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Déstabilisation, révolte ou tentative de coup d’État ? Ce que l’on sait des troubles en Sierra Leone
Après une journée d'affrontements armés ayant fait 13 morts dans les rangs des troupes loyales au pouvoir dimanche à Freetown, le gouvernement sierra-léonais traque lundi les responsables, qui sont toujours en fuite, a annoncé le porte-parole de l'armée. Les autorités n'ont pas fourni de précision sur les instigateurs des évènements qui ont secoué la capitale, ni sur leurs motivations.

Les rues de Freetown, la capitale de la Sierra Leone, ont repris vie lundi 27 novembre, après la levée du couvre-feu imposé au terme d'une journée d'affrontements armés à Freetown. Dans le même temps, les autorités sierra-léonaises poursuivaient leur traque des responsables – en fuite – des affrontements qui, la veille, ont fait 13 morts et 8 blessés dans les rangs des troupes loyales au pouvoir.

Le porte-parole de l'armée, le colonel Issa Bangura, a déclaré que les forces de sécurité traquaient des soldats en activité et à la retraite qui avaient orchestré l'attaque. Il a précisé que les combats avaient principalement eu lieu dans les casernes, où les soldats loyalistes ont défendu leurs positions. "Nous avons lancé une chasse à l'homme pour retrouver tous ceux qui sont impliqués dans l'attaque et parmi lesquels se trouvent des soldats en activité ou à la retraite", a-t-il dit à la presse.

Le couvre-feu permanent décrété dimanche en raison des violences a été levé lundi matin à 6 h (heure locale et GMT). Il sera désormais imposé tous les jours de 21 h à 6 h jusqu'à nouvel ordre, a annoncé dans la nuit le ministère de la Communication. Celui-ci a par ailleurs exhorté les citoyens "à reprendre le cours normal de leurs activités", mais également à rester vigilants et à signaler "tout comportement suspect ou inhabituel" aux autorités.

Les événements de dimanche ont réveillé le spectre d'une nouvelle tentative de coup de force dans une Afrique de l'Ouest qui, depuis 2020, en a connu au Mali, au Burkina Faso, au Niger et en Guinée, voisine de la Sierra Leone.

  • Que s'est-il passé exactement ?

Les habitants de Freetown ont été réveillés, dimanche matin, par des coups de feu sporadiques et des détonations. "J'ai été réveillée vers 4 h 30 par un fort bruit de mitrailleuse et de bombes venant du côté de la caserne de Wilberforce", a dit à l'AFP Susan Kargbo, une témoin jointe par téléphone. "J'étais sous le choc, en panique [...]. C'était comme en temps de guerre." 

Le gouvernement a indiqué que des hommes armés avaient tenté de s'introduire dans l'armurerie principale de la plus grande caserne du pays, située à proximité de la résidence du président, mais avaient été repoussés par les forces de sécurité. Les assaillants ont également pris pour cible plusieurs prisons, dont la prison centrale de Pademba Road, qui abrite plus de 2 000 détenus. Selon les autorités, un nombre non confirmé de personnes auraient été libérées ou enlevées lors de ces attaques. 

Des vidéos diffusées sur les réseaux sociaux montrent des dizaines de personnes fuyant dans les rues du quartier de la prison. Une vidéo semble montrer le rappeur populaire Boss LAJ – emprisonné l'année dernière pour vol – en liberté, selon la BBC, qui n'a pas pu authentifier la vidéo. D’autres images montrent quelques hommes en uniforme, visiblement en état d'arrestation, à l'arrière ou auprès d'un pick-up militaire.

🔴Sierra-Leone🇸🇱

Plusieurs tireurs causant des troubles à #Freetown sont appréhendés, dont l'ancien garde du corps proche de l'ex-Président @ebklegacy. Cela soulève des questions sur la possible implication du #APC dans cette tentative de coup d'État ratée.

