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À Gaza, "l’armée a détruit une grande partie de la structure des unités du Hamas"
envoyée spéciale à Tel-Aviv – Alors que la guerre contre le Hamas se poursuit à Gaza, l'armée israélienne a annoncé, début janvier, passer à la troisième phase de son opération avec des actions plus ciblées, sensées réduire l'intensité des combats dans l'enclave palestinienne. Yohanan Tzoreff, chercheur à l'Institut d'études de sécurité nationale à Tel-Aviv, livre son analyse sur ces trois premiers mois du conflit.

La guerre contre le Hamas dans la bande de Gaza est entrée dans son quatrième mois. Israël a annoncé, début janvier, être désormais passé à la "troisième phase", c'est-à-dire des opérations plus ciblées. L'armée a affirmé avoir achevé le démantèlement militaire du Hamas dans le nord de l'enclave palestinienne et qu'elle menait des raids, notamment dans les tunnels. Une phase qui, selon le ministre de la Défense, Yoav Gallant, doit aboutir à "la destruction du Hamas, la libération des otages et la sécurisation de la bande de Gaza". Yohanan Tzoreff, chercheur à l'Institut d'études de sécurité nationale à Tel-Aviv, dresse pour France 24 le bilan de ces trois mois de guerre.

À Gaza, "l’armée a détruit une grande partie de la structure des unités du Hamas"

France 24 : Israël peut-il "anéantir" le Hamas comme il le promet ? 

Yohanan Tzoreff : Je pense que c'est très difficile. Si nous parlons de démanteler l'armée du Hamas, c'est possible mais cela prendra beaucoup de temps. L’armée a détruit une grande partie de la structure des unités du Hamas. Ils se battent désormais en tant qu'individus et non plus en tant qu'unités. Aujourd'hui, Israël contrôle tout le nord de la bande de Gaza, la ville de Gaza, Jabaliya et tous les autres quartiers. Cela signifie qu'il n'y a plus personne dans cette zone. Ils sont allés vers le Sud mais ce n’est pas la fin. Le Hamas est une menace pour la vie quotidienne d’Israël, nous n'avons donc pas d'autre choix. Lorsque nous avons quitté Gaza en 2005, nous pensions que nous n’y reviendrions pas. Notre Premier ministre Ariel Sharon avait compris qu'il n'y avait aucun moyen de surmonter les problèmes de la bande de Gaza. Le Hamas a imposé à Israël d'aller à l'intérieur et à de nombreux acteurs du Moyen-Orient de s'impliquer dans cette guerre. Je ne parle pas seulement du Hezbollah et de l'Iran mais aussi de l'Égypte, de la Jordanie, de l'Arabie saoudite. 

Que sait-on sur les tunnels du Hamas qui abritent désormais l'essentiel des combats avec l'armée israélienne ?

Les tunnels de Gaza alimentent la compétition entre le Hamas et le Fatah. Je crois qu’ils existaient avant les accords d'Oslo [de 1993, entraînant une reconnaissance mutuelle d'Israël et de l'OLP de Yasser Arafat, NDLR] mais uniquement à la frontière entre Israël et l'Égypte. Ils servaient à faire passer beaucoup de choses en contrebande. Le Hamas était alors sous la pression de l’Autorité palestinienne et d’Israël, mais aussi de l'Égypte qui est le principal rival des Frères musulmans. Dans la charte du Hamas, il est écrit que le Fatah ou l'OLP n'ont pas réussi à lutter contre Israël parce qu'ils n'ont pas adopté les idées de l'islam. En tant qu’islamistes, ils disaient combiner les valeurs nationales avec la religion et d’être plus forts que les autres. Ils ont donc commencé à réfléchir aux moyens de combattre, de détruire les accords d’Oslo. Les tunnels étaient leur façon de contrôler tout Gaza. En 2007, quand ils en ont pris le contrôle, ils étaient libres de faire tout ce qu'ils voulaient. 

