"Amichai Eliyahu doit partir" affirme le Jerusalem Post dans son éditorial du lundi 6 novembre. Plus radical, le quotidien progressiste Haaretz veut voir "toute l’extrême droite virée" de la scène politique israélienne à la suite de la dernière provocation du ministre du Patrimoine.
Ce représentant du parti suprémaciste religieux Otzma Yehudit (Force juive) – membre de la coalition au pouvoir – avait affirmé, samedi 4 novembre, que le recours à la bombe atomique sur Gaza "était une possibilité", déclenchant un tollé en Israël. Même le Premier ministre Benjamin Netanyahu est intervenu pour recadrer son ministre. Il a affirmé qu’Amichai Eliyahu était "déconnecté des réalités" et a décidé de le priver de réunion du gouvernement pour une période indéterminée.
Surenchère
L’extrême droite israélienne vient-elle de franchir une ligne rouge ? "C’est évidemment une déclaration ridicule et outrancière à tous points de vue. Sans même parler des aspects humanitaires, Israël n’a jamais reconnu officiellement détenir la bombe atomique", assure Eitan Tzelgov, spécialiste de politique israélienne à l’université d’East Anglia (Norwich).
Mais pour lui, cette sortie est surtout symptomatique de la surenchère des déclarations des différents ministres et politiciens d’extrême droite depuis les attaques meurtrières du Hamas en Israël du 7 octobre. "Il y a eu, d’abord, les propos du ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben-Gvir [le leader du mouvement Otzma Yehudit, NDLR] qui a affirmé que les Arabes israéliens allaient organiser des actions violentes sur le sol israélien. Puis le député d’extrême droite Simcha Rothman a affirmé que les vies des Juifs tués en Cisjordanie – des colons – valaient plus que celles des victimes des attaques du 7 octobre – souvent des habitants de Kibboutz qui votent traditionnellement à gauche", énumère Omri Brinner, analyste israélien et spécialiste de la géopolitique du Moyen-Orient à l’International Team for the Study of Security Verona (ITSS), un collectif international d’experts des questions de sécurité internationale.
Avant de dégainer la menace de l’arme nucléaire, Amichai Eliyahu avait déjà choqué en s’extasiant sur Facebook devant "le nord de Gaza qui est plus beau que jamais", après les bombardements intensifs de la zone par l’armée israélienne. Dans le même message, il reprenait aussi une vieille antienne de l’extrême droite religieuse en appelant à un "déplacement massif" des Palestiniens hors de Gaza…. sans pour autant indiquer de destination.
Extrême droite en perte d'influence au gouvernement
Cette nouvelle guerre entre Israël et le Hamas fait le jeu médiatique de la frange la plus radicale du gouvernement israélien. "Actuellement ces propos peuvent apparaître plus acceptables en Israël compte tenu de l’émotion suscitée par les attaques meurtrières du Hamas", note Artur Skorek, spécialiste d’Israël à l‘Université jagellonne de Cracovie et directeur de l’Association européenne des études israéliennes.
En effet, l'idéologie des ministres d'extrême droite, entrés au gouvernement suite à leur gains électoraux aux élections de 2022 (ils ont conquis 6 sièges), a longtemps été jugé inacceptable aux yeux des israéliens. En effet, leur parti est considéré comme l'héritier politique de Meir Kahane, le fondateur du parti d'extrême droite Kach, qui fut interdit en Israël en 1994 pour terrorisme et racisme.
Pour cet expert, c’est un calcul avant tout politique pour l’extrême droite religieuse. "Ils veulent en profiter pour accroître leur crédibilité aux yeux des électeurs religieux israéliens. Et ils jouent la carte de la surenchère dans les déclarations parce qu’ils n’ont pas d’autres moyens de se faire remarquer politiquement depuis le début de cette crise", ajoute Artur Skorek.
