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La France a promis, jeudi, 80 millions d'euros supplémentaires pour la population palestinienne, lors de la conférence sur l’aide humanitaire pour Gaza, alors que les dons internationaux devraient dépasser un milliard d’euros en 2023. Un engagement certes important mais qui ne règle pas le problème de l'acheminement de cette aide dans la bande de Gaza, alerte Isabelle Defourny, présidente de Médecins sans Frontières. Entretien.

Pour inciter aux dons pour les civils de Gaza, Emmanuel Macron compte montrer l’exemple. "La France a annoncé 20 millions d’euros d’aide humanitaire supplémentaire et nous allons porter cet effort à 100 millions d’euros pour 2023" a déclaré le président, jeudi 9 novembre à Paris, lors de la Conférence humanitaire internationale destinée à soutenir la population de l’enclave.

Depuis l’attaque du Hamas en Israël le 7 octobre, qui a fait plus de 1400 morts et permis la capture de centaines d'otages, l’État hébreu a déclenché une campagne de bombardements massifs sur Gaza, tuant plus de 10 000 Palestiniens, selon les services de santé de l'enclave dirigée par le Hamas. 

Insistant sur l’urgence de protéger les civils de Gaza, Emmanuel Macron a appelé à "une pause humanitaire très rapide". Il a souligné l’importance d’"œuvrer à un cessez-le-feu", auquel Israël, qui a promis de "détruire le Hamas", oppose jusqu’ici un refus catégorique. 

Pour analyser les déclarations du chef de l’État lors de cette conférence et faire le point sur la situation humanitaire à Gaza, France 24 s’est entretenu avec la présidente de Médecins sans Frontières, Isabelle Defourny.

France 24 : La France a estimé jeudi que les promesses de dons d’aide humanitaire pour les civils de Gaza devraient dépasser le milliard d’euros en 2023. Ce montant vous paraît-il à la hauteur des enjeux ?

Isabelle Defourny : Cette conférence a permis l’avancée de plusieurs points importants comme la reconnaissance de l’urgence à acheminer l’aide, un changement sémantique dans la parole d’Emmanuel Macron qui a appelé, pour la première fois, à un cessez-le-feu et à des engagements financiers qui sont bien sûr positifs.

Mais sur la question du montant, il faut bien comprendre que déjà, avant la guerre, les Nations unies évaluaient à plus d’un milliard d’euros l’aide nécessaire pour les Palestiniens, notamment à Gaza où 80 % de la population était déjà dépendante de l’aide internationale pour les besoins quotidiens tels que l’eau, la nourriture ou l’accès à l’école.  

Avec 1,5 million de déplacés à Gaza et des dizaines de milliers de blessés depuis le début de la guerre le 7 octobre, ce montant sera très probablement insuffisant. Le financement est certes essentiel mais le problème le plus urgent aujourd’hui est l’acheminement de l’aide humanitaire, car sans cessez-le-feu il nous est de toute façon impossible de déployer des secours à la hauteur des besoins.

Israël affirme mener des "pauses tactiques locales pour l’aide humanitaire". Ce dispositif permet-il de venir en aide aux populations ?

Jusqu’à présent, il ne s’agit pas de vraies pauses humanitaires. Nous avons 300 collègues palestiniens actuellement à Gaza, dont 70 % se trouvent actuellement dans le sud.

Ils sont prévenus de ces pauses quelques heures à l’avance par tracts ou textos pour ceux qui ont encore du réseau et il est impossible dans ces conditions de permettre le déploiement de secours ou de planifier le ravitaillement.

Habituellement, dans les zones de conflit, nous mettons en place des postes médicaux avancés où sont traités en urgence les blessés que nous transférons ensuite à l’arrière pour une prise en charge plus poussée. Mais il n’y a pas à Gaza de zone sûre. Le service de santé du Hamas affirme qu’un tiers des victimes ont été tuées dans le sud de Gaza. Nous ne pouvons pas vérifier ce chiffre, mais nos collègues nous confirment que les bombardements continuent dans le sud et nous connaissons des personnes qui y sont mortes lors de frappes.

Nous avons par ailleurs perdu un collègue le 6 novembre dans le nord de l’enclave, tué lui aussi dans un bombardement. Il s’appelait Mohammed al-Ahel et était technicien de laboratoire chez MSF.

Vous revenez d’un voyage en Égypte où se trouve actuellement le seul point d’acheminement d’aide humanitaire vers Gaza. Pouvez nous expliquer comment se déroulent ces livraisons ?

Alors que les besoins sont évidemment beaucoup plus importants depuis le 7 octobre, les livraisons d’aide humanitaire ont beaucoup diminué. En un mois, 700 camions d’aide humanitaire ont pu entrer dans l’enclave, ce qui correspond environ à deux jours de livraison avant la guerre.

En ce qui concerne MSF, nous avons mobilisé cinq camions transportant du matériel équivalent à 800 interventions chirurgicales. Quatre sont rentrés mais le cinquième est toujours bloqué à la frontière sans que nous sachions pourquoi.

Les entrées par le point de Rafah sont gérées par les équipes du Croissant-Rouge égyptien, qui font du bon boulot, mais tout doit être vérifié à la demande d’Israël.

Nous savons que certains équipements médicaux ne sont pas autorisés comme les extracteurs d’oxygène, dont Israël redoute qu’ils puissent être utilisés par le Hamas dans les tunnels. Le fuel pose également un problème bien qu’il soit essentiel au fonctionnement des hôpitaux de Gaza et aux centrales de désalinisation qui permettent d'obtenir de l'eau douce. Mais il n’y a pas de règles claires et du fait de ce système de contrôle opaque, l’aide entre au compte-goutte.

D’autres chemins d’approvisionnement sont aujourd’hui à l’étude, comme le couloir maritime évoqué par Chypre, mais encore faut-il qu’Israël autorise ces accès. Outre le cessez-le-feu, la priorité est de faciliter le processus de contrôle à Rafah et d’ouvrir des points de passage depuis Israël pour permettre l’entrée de l’aide.