Quel était l'objectif du Hamas en lançant cette guerre ? Un retour de l’attention internationale sur la question palestinienne 

Le Hamas a été fondé il y a plus de 30 ans et n’a jamais rien accompli. Il a mené quatre guerres contre Israël qui, à chaque fois, ont abouti a une destruction de Gaza. Qu’ont-ils fait pour la libération de la Palestine ? Ils disent qu’ils ont montré au monde que personne ne pouvait ignorer leurs droits. Avec cet attentat terroriste et barbare perpétré le 7 octobre, le Hamas a obtenu deux choses : que les négociations entre les États-Unis, l'Arabie saoudite et Israël cessent et que la question palestinienne soit de nouveau sur la table. Il n'y a pas eu de discussion de paix dans la région depuis 2009.

Quel avenir pour la bande de Gaza après la guerre ? 

Il y a un consensus en Israël pour considérer que Gaza doit devenir une zone sans le Hamas en tant qu'organisation militaire. En revanche, il peut y avoir un grand nombre de mouvements politiques islamiques. Il faudra qu'ils soient prêts à accepter tous les engagements de l'OLP : les accords d'Oslo, l'ensemble des résolutions internationales, un État palestinien dans des frontières de 1967. Et plus de guerre. Ils n'ont pas besoin de reconnaître Israël, mais ils doivent s'engager à respecter les décisions que l'OLP a déjà prises. Mais je pense qu'il serait préférable pour Israël qu'une coalition composée de certains États d'Europe, de l'Égypte, de l’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et de la Jordanie puisse contrôler le territoire avec l'Autorité palestinienne. 

Quel avenir pour les Territoires occupés ? Une lutte fratricide entre la Fatah et le Hamas est-elle probable comme à Gaza en 2007 

Même s’il est vrai qu’Israël l’ignore, Mahmoud Abbas a fait beaucoup d'erreurs. Aujourd'hui, le Fatah est composé de plus de trois groupes qui n'acceptent pas tous son leadership. Certains pensent qu'il doit partir. Si vous voulez être le seul représentant des Palestiniens, vous devez unifier votre propre mouvement. Le problème, c’est qu'Israël n'y prête pas attention. Depuis 2009, le gouvernement israélien considère que les Palestiniens sont les mêmes et ne coopère pas avec Mahmoud Abbas. Or, Israël est le principal acteur de l'arène palestinienne. Dans sa compétition avec le Hamas, Mahmoud Abbas ne peut pas compter sur Israël. Il se concentre donc sur sa survie, ce qui est synonyme de corruption, car vous devez payer les personnes qui vous sont loyales. La corruption signifie perdre le soutien du peuple et sa légitimité. Le gouvernement fonctionne mais seulement en partie. La coordination de la sécurité avec Israël fonctionne toujours parce qu'ils comprennent qu'ils en ont besoin.

La paix est-elle encore possible entre Israéliens et Palestiniens ?

Le plus grand Premier ministre de l'histoire d'Israël, Ben Gourion, a dit que notre sécurité nationale devait se fonder sur l'idée d’essayer de parvenir à la paix. Après 1973, le président égyptien Anouar al-Sadate a appelé à la paix après avoir ignoré Israël pendant de nombreuses années. Il a changé la situation au Moyen-Orient. Cela fait plus de 50 ans que nous sommes en paix avec l'Égypte. L’Autorité palestinienne accepte l’idée d'une solution à deux États. Et je pense que le Hamas veut désormais en faire partie. Le parti accepte l'idée de deux États dans les frontières de 1967 mais sans reconnaissance d’Israël. Selon leur croyance, le Hamas ne peut pas accepter la souveraineté d'un groupe non musulman. C'est pourquoi ils veulent faire une "hudna". C’est le concept du cessez-le-feu pendant 100 ans sans reconnaissance d'Israël. Ce dernier refuse cette idée car elle signifie que la guerre peut recommencer à tout instant. Mais il y aussi des religieux de la droite israélienne qui pensent la même chose que les religieux palestiniens. Ils veulent garder ce qu’ils considèrent comme la Terre sainte.