
Neuf mois de guerre et aucune trêve à l'horizon. Le conflit meurtrier au Soudan, opposant l'armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide du général Mohamed Hamdane Daglo dit Hemedti, a provoqué le déplacement interne de plus de 7,5 millions de personnes, aggravant chaque jour un peu plus une situation humanitaire déjà catastrophique.
Les tentatives de médiation des États-Unis, de l'Arabie saoudite ou encore du Kenya n'ont jusqu'à présent pas permis la mise en place d'un véritable cessez-le-feu.
Concentré un temps dans la région du Darfour et dans la capitale Khartoum, le conflit s'est élargi ces derniers mois à d'autres parties du territoire, en particulier au nord-est et au sud-est de la capitale.
Le général Hemedti, dont les troupes progressent sur le terrain, s'est engagé ces dernières semaines dans une offensive diplomatique régionale. Capitalisant sur ses récents succès militaires, le chef de guerre compte désormais remporter la bataille de l'image.
I was pleased to participate in the 42nd Extraordinary Session of IGAD Assembly of Heads of State and Government, held in Entebbe, Republic of Uganda, which discussed the ways to halt the ongoing war in the Sudan.
The summit was a significant opportunity for us to brief the… pic.twitter.com/5HNxplaZ9t
Percées militaires sur plusieurs fronts
L'organisation Regional Network for Cultural Rights a tiré la sonnette d'alarme mi-janvier, estimant que la progression du conflit menace dorénavant les vestiges du royaume de Kouch, des sites classés au patrimoine mondial de l'Unesco, vieux de 2 300 ans.
Selon l'ONG, les Forces de soutien rapide ont mené deux incursions ces deux derniers mois sur les sites de Naqa et de Musawwarat es-Sufra, situés à 170 km au nord-est de la capitale.
Si l'État du Nil affirme que l'armée de l'air est parvenue à repousser les paramilitaires sans faire de dégâts, ces incursions reflètent la dynamique favorable dans laquelle évoluent les forces du général Hemedti sur le terrain.
Selon, l'ONG Acled (Armed Conflict Location & Event Data Project), spécialiste de la collecte de données liées aux conflits, les forces rapides contrôlent désormais la "quasi-totalité des États du Darfour", dans l'ouest du pays.
Elles ont également réalisé au cours des dernières semaines une importante percée dans l'État d'Al-Jazira, au sud-est de Khartoum, dont elles sont parvenues à prendre la capitale, Wad Madani, le 18 décembre.
#Sudan: More than eight months into the war between the Sudanese Armed Forces and the Rapid Support Forces, the RSF offensives are gaining the upper hand. Read more in our latest situation update: https://t.co/Gc195swz4Y pic.twitter.com/YnJ68yuNcW
— Armed Conflict Location & Event Data Project (@ACLEDINFO) January 16, 2024L'armée en déroute
La prise de cette mégalopole de 400 000 habitants, figurant parmi les plus grandes villes du pays, est passée largement sous les radars médiatiques, focalisés sur l'offensive israélienne à Gaza.
Au Soudan, elle suscite de nombreuses critiques à l'égard des Forces de soutien rapides, réputées pour leur brutalité, rapidement accusées de se livrer à des exactions et pillages. Mais c'est surtout l'armée régulière qui cristallise la colère. Après quelques jours de combats en périphérie, celle-ci s'est retirée sans même combattre, abandonnant la ville.
"Nous demanderons des comptes à tous les commandants négligents. Ceux qui sont responsables de ce retrait devront répondre de leurs actes, sans aucune indulgence", avait alors fustigé le général Burhan, tentant de sauver la face.
Mais le mal est fait. "Les Soudanais s'attendaient à ce que, malgré ses piètres performances à l'ouest, l’armée réussisse mieux à protéger son arrière-cour fluviale historique", peut-on lire dans un récent rapport de l’ONG International Crisis Group. "Alors qu’elle n'a remporté aucune bataille majeure, nombre de Soudanais se demandent si elle n'est pas aujourd’hui sur le point de s'effondrer, bien que tous les scénarios restent possibles".
Offensive de charme
Le 27 décembre, soit neuf jours après la victoire éclair de ses troupes à Wad Madani, le général Hemedthi a débuté une tournée diplomatique régionale. Un véritable marathon, avec des étapes en Ouganda, en Éthiopie, à Djibouti, au Kenya, en Afrique du Sud ainsi qu’au Rwanda.
Jusqu'alors, les échanges du chef des paramilitaires avec les pays voisins étaient restés confidentiels, et pour cause. Avant la guerre, le général officiait en tant que vice-président de la transition, dirigée par le général Burhan. Ses Forces de soutien rapide sont par ailleurs accusées d’avoir tué plusieurs milliers de personnes dans la région du Darfour, lors de massacres ethniques.
Le 11 janvier, dans un long message posté sur le réseau social X, le général Hemedthi a rendu compte d'un entretien téléphonique avec le secrétaire général des Nations unies. Il y dénonce les exactions de l'armée, qualifiée de "milice", et indique avoir dévoilé à Antonio Guterres sa "vision pour mettre fin à la guerre".
Au début du conflit, "les deux groupes armés respectaient une certaine forme de chaîne de commandement. Mais ils ont connu tous les deux des pertes importantes et ont recruté massivement. Les nouveaux combattants, et sûrement une partie des anciens, se comportent extrêmement mal vis-à-vis de la population soudanaise", explique Roland Marchal, chercheur au Centre de recherche international de Sciences-Po. "De part et d’autre, ce n’est pas exactement la même chose, mais des deux côtés les violations des droits de l’Homme sont massives", ajoute ce spécialiste de la région.
À la veille d'une réunion consacrée au Soudan à Kampala, le général Burhan a annoncé le 17 janvier le gel de ses relations avec le bloc régional d'Afrique de l'Est, Igad (Autorité intergouvernementale pour le développement), qui tentait de mettre en place une médiation, l'accusant "d’ingérence" dans les affaires soudanaises.
Une occasion en or pour le général Hemedti qui a immédiatement condamné "ceux qui entravent le processus de paix au Soudan", les qualifiant de "traîtres à la nation".
"Le général Burhan croyait jusqu’ici qu'il pouvait se prévaloir du titre de président du gouvernement national soudanais" alors même que "l’armée nationale bombarde sa propre population", souligne Roland Marchal. "Hemedti apparaissant de plus en plus comme le vainqueur de cette confrontation, il espère maintenant faire valider politiquement ses acquis militaires de ces deux derniers mois".
Pendant ce temps "la population souffre, meurt et fuit une guerre dans son propre pays, sans que la communauté internationale ne semble prendre la mesure de la crise" déplore le chercheur.
Selon un bilan largement sous-estimé de l'ONG Acled, quelque 13 000 personnes auraient péri durant les neuf mois de guerre au Soudan. Le 18 janvier, l'ONU a annoncé le début d'une enquête sur les crimes de guerre dans le pays. Celle-ci se concentrera notamment sur les nombreuses accusations de viols et d’enrôlement d’enfants soldats depuis le début du conflit, le 15 avril dernier.
