Les relations étaient devenues exécrables. Le divorce est désormais consommé. Le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont annoncé simultanément, dimanche 28 janvier, leur départ avec effet immédiat de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao), organisation dont le rôle est de favoriser la coopération, créée en 1975 et rassemblant jusqu’alors quinze États membres.
"Après 49 ans d’existence, les vaillants peuples du Burkina, du Mali et du Niger, constatent avec beaucoup de regrets, d’amertume et une grande déception que leur Organisation s’est éloignée des idéaux de ses pères fondateurs et du panafricanisme" ont déclaré les trois États, dans un communiqué conjoint daté du 28 janvier.
Lundi 29 janvier au soir, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont officialisé leur démarche en envoyant à la Cédéao une "notification formelle" de retrait, a-t-on appris de sources officielles.
Cette rupture historique est l’épilogue d’un long bras de fer entre l'organisation et les militaires arrivés au pouvoir lors d’une série de coups d’État, au Mali, au Burkina Faso puis au Niger. Explications.
Le contentieux des élections
Le 18 août 2020, le président malien Ibrahim Boubacar Keïta est renversé par l’armée, dans un contexte de grogne sociale. Les partenaires internationaux du Mali, dont la France, les États-Unis ou encore l’Algérie, condamnent le putsch. En première ligne, la Cédéao publie un communiqué cinglant dans lequel elle "dénie catégoriquement toute forme de légitimité aux putschistes et exige le rétablissement immédiat de l'ordre constitutionnel".
Fondée au départ pour favoriser la coopération économique entre ses États membres, l’organisation sous-régionale s’est par la suite dotée de principes politiques. "Tout changement anticonstitutionnel est interdit, de même que tout mode non démocratique d’accession ou de maintien au pouvoir" peut-on lire dans son protocole sur la démocratie et la bonne gouvernance du 21 décembre 2001.
S’appuyant sur ces principes, elle a imposé à deux reprises un embargo économique contre le Mali, entre août 2020 et juillet 2022. De lourdes sanctions, dénoncées comme "inhumaines, illégitimes et illégales" par les autorités de transition; qui affirment qu’elles contreviennent aux libertés fondamentales de la population.
De son côté, la Cédéao réclame des engagements clairs quant à la tenue d’élections "dans un délai raisonnable", seule manière, selon elle, de s’assurer que les militaires ne s’éternisent pas au pouvoir.
Visions irréconciliables
Comme le Mali, le Burkina Faso est le théâtre d’un double putsch, en janvier puis en septembre 2022. Au Niger, le président Mohamed Bazoum, proche allié de la France et fervent détracteur des coups d’État militaires, est à son tour renversé par l’armée, le 26 juillet 2023.
À nouveau, la Cédéao impose de lourdes sanctions – en particulier au Niger, qui demeure à ce jour sous embargo économique. Mais comme avec Bamako, les négociations se révèlent laborieuses et la fracture grandit.
Le président bissau-guinéen Umaro Sissoco Embaló, qui prend la présidence tournante de l’organisation en juillet 2022, réclame la mise en place au sein de la Cédéao d’une "force anti-putsch". Au XXIe siècle, le coup d’État ne peut pas être "un 'fast track' [une "voie rapide", en anglais] pour arriver au sommet de l’État", dénonce-t-il. Son successeur, le président nigérian fraîchement élu Bola Tinubu, menace quant à lui d’envoyer une force militaire régionale pour déloger les militaires putschistes du Niger et rétablir le président Bazoum au pouvoir.
En face, les militaires putschistes dénoncent le "deux poids deux mesure" d’une organisation prompte à dénoncer les coups d’État, mais qu’ils accusent de se montrer bien plus conciliante face aux abus démocratiques des présidents élus. Abdoulaye Maïga, ancien Premier ministre par intérim malien, avait notamment qualifié de "farce électorale" la réélection à un troisième mandat du président ivoirien Alassane Ouattara, en 2020, rendu possible par l’adoption d’une nouvelle constitution.
Nouveau rapport de force
Les dirigeants du Mali, du Burkina et du Niger, qui justifient leur arrivée au pouvoir par la gravité de la menace terroriste, reprochent également à la Cédéao son absence de soutien dans le domaine sécuritaire. Un temps cantonnée au nord du Mali, l’insécurité a considérablement progressé ces dernières années dans la région dite des trois frontières (Mali, Burkina, Niger), en proie aux attaques de groupes armés liés à Al-Qaïda et au groupe État Islamique.
"Le problème est de voir des chefs d’État africains qui n’apportent rien à ces peuples qui se battent, mais qui chantent la même chose que les impérialistes en nous traitant de milices" avait dénoncé le président de la transition burkinabè, Ibrahim Traoré, lors d’un discours très remarqué durant le Sommet Russie-Afrique, à Saint-Pétersbourg, en juillet dernier.
Enfin, ce divorce avec la Cédéao s’inscrit dans une reconfiguration des alliances internationales et régionales initiée par les militaires putschistes des trois pays. Suivant l’exemple du Mali, le Burkina et le Niger ont rompu leurs liens avec la France et entamé un rapprochement avec la Russie. En septembre dernier, les trois États ont conclu un pacte de défense mutuelle, l'Alliance des États du Sahel (AES). Un accord visant à renforcer leur collaboration dans la lutte contre les groupes terroristes, mais aussi à se prémunir contre d’éventuelles interventions de forces armées, comme celle envisagée par la Cédéao au Niger.
En annonçant leur départ de la Cédéao, les trois pays "ont fustigé une organisation sous influence de puissances étrangères" devenue "une menace pour ses États membres".
Réagissant à la déclaration du Mali, du Burkina et du Niger, la Cédéao a défendu son "travail assidu avec les pays concernés en vue du rétablissement de l’ordre constitutionnel" et réaffirmé sa détermination à "trouver une solution négociée à l’impasse politique".
Bien qu’annoncé par les trois États comme "immédiat", le retrait doit prendre un an, selon les textes de l’organisation.