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Alors que les besoins en soins médicaux augmentent dans la bande de Gaza, soumise aux bombardements massifs de l’armée israélienne, l’accès aux hôpitaux et aux centres de santé, encore en état de fonctionner, devient de plus en plus difficile. Évacuation de patients à l'étranger, création d'hôpitaux de campagne… des solutions existent mais elles risquent, selon les experts, d’être insuffisantes si les combats se poursuivent dans le territoire palestinien.

Un constat chaque jour plus accablant. Selon l'ONU, un mois après les attaques du Hamas qui ont fait 1 400 morts, le 7 octobre en Israël, et le début de la campagne de bombardements israéliens sur la bande de Gaza, 14 des 35 hôpitaux ne fonctionnent plus dans la bande côtière palestinienne et 71 % des établissements de soins de santé primaires ne sont plus en service.

Pour ceux qui sont encore en état de fonctionner, la situation est dramatique. "Les hôpitaux sont saturés, et depuis les dernières semaines, ceux qui sont situés dans le nord du territoire ne sont plus du tout approvisionnés", a indiqué, Michel-Olivier Lacharité, responsable du programme Urgences de Médecins sans frontières (MSF), lors d'une conférence de presse, mardi 7 novembre, à Paris.

Sur place, des médecins se disent contraints de pratiquer des interventions chirurgicales sans anesthésie et dans des conditions de plus en plus insalubres en raison de l'accès limité à l'eau potable et à du matériel médical.

Et ce, alors que le nombre de patients grimpe en flèche : selon le ministère de la santé du Hamas, près de 25 000 personnes ont été blessées à Gaza depuis le 7 octobre. Un certain nombre d’hôpitaux servent également de refuge à des Gazaouis cherchant désespérément à s'abriter des bombardements israéliens, même si, depuis le 7 octobre, des frappes aériennes ont visé directement ou indirectement des centres médicaux ou leurs alentours.

"Comment vont-ils faire pour les évacuer ?": les défis de la crise des hôpitaux de Gaza

Le Hamas a, de nouveau, lundi, accusé Israël d’avoir mené "d'intenses bombardements" autour de plusieurs hôpitaux. Alors que les générateurs de deux hôpitaux ( Al-Chifa et l'hôpital indonésien) ont cessé de fonctionner en raison du manque de carburant. Seuls des générateurs secondaires peuvent être utilisés quelques heures par jour et uniquement pour les services critiques, d'après le Bureau de la coordination des affaires humanitaires (OCHA).

Mais selon le gouvernement israélien, le Hamas utilise les structures de santé pour abriter ses membres ou stocker des roquettes et des armes. Ce que le mouvement islamiste palestinien dément catégoriquement.

Un passage sûr pour "des patients très effrayés"

À la mi-octobre, Israël avait ordonné l'évacuation de 22 hôpitaux situés dans le nord de la bande de Gaza et traitant plus de 2 000 patients.

La Turquie s'est portée volontaire pour accueillir  jusqu'à 1 000 des 2 000 patients atteints de cancer et d'autres civils nécessitant des soins urgents, après que l'hôpital de l'Amitié turco-palestinienne - le seul spécialisé dans le traitement du cancer - a été mis hors service en raison du manque de carburant et des dégâts occasionnés par des frappes aériennes.

Selon une déclaration, dimanche, du ministre turc de la Santé, Fahrettin Koca, deux navires-hôpitaux ont été autorisés à accéder aux ports égyptiens "pour l'envoi d'hôpitaux de campagne et d'ambulances que la Turquie souhaite envoyer en Égypte".

De son côté, la France a envoyé le porte-hélicoptères "Tonnerre", un bâtiment de guerre équipé pour remplir des missions sanitaires, en soutien aux hôpitaux de Gaza. L'armée française est également en train d'équiper un second navire avec des équipements médicaux avancés qui devrait appareiller pour la région dans les dix prochains jours.

Par ailleurs, le gouvernement français est en discussion avec l'Égypte en vue d'établir un centre médical militaire terrestre, qui comprendrait des capacités chirurgicales pour les personnes gravement blessées dans la bande de Gaza voisine, a déclaré le ministre français de la Défense, Sébastien Lecornu, dans un entretien au quotidien libanais L'Orient-Le Jour paru lundi.

L'Égypte a déjà déployé d'elle-même un hôpital de campagne à Cheikh Zouayed, à 15 km du point de passage de Rafah vers la bande de Gaza, pour soigner les personnes évacuées. La semaine dernière, Le Caire a autorisé l’évacuation de dizaines de blessés palestiniens.

"Comment vont-ils faire pour les évacuer ?": les défis de la crise des hôpitaux de Gaza

Début novembre, l'OMS précisait que seuls 46 patients et 36 membres de leurs familles avaient réussi à franchir ce point de passage.

"Sur place, côté égyptien, tout est prêt [pour accueillir les évacués, NDLR] ... Le problème est d'obtenir un passage sûr pour des patients très effrayés", a confié le docteur Mike Ryan, directeur exécutif du Programme d'urgence sanitaire, lors d'une conférence de presse le 2 novembre.

