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Camp de réfugiés de Nour Shams en Cisjordanie : "l’armée israélienne veut tout détruire ici"
De notre envoyée spéciale en Cisjordanie – Depuis le 7 octobre, l'armée israélienne multiplie les raids nocturnes dans les camps de réfugiés palestiniens de Cisjordanie. À Nour Shams, qui compte environ 13 000 habitants, les habitants dénoncent une punition collective. Reportage.

Nour Shams, littéralement "lumière du soleil". En ce matin d’hiver, samedi 6 janvier, le camp de réfugiés situé près de la ville de Tulkarem, en Cisjordanie, porte bien son nom. Sur les routes défoncées, les voitures peinent à avancer. L’eau a envahi certaines parties de la chaussée, désormais recouverte de boue. Il y a quelques heures seulement, l’armée israélienne opérait dans les ruelles étroites du camp, perquisitionnant les domiciles de certains habitants et détruisant des maisons à coups de bulldozer.

"Regardez, ils bombardent même les garderies, déplore Ahmed* en montrant la carcasse d’un bâtiment soufflé par une bombe israélienne. Ils pensaient qu’il y avait des armes cachées, alors ils l'ont détruit."

L’armée israélienne a déclaré "avoir trouvé des engins explosifs dans cette garderie de l’UNRWA [l'agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, NDLR] et avoir procédé à leur destruction lors d'une opération antiterroriste d’une quarantaine d’heures" le 4 janvier, selon le Times of Israël. Des dizaines de personnes ont été interrogées, onze ont été arrêtées, rapporte le quotidien.

Camp de réfugiés de Nour Shams en Cisjordanie : "l’armée israélienne veut tout détruire ici"

"Ils (les soldats) ont défoncé les portes, arrêté beaucoup de gens, les ont maltraités... Nous avons peur pour nos enfants. Ils sont capables de bombarder les maisons même si nous sommes à l’intérieur, affirme Ali*, les yeux cernés de noir. Ils sont venus quatre fois en deux semaines. Et nous savons qu’ils vont revenir ce soir."

Depuis le début de la guerre entre Israël et le Hamas, le camp de réfugiés de Nour Shams est devenu le théâtre de raids réguliers de l’armée et de violents affrontements avec les nombreuses brigades de Tulkarem. Bataillon de Tulkarem affilié au Jihad islamique, Brigades Al-Aqsa, Bataillon de réaction rapide de Tulkarem, Jundallah... Nour Shams et le camp de Tulkarem compteraient environ 150 combattants, selon une source palestinienne.

Camp de réfugiés de Nour Shams en Cisjordanie : "l’armée israélienne veut tout détruire ici"

"Des combattants de plus en plus jeunes"

Les rares passants tendent l’oreille. Certains n’hésitent pas à s’approcher pour parler – toujours sans dévoiler leur identité. "L’armée veut tout détruire ici, lance Hassan*. Ils pensent qu’en punissant les gens, en les mettant sous pression, ils se soulèveront contre les combattants."

"Il n’y a plus de travail, la situation économique est catastrophique. Il n’y a pas de solution politique, c’est pour ça que les gens prennent les armes, poursuit Mohamed* en tirant longuement sur sa cigarette. Et ils sont de plus en plus jeunes."

Camp de réfugiés de Nour Shams en Cisjordanie : "l’armée israélienne veut tout détruire ici"

Pour Suleiman Zuhairi, président par intérim du conseil d'administration de l'université Kadoori de Tulkarem, la pression s’accroît sur les camps de réfugiés de Cisjordanie parce qu’ils représentent le fer de lance de la cause palestinienne. "Après la Nakba [exode forcé des Palestiniens en 1948, NDLR], les personnes originaires d'une trentaine de villages près de Haïfa se sont installées dans le camp de Janzour, près de Jénine. Après 1952, les familles ont été réparties entre Jénine, Nour Shams et Far'a, raconte celui qui se présente aussi comme un activiste. Ils concentrent les opérations militaires sur les camps pour liquider la résistance. La dernière fois, ils ont déclaré Nour Shams zone militaire fermée pour empêcher l’entrée des ambulances."

"Ils n'ont tué aucun combattant"

Suleiman Zuhairi explique que lors de chaque raid de l’armée israélienne, "les infrastructures fournissant l’eau ou l’électricité, les routes sont détruites". Quant aux personnes interpellées, elles sont parfois relâchées après des interrogatoires plus ou moins longs. "C’est la septième fois qu’ils viennent ici. Depuis le 7 octobre, ils ont assassiné 27 personnes à Nour Shams. Ils disent qu’ils ont tué des combattants, mais c’est faux. Ils n’ont tué aucun combattant."