La lutte continue.. pic.twitter.com/kApfXkz3kZ

— Issa Sissoko Elvis (@DelphineSankara) November 26, 2023

Des publications sur les réseaux sociaux ont identifié, photos à l'appui, un ancien membre de la garde rapprochée de l'ex-président Ernest Bai Koroma (2007-2018) comme l’un des participants à l'opération tués par les forces de sécurité. L'ancien président a indiqué sur X (anciennement Twitter) qu'un soldat affecté à sa garde, le caporal Eddie Conteh, avait été tué par balle à bout portant dans sa résidence et qu'un autre avait été enlevé. Il a "condamné fermement" les atteintes à la sécurité d'État et appelé au calme et au rétablissement de l'ordre. 

Peu de temps après l’attaque, les autorités ont décrété un couvre-feu immédiat dans tout le pays. Dans un communiqué, la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) a parlé d'une tentative de faire main basse sur des armes de l'armurerie, mais aussi de "troubler la paix et l'ordre constitutionnel", langage communément employé pour les coups de force politiques.

  • Simple déstabilisation ou tentative de coup d’État ?

Dans un entretien accordé à France 24, le ministre de l'Information, Chernor Bah, refuse de parler de coup d’État. "Il est clair que certains emploient des mots trop forts pour savoir s'il s'agit ou non d'une tentative de coup d'État", a-t-il déclaré auprès de Justice Baidoo, correspondant de France 24 au Ghana. "Ce que nous savons, c'est qu'ils ont tenté d'attaquer plusieurs de nos principales installations sensibles à travers la ville et qu'ils ont été repoussés", a-t-il poursuivi, précisant qu'une enquête était en cours et que les résultats seraient publiés "pour que le public puisse en prendre connaissance". 

Point important : le gouvernement a démenti l'une des nombreuses rumeurs circulant dans la ville sous tension, à savoir une tentative de prise de contrôle de la télévision nationale, un classique des coups d'État. 

Lorsqu'il a pris la parole dimanche soir à la télévision d'État, le président sierra-léonais Julius Maada Bio est également resté vague, précisant que "la plupart des leaders avaient été arrêtés", sans toutefois donner de précisions sur leur identité ou leurs motivations.

National Address On The Current Security Situation In Sierra Leone: Sunday, November 26th, 2023 pic.twitter.com/wHAMGeWuIy

— President Julius Maada Bio (@PresidentBio) November 26, 2023

Pour Alex Vines, responsable du programme Afrique au sein du think thank londonien Chatham House, "il est difficile d'être totalement sûr qu'il s'agit d'un coup d'État, mais pourquoi libérer des prisonniers et chercher des armes ?", s'interroge-t-il. "Aucune demande n'a été formulée jusqu'à présent, mais il est clair que certains militaires sont mécontents."

Dans ce pays d'Afrique de l'Ouest, la situation politique est tendue depuis la réélection en juin du président Julius Maada Bio, dont la victoire est contestée par le principal candidat de l'opposition. En août, des manifestations antigouvernementales ont causé la mort de six officiers de police et d'au moins 21 civils.

"Il y avait un espoir d'apaisement des tensions post-électorales avec le retour à leurs postes des élus de l'APC [le Congrès de tout le peuple, parti d'opposition, NDLR], parti d'opposition, à leurs postes, après leur boycott pour protester contre le manque de transparence du processus électoral et des résultats", poursuit l'expert, qui rappelle qu’un accord sous la médiation du Commonwealth, de l'Union africaine et de la Cédéao a été conclu entre le gouvernement et l’APC en octobre. "Cependant, le procès en cour martiale de certains soldats, accusés d'avoir participé à la préparation d'un coup d'État fin juillet/début août, a commencé, ce qui a suscité des tensions au sein de l'armée." 

"Pour l'heure, la situation demeure confuse dans le pays", abonde de son côté Francis Laloupo, chercheur associé à l'Iris, spécialiste de la géopolitique de l'Afrique. "Une fraction de l'armée, ainsi que d'anciens militaires, sont désignés comme les instigateurs de ce que le pouvoir se contente de qualifier de 'tentative de déstabilisation', dans un pays fragilisé depuis quelques années par une dégradation alarmante de la situation économique. Les événements auxquels l'on vient d'assister sont symptomatiques d'une crise des transitions démocratiques comme cela est observé actuellement dans nombre de pays actuellement."

Avec AFP et Reuters

Déstabilisation, révolte ou tentative de coup d’État ? Ce que l’on sait des troubles en Sierra Leone