La réussite des évacuations dépend également de l'état de santé des patients. "Nous avons plus de 1 000 patients sous dialyse en raison d'insuffisance rénale, vont-ils tous être évacués ?" a demandé Fikr Shalltoot, la directrice de l'ONG britannique Medical aid for Palestinians à Gaza. "Vont-ils évacuer les patients en néonatal ? Des femmes accouchent tous les jours à Gaza. Qu'en sera-t-il des bébés prématurés, comment vont-ils faire pour les évacuer ?". Toutes ces questions restent en suspens tant la situation est volatile.

Que peut-on faire entrer à Gaza ?

En plus des difficultés sanitaires viennent s'ajouter celles de l'acheminement de l'aide humanitaire. La traversée du point de passage de Rafah est également difficile pour les camions qui tentent d'accéder à Gaza. Au cours du mois dernier, seuls 450 véhicules ont été autorisés à entrer dans le territoire contrôlé par le Hamas, selon MSF. Avant le 7 octobre, jusqu’à 500 camions pouvaient entrer chaque jour dans l’enclave palestinienne.

Il est donc peu probable, selon Michel-Olivier Lacharité, qu’une grande quantité de matériels nécessaires à la mise en place d'hôpitaux de campagne à l'intérieur de Gaza, comme l'ont proposé les Émirats arabes unis, puisse passer par le terminal.

Et il est difficile de savoir comment maximiser les chances d'être autorisé à traverser le point de passage. "Le système de filtrage qui définit ce qui est prioritaire et ce qui est autorisé à entrer dans la bande de Gaza est complètement opaque", a-t-il souligné.  

Le passage des camions d'aide de MSF dépendent de raisons apparemment arbitraires, a-t-il ajouté, en vertu de la logique selon laquelle tout matériel pouvant être utilisé à des fins "agressives" peut être refusé. Une règle qui peut facilement s'appliquer aux produits médicaux essentiels tels que le carburant et les concentrateurs d'oxygène.

"Il est très improbable de penser que nous pourrions mettre en place des hôpitaux de campagne pour organiser l'aide d'urgence", a ajouté Michel-Olivier Lacharité. "Nous avons vu ces dernières années que tous les matériaux de construction ont été refusés à l'entrée, il est donc extrêmement improbable que nous soyons en mesure d'acheminer des ravitaillements".

Même si des hôpitaux de campagne venaient à être mis en place, il reste à savoir où ceux-ci pourraient être établis, dans un lieu sûr et pratique pour les patients.

"Comment les patients pourront-ils se rendre dans les hôpitaux de campagne, s’interroge Fikr Shalltoot. On ne parle pas seulement des blessés [par les frappes aériennes], nous parlons de toutes les personnes malades qui ont besoin d'un accès adéquat et constant [aux hôpitaux] et aussi d'être auprès de leurs familles".

"Un cessez-le-feu immédiat"

Même si suffisamment de matériel parvenait à franchir le poste-frontière, les hôpitaux de campagne auraient du mal à répondre aux besoins médicaux actuels. 

Avant l'escalade du conflit, 45 000 personnes souffrant de maladies cardiovasculaires et plus de 60 000 personnes atteintes de diabète avaient besoin d’un traitement hospitalier régulier.

Selon l’OMS, 50 000 femmes enceintes résident à Gaza et, selon les Nations unies, une centaine de patients doivent avoir accès quotidiennement à des services de santé spécialisés en dehors de la bande de Gaza.

Alors que le nombre de personnes ayant besoin de soins de longue durée continue d'augmenter en raison des frappes aériennes incessantes - comme les grands brûlés et les amputés -, les cas de maladies transmissibles telles que la varicelle, la gale et la diarrhée sont également en forte hausse.

Selon MSF, il faudrait environ un mois pour mettre en place 200 lits d'hôpital, avec du personnel, des fournitures et du matériel médical.

"Si on considère les milliers de lits dont on a besoin aujourd’hui, ce serait une prouesse de réaliser cette transition à grande échelle, a estimé Michel-Olivier Lacharité. Il n’y a vraiment seulement qu’un cessez-le-feu qui peut permettre d’organiser les secours dans cette situation".

"Ce dont les gens ont besoin à Gaza, c'est d'un cessez-le-feu immédiat", juge également Fikr Shalltoot. L'étape suivante, selon elle, devrait consister à "améliorer l'entrée de l'aide et lui permettre d'atteindre tous les hôpitaux sans se limiter à ceux du sud ou du nord. Tous les hôpitaux doivent avoir accès à suffisamment de matériels médicaux".

Avec un cessez-le-feu, le système de santé de Gaza pourrait se stabiliser. Quelque 20 000 professionnels du secteur, des chirurgiens, des infirmières, des pharmaciens et des sages-femmes, travaillent toujours dans l'enclave et plus de la moitié des hôpitaux fonctionnent encore, malgré des conditions extrêmement difficiles. 

"Le meilleur moyen, le plus efficace et le plus rapide de sauver des vies est de soutenir le système existant", a déclaré Mike Ryan lors de la conférence de presse de l'OMS. 

"Les installations sont là, les machines sont là, les lits sont là, les salles d'opération sont là. Il incombe à toutes les parties au conflit de permettre à ces hôpitaux d'être réapprovisionnés".

Cet article a été adapté de l’anglais. Retrouvez l’article original ici.