En effet, on pourrait être tenté de croire que tout ce tapage médiatique reflète le poids grandissant de l’extrême droite au sein du gouvernement israélien. Après tout, Benjamin Netanyahu a laissé passer toutes les provocations jusqu’aux délires sur la bombe atomique. Le Premier ministre ne peut guère s’opposer trop frontalement à ces extrémistes. Ils sont "cruciaux à la survie de sa coalition. Sans eux, il n’a pas de majorité à la Knesset [parlement israélien, NDLR], ne pourrait pas rester au pouvoir, ne pourrait alors plus affaiblir le système judiciaire pour échapper aux trois enquêtes dont il fait l’objet", résume Omri Brinner.
Mais en réalité, Amichai Eliyahu, Itamar Ben-Gvir et les autres ministres d’extrême droite parlent très fort pour masquer le fait que "cette guerre a marqué un recul de leur influence au sein du gouvernement de Benjamin Netanyahu", assure Peter Lintl, spécialiste de la politique israélienne à la Stiftung Wissenschaft und Politik (Institut allemand des affaires internationales et de sécurité).
D’abord, parce que "Benny Gantz a rejoint le gouvernement de crise", souligne Peter Lintl. Le leader de la coalition centriste Kahol Lavan (Bleu Blanc) est un farouche opposant des partis israéliens d’extrême droite. Ensuite, "aucun d’entre eux ne siège au sein du cabinet de guerre, et ils n’ont aucune influence sur la manière de mener les opérations", précise Peter Lintl. "Aucun de ses religieux n’a servi dans l’armée et les responsables de l’État-major ne les prennent pas au sérieux et les regardent même d’en haut", précise Omri Brinner.
Objectif Cisjordanie
Pourtant, ces extrémistes ne font pas que brasser du vent et de la haine. Ils profitent du fait que la guerre à Gaza accapare toute l’attention internationale "pour se concentrer sur la Cisjordanie. C’est là que commence leur grand plan de remplacer le pouvoir séculier en Israël par un État religieux [qui s’étendrait à Cisjordanie occupée, NDLR]", assure Omri Brinner. Ces politiciens d’extrême droite religieuse "y incitent même actuellement à la violence contre les Palestiniens", ajoute cet expert.
Itamar Ben-Gvir a aussi réussi à jouer sur les peurs engendrées par l’attaque du Hamas pour faire avancer un projet qui lui tient à cœur : faciliter l’accès aux armes à feu. "Il a réussi à faire assouplir les modalités permettant aux citoyens d’en acquérir. Comme ses électeurs sont parmi ceux qui les réclament le plus, ça revient à dire qu’il a réussi à mettre davantage d’armes à disposition de ses partisans", analyse Eitan Tzelgov.
Toutes les provocations des ces ministres "affaiblissent aussi considérablement l’effort de guerre israélien", veut croire Omri Brinner. Ainsi, "les partisans des partis religieux vont demander au gouvernement pourquoi il ne se montre pas encore plus agressif dans sa guerre contre le Hamas", assure-t-il. Et sur la scène internationale, ces déclarations risquent d’affaiblir "le soutien à Israël et accélérer les appels à un cessez-le-feu", estime Peter Lintl.
Il faudra aussi commencer à penser à l’après. Ces déclarations vont rester et détériorer les relations avec certains pays qui comptent aux yeux d'Israël. Ainsi, l'Arabie saoudite aura peut-être plus de mal à revenir à la table des négociations alors "que le gouvernement israélien voudra probablement un jour reprendre les négociations avec Riyad", note Artur Skorek. Pour lui, la violence des propos tenus par ces ministres pourraient même laisser des traces à Washington, et rendre plus compliquée la très importante relation de Tel Aviv avec Washington.
Ces extrémistes tiennent aussi à se montrer le plus virulent possible afin de pouvoir, une fois la guerre finie, régler leurs comptes avec leurs adversaires politiques. "Ils veulent pouvoir reprocher ensuite aux ONG, mouvements civiques de ne pas s’être montrés aussi prêts à défendre les intérêts d’Israël qu’eux", conclut Eitan Tzelgov.
En dépit de l'onde de choc qui traverse toute la société israélienne depuis l'attaque du 7 octobre, l'extrême droite semble s'en tenir à son projet politique historique. A savoir, le "transfert" des Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza vers la Jordanie et l'Égypte, et aussi, l'éradication de la gauche laïque israélienne.