la géolocalisation de leurs téléphones. D'autres employés ont été compromis à travers des écoutes évoquant leur participation à l'opération menée par le Hamas. Enfin, trois autres ont reçu des SMS leur ordonnant de se présenter à des points de rassemblement, et l'un d'entre eux a reçu l'ordre d'apporter des roquettes stockées à son domicile, selon le dossier israélien.
Le rapport affirme que dix employés de l'Unrwa font partie du Hamas tandis qu'un autre serait affilié au Jihad islamique. Parallèlement, plusieurs mis en cause ont occupé des emplois d'enseignants dans des écoles financées par l'ONU. Le dossier israélien mentionne également un employé de bureau, un travailleur social et un responsable d'entrepôt.
Selon Israël, l'un des employés de l'agence onusienne a directement participé au massacre du kibboutz Be'eri, dans lequel 97 personnes ont été assassinées par le Hamas le 7 octobre. Mais les accusations les plus détaillées du dossier concernent un conseiller scolaire de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, soupçonné d'avoir fomenté avec son fils le kidnapping d'une femme en Israël.
Autre cas soulevé par l'État hébreu : celui d'un travailleur social de Nuseirat, dans le centre de la bande de Gaza, accusé d'avoir aidé à ramener le corps d'un soldat israélien dans le territoire palestinien. Ce Palestinien est également suspecté d'avoir distribué des munitions et coordonné l'usage de véhicules lors des attaques du 7 octobre qui ont fait environ 1 140 morts, principalement des civils. En riposte, Israël a lancé une vaste opération militaire à Gaza, qui a fait 26 422 morts, en grande majorité des femmes, enfants et adolescents, selon le dernier bilan fourni dimanche par le ministère de la Santé du Hamas.
Une "punition" collective, selon la Norvège
Les accusations israéliennes s'inscrivent dans un contexte de tensions historiques entre l'État hébreu et l'Unrwa qui depuis 1949 vient en aide dans le Moyen-Orient aux familles déplacées par le conflit israélo-palestinien. À Gaza, l'agence onusienne est accusée par Israël d'être tombée sous la coupe des militants du Hamas, ce qu'elle dément. En 2017, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu avait même réclamé le démantèlement de cet organe de l'ONU, plaidant pour sa fusion avec la principale agence onusienne pour les réfugiés.
Sollicitée par le New York Times, l'Unrwa a indiqué que deux des douze employés mis en cause par Israël étaient décédés. L'agence n'a toutefois pas souhaité fournir davantage d'informations tant que l'enquête interne diligentée par l'ONU se poursuit.
Bien que les États-Unis n'ont pas encore officiellement corroboré les affirmations israéliennes, les responsables américains les ont jugées suffisamment crédibles pour justifier la suspension de leur aide. Depuis, les pays donateurs se retirent les uns après les autres faisant craindre un arrêt des opérations d'aide humanitaire à Gaza.
Italie, Canada, Australie, Royaume-Uni, Finlande, Allemagne, Japon et Autriche ont en effet emboîté le pas aux États-Unis. De son côté, la France a annoncé ne pas prévoir de nouveau versement au premier trimestre 2024, exigeant "transparence et sécurité" pour reprendre son soutien à l'agence onusienne. L'Union européenne a elle demandé à l'Unrwa "d'accepter qu'un audit soit mené par des experts indépendants, choisis par la Commission européenne". En revanche, la Norvège, l'un des grands donateurs de l'agence, va maintenir son financement.
"Si je partage l'inquiétude suscitée par les allégations très graves concernant certains membres du personnel de l'Unrwa, j'invite instamment les autres donateurs à réfléchir aux conséquences plus larges d'une réduction du financement de l'Unrwa en cette période de détresse humanitaire extrême", a justifié dimanche le ministre norvégien des Affaires étrangères, Espen Barth Eide, dans un communiqué. "Nous ne devrions pas punir collectivement des millions de personnes", a-t-il ajouté.
Face aux menaces de famine, d'effondrement du système de santé et au déplacement massif de la population palestinienne, le travail de l'Unrwa est considéré comme crucial, permettant l'acheminement et la coordination de la distribution de l'aide humanitaire vers le sud de la bande de Gaza, où se concentre l'essentiel de population de l'enclave assiégée.
"Deux millions de civils à Gaza dépendent de l'aide critique de l'Unrwa pour leur survie au quotidien mais le financement actuel de l'Unrwa ne lui permettra pas de répondre à tous les besoins en février", a insisté dimanche Antonio Guterres, exhortant la communauté internationale à garantir la continuité de ses opérations.
Le secrétaire général de l'ONU a également rappelé à cette occasion la dangerosité de la mission de ses travailleurs humanitaires. Depuis le début de l'offensive menée dans l'enclave palestinienne, plus de 150 employés de l'Unrwa ont été tués dans les hostilités entre le Hamas et l'armée israélienne.