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Guerre Israël-Hamas : l'armée américaine joue les équilibristes de la dissuasion
Les forces aériennes américaines ont frappé, mercredi, des cibles en Syrie pour la deuxième fois en quinze jours. Des démonstrations de force censées être dissuasives, mais la frontière avec une escalade du conflit reste ténue.

On ne peut plus parler d’exception. L’armée américaine vient à nouveau, mercredi 8 novembre, de frapper des cibles liées à l’Iran en Syrie. C’est la deuxième fois en moins de deux semaines que les avions américains interviennent militairement dans cette région. Ces attaques illustrent le difficile exercice d’équilibriste auquel les États-Unis s’adonnent pour protéger leurs intérêts dans la région, sans pour autant contribuer à envenimer encore davantage la guerre entre Israël et le Hamas, qui menace de se transformer en affrontement régional.

Washington semble avoir pesé chaque mot de son annonce pour limiter le risque d’escalade des tensions à la suite de cette nouvelle frappe aérienne. “Les forces armées américaines ont procédé à une frappe de légitime défense contre une installation dans l'est de la Syrie utilisée par le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI) de l'Iran et des groupes affiliés”, a souligné la Maison Blanche.

Le moins de dégâts possible

Les responsables américains ont même assuré un service médiatique après vente pour insister encore davantage sur l’aspect limité de cette opération militaire. “Nous sommes vraiment certains qu’il n’y a pas eu de victimes civiles lors de cette frappe”, a affirmé un militaire américain sous couvert d’anonymat à la chaîne américaine CNN. Il a ajouté que les États-Unis avaient évidemment “utilisé la ligne de déconfliction [avec la Russie, NDLR]” en amont de cette frappe. Un terme qui fait référence à la ligne de communication spéciale mise en place entre Moscou et Washington pour éviter toute mauvaise surprise militaire en Syrie.

“C’était clairement un acte de dissuasion car la frappe a été calibrée dans l’intention de faire le moins de dégâts possible, alors qu’en temps de guerre le but est, bien sûr, de maximiser la destruction”, résume Robert Geist Pinfold, spécialiste des questions sécuritaire et militaire en Israël à l’université de Durham.

Guerre Israël-Hamas : l'armée américaine joue les équilibristes de la dissuasion

Les deux frappes aériennes américaines effectuées depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas visaient à chaque fois des dépôts de munitions et caches d’armes de groupes liés à l’Iran, selon les services américains de renseignement qui n’ont pas précisé lesquels. “C’est ce qu’on appelle des cibles de basse intensité”, reconnaît Veronika Poniscjakova, experte des questions militaires au Moyen-Orient à l’université de Portsmouth. Le risque de dommages collatéraux et de victimes humaines restent faibles. D’autant plus que “l’armée américaine a tenu à préciser qu’ils avaient attendu le soir pour s’assurer que le personnel avait quitté les lieux”, souligne Robert Geist Pinfold.

L’armée américaine sait qu’elle avance en terrain miné depuis l’envoi de ses porte-avions et de plus de 1 000 soldats au sol dans la région. Officiellement, cette démonstration de force vise “principalement à dissuader le Hezbollah et l’Iran d’ouvrir un nouveau front contre Israël”, note Veronika Poniscjakova.

Mais la simple présence d’un tel contingent américain au large des côtes israéliennes “accroît les tensions et multiplie les risques d’incidents”, précise Robert Geist Pinfold. Cette projection de puissance militaire est perçue comme la démonstration du soutien américain à l’effort de guerre israélien et renforce la légitimité des attaques contre les intérêts américains dans la région pour les groupes combattants pro-iraniens.

Limites de la dissuasion "made in America"

Militairement, les États-Unis se retrouvent ainsi avec une double dissuasion à gérer. Empêcher les attaques contre ses positions au Moyen-Orient et “tout faire pour que la guerre soit circonscrite à la bande de Gaza”, résume Robert Geist Pinfold.

Le problème est que “la dissuasion ne fonctionne que si en face on a affaire à des acteurs rationnels dont on peut anticiper les réactions, ce qui n’est pas forcément le cas avec les groupes et mouvements pro-iraniens, comme le Hezbollah ou les Houthis qui on déjà envoyé des missiles sur Israël depuis le Yémen”, note Veronika Poniscjakova.

Hassan Nasrallah, le leader du Hezbollah, a ainsi affirmé, dans son allocution du 3 novembre, la première depuis les attaques meurtrières en Israël du 7 octobre, qu’il “ne se sentait pas menacé par la présence des navires de guerre américains” et que son mouvement était “préparé à faire face”. “C’est une manière d’indiquer que le Hezbollah ne s’interdit pas de recourir aux missiles antinavires dont il dispose”, assure Veronika Poniscjakova.

Autre exemple des limites de la dissuasion “made in America” : la première frappe aérienne en Syrie, effectuée le 26 octobre, n’a pas découragé les attaques contre les “intérêts américains”... au contraire. Il y a eu une quarantaine de frappes contre des bases ou des drones américains depuis le 7 octobre et “22 ont eu lieu à la suite de la première frappe aérienne américaine”, souligne le New York Times. En outre, “les milices pro-iraniennes utilisent des explosifs plus puissants dorénavant pour viser les bases américaines”, poursuit le quotidien nord-américain.

“D’habitude, il y a une sorte d’équilibre de la dissuasion, ce qui veut dire que les deux camps s’accordent tacitement sur ce qui est militairement toléré - le type d’attaques et où elles peuvent avoir lieu - sans entraîner d’escalade. Là on a l’impression que ce point d’équilibre n’a pas été trouvé”, note Robert Geist Pinfold. Autrement dit, chacun testerait les limites de l’autre.

La ligne rouge

Selon l'expert, il faut donc s’attendre à d’autres démonstrations de force américaine et d’attaques contre leurs intérêts qui vont “conduire à une lente escalade des tensions plutôt qu’à une explosion”.

Le tout est de ne pas franchir la ligne rouge. “Pour les États-Unis, cela signifie avant tout de ne pas débarquer de troupes au sol”, estime Veronika Poniscjakova. En face, tant que des missiles ne tombent pas sur une ville israélienne, qu’il n’y a pas de victimes américaines ou que “le Hezbollah ne vise pas les navires américains, il est possible d’éviter un embrasement de la région”, ajoute-t-elle

“C’est un jeu extrêmement dangereux car il y a énormément de variables qu’il est impossible de maîtriser à 100 % dans chaque attaque”, affirme Robert Geist Pinfold. Ainsi, les États-Unis dépendent de la qualité des renseignements récoltés - toujours faillibles - pour éviter de faire des victimes lors de leurs frappes. “Lorsque les Houthis envoient des missiles sur le territoire israélien, ils s’attendent à ce qu’ils soient interceptés. Mais là encore ce n’est jamais sûr à 100 %, et si un tel projectile tombait sur une ville israélienne, il y aurait probablement une escalade du conflit”, conclut Robert Geist Pinfold.