Camp de réfugiés de Nour Shams en Cisjordanie : "l’armée israélienne veut tout détruire ici"

Sacrifier sa vie, celle de ses enfants, finir en "martyr". Les habitants du camp de réfugiés ne croient plus en la paix. Peut-être n’y ont-ils jamais cru. "Les combattants ont choisi de se battre pour notre dignité, notre liberté. S’ils [les soldats israéliens, NDLR] détruisent, nous reconstruirons, affirme Ahmed, placide. S’ils tuent nos fils, nous en enfanteront d’autres."

La solution peut-elle être politique ? "Jamais ! Jamais ! Jamais !", lance Mohamed, tel un cri du cœur. Seule l’évocation de Marwan Barghouti, le plus célèbre détenu palestinien, semble faire consensus. Interpellé en 2002, l’ancien chef du Tanzim – la branche armée du Fatah fondée en 1995 par Yasser Arafat – a été condamné par la justice israélienne à cinq peines de prison à perpétuité pour attentats et appartenance à une organisation terroriste.

"Marwan Barghouti ! Marwan Barghouti ! Marwan Barghouti !", s’écrit soudain un vieillard rivé à sa béquille avant d’être coupé par Ahmed. "Nous croyons en lui. S’il est remis en liberté et qu’il se présente à une élection, nous voterons pour lui. C’est une évidence. Mais la lutte continuera. Nous voulons récupérer nos terres."

Camp de réfugiés de Nour Shams en Cisjordanie : "l’armée israélienne veut tout détruire ici"

Dans les ruelles de Nour Shams, les débris jonchent le sol. Les bulldozers de l’armée israélienne ont laissé des traces. Des blocs de bétons, des trous ralentissent l’avancée des rares habitants qui s’aventurent dehors en cette fin de matinée. Détruire les maisons de personnes soupçonnées de terrorisme dans les Territoires occupés est une politique de dissuasion assumée par le gouvernement israélien depuis de nombreuses années. Outre son manque d’efficacité, les détracteurs de cette pratique comme l’ONG Human Rights Watch dénoncent un "châtiment collectif".

Une femme montre le mur endommagé de sa maison. "Ils ont utilisé le bulldozer alors que nous étions à l’intérieur avec les enfants. Ils étaient terrorisés. Ma fille de 10 ans a toujours peur maintenant. Elle ne veut même plus aller aux toilettes toute seule." La fillette s’approche. "J’ai peur d’eux [les soldats israéliens, NDLR] parce qu’ils ont mis une bombe à côté", dit-elle en tordant son pull entre ses mains. À côté d’elle, un petit garçon tient un bout de caoutchouc noir. Une arme factice, visiblement cassée. "C’était un jouet, pistolet en plastique, mais nous l’avons cassé délibérément pour éviter que les soldats ne pensent que c’était un vrai", explique la mère.

Camp de réfugiés de Nour Shams en Cisjordanie : "l’armée israélienne veut tout détruire ici"

"Tant qu’il y aura l’occupation, il y aura une résistance"

Dans ce paysage, parfois quasi apocalyptique, un groupe d’hommes discute. Assis devant une maison intacte, les quinquagénaires partagent un café arabe. "Je vis ici, lance Raed* en montrant la porte en ferraille derrière lui. Il y a trois semaines, des soldats sont venus chez moi. L’un d’entre eux était ukrainien. Je lui ai demandé comment il réagirait si je venais chez lui pour combattre. Je lui ai dit que nous souffrions de l’occupation. Mais il n’a rien trouvé à répondre."

Un peu plus loin, un homme est assis dans le fond d'un salon de coiffure, pendant que le coiffeur s'affaire sur un client bien installé dans son fauteuil. "Que voulez-vous que je vous dise ? La situation est mauvaise, mauvaise, dit-il, abattu. Il y a des raids tout le temps. Quand il y en a un à Jénine [autre camp de réfugiés, NDLR], il y en a un ici. Ce n’est pas une vie. Ils détruisent tout. Les gens ont peur. Depuis le 7 octobre, il n’y a plus de travail. Nous voulons juste vivre en paix."

La chaleur se fait un peu plus écrasante. Dans le camp de Nour Shams, la question n’est plus de savoir s'il y aura une nouvelle opération de l’armée israélienne, mais quand. Un cercle sans fin – du moins si l’on en croit Suleiman Zuhairi. "Ils veulent forcer les Palestiniens à quitter Gaza, la Cisjordanie. Personne ne quittera sa maison parce que c'est notre pays et nous y resterons. Tant qu’il y aura l’occupation, il y aura une résistance. Il n’y aura pas de sécurité pour les Israéliens tant qu’il n’y aura pas de sécurité pour les Palestiniens."

* Certains habitants ayant préféré garder l'anonymat pour des raisons de sécurité, des prénoms leur ont été donnés pour faciliter la lecture.