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"Impasse" tactique, pessimisme occidental... Kiev en quête d'un second souffle face à la Russie
Entre l'irruption du conflit au Proche-Orient qui a détourné l'attention internationale et l'érosion du soutien occidental, l'Ukraine traverse une période délicate tandis que son armée, engagée dans une vaste contre-offensive depuis le mois de juin, ne progresse plus. Dans un article publié mercredi dans The Economist, le Général Valeri Zaloujny, commandant en chef des armées ukrainiennes, a reconnu que les deux armées étaient désormais dans une "impasse".

Annoncée par des experts militaires depuis plusieurs semaines, l'échec de la contre-offensive ukrainienne est désormais officiel : "Tout comme lors de la Première Guerre mondiale, nous avons atteint un niveau technologique tel que nous nous trouvons dans une impasse", a reconnu le très populaire commandant en chef des forces de Kiev, Valeri Zaloujny, dans un entretien paru mercredi 1er novembre dans l'hebdomadaire britannique The Economist.

"Il n'y aura probablement pas de percée magnifique et profonde", a-t-il ajouté alors que ses hommes sont engagés depuis le mois de juin dans une laborieuse contre-offensive destinée à reprendre aux Russes les territoires conquis au Sud et à l'Est. 

“Sooner or later we are going to find that we simply don’t have enough people to fight.”

Ukraine’s commander-in-chief admits the war with Russia is at a stalemate. Read his sobering assessment in our exclusive interview https://t.co/LceFlWtKT8 👇

— The Economist (@TheEconomist) November 2, 2023

Sur le terrain, les troupes de Kiev continuent de buter sur une gigantesque ligne de défense érigée le long des quelque 1 000 kilomètres de la ligne de front par la Russie. Malgré la mobilisation de douze brigades entraînées sur les standards de l'Otan et appuyées par des chars occidentaux, l'Ukraine n'est parvenue à grappiller que quelques centaines de km2 en cinq mois.

"Les technologies militaires et les armements disponibles aujourd'hui rendent l'attaque caduque face à des défenses impossibles à percer", analyse l'historien militaire Cédric Mas. "Face à cette impasse tactique, il faut des innovations technologiques mais aussi des innovations sur le plan de la doctrine".

Derrière cet aveu d'échec, le général Zaloujny appelle donc à un sursaut du côté occidental pour permettre à l'Ukraine de gagner la guerre d'attrition qui se dessine. "Il est important de comprendre que cette guerre ne peut être gagnée avec les armes de la génération passée et des méthodes dépassées", assure le chef d'État major.

"C'est aussi une opération de communication", décrypte Guillaume Lasconjarias, enseignant à la Sorbonne et spécialiste des questions de défense. "Il y a un message lancé aux Ukrainiens pour leur dire de serrer les dents mais aussi à l'opinion publique internationale pour pour lui dire de prendre ses responsabilités". 

De con côté, le Kremlin a contesté jeudi la notion d'"impasse" assurant par la voix de son porte-parole, Dmitri Peskov, que la Russie "poursuit sans relâche son opération militaire spéciale" et que "tous les objectifs fixés doivent être atteints".

L'ombre d'un doute

Ces déclarations interviennent dans un contexte difficile pour l'Ukraine alors que la guerre entre le Hamas et Israël a détourné l'attention internationale et poussé certains alliés à repenser leur aide militaire.

"Impasse" tactique, pessimisme occidental... Kiev en quête d'un second souffle face à la Russie

Le Congrès américain, qui a commencé jeudi à plancher sur la question des aides octroyées à l'étranger, se déchire sur la poursuite du soutien à l'Ukraine sur fond de querelles politiciennes entre l'État major républicain et le camp démocrate.

Cette aide est pourtant vitale pour Kiev. Washington reste de loin son plus important fournisseur. Au total, la Maison Blanche a promis plus de 43 milliards de dollars en aide militaire depuis le début de l'invasion russe. Joe Biden a réclamé en octobre une rallonge de 61,4 milliards de dollars. 

"Quand on voit ce qui s'est passé avec les élections en Slovaquie et les discussions au Congrès américain, il y a effectivement une érosion de la profondeur stratégique ukrainienne", juge Guillaume Lasconjarias. 

"Le vrai enjeu pour l'Ukraine aujourd'hui c'est de gérer la baisse du moral des Occidentaux liée à leur perception du front", estime Cédric Mas, selon qui le "le soutien occidental à l'Ukraine a été la cible privilégiée et prioritaire des actions informationnelles russes". 

"Il faut rappeler que la situation stratégique ukrainienne, d'un point de vue militaire, est bien meilleure que celle de mai 2022 lors de la chute de Marioupol", ajoute l'historien militaire.

Cependant, l'espoir d'une victoire rapide a cédé à la résignation d'un second hiver sous les bombes russes, synonymes de privations et de coupures de courant pour la population ukrainienne. 

Est-ce à dire qu'un doute s'insinuerait dans les têtes ukrainiennes ? Quelques jours avant la sortie du général Zaloujny, un article du correspondant du Time a fait grand bruit à Kiev. Le journaliste Simon Shuster y décrit un président Volodymyr Zelensky isolé, obsédé par la victoire face à des conseillers de plus en plus perplexes sur les chances ukrainiennes de reconquérir le Donbass et la Crimée.

"L’auteur de la publication s’est basé sur la vision russe" des événements, a déploré Oleksiy Danilov, chef du Conseil de la défense et de la sécurité nationale (RNBO), cité par le site ukrainien Komentari.

Le piège d'une guerre d'usure

Selon le Time, la question d'éventuelles négociations de paix reste toutefois taboue au sein de la présidence ukrainienne. "Les deux camps espèrent encore une victoire militaire. C'est du moins la volonté qu'ils affichent. Le temps des négociations n'est pas encore venu", note Cédric Mas.

Au total, Moscou occupe actuellement un peu plus de 17 % du territoire de l’Ukraine, contre environ un quart, au plus fort de son offensive, en mars 2022.

Dans sa tribune parue dans The Economist, le commandant en chef des forces ukrainiennes s'inquiète d'une guerre d'usure qui finirait par tourner à l'avantage de la Russie. "Cela va bénéficier à la Russie, lui permettant de rebâtir sa puissance militaire, jusqu'à peut-être menacer les forces ukrainiennes voire l'existence de État lui-même", assure le militaire.

D'après le renseignement estonien, Moscou disposerait encore de plus de quatre millions d'obus d'artillerie. Par ailleurs, la Corée du Nord a récemment fourni un million d'obus supplémentaire à son voisin et allié, a révélé un député sud-coréen, citant des informations des services de renseignement de son pays.

"La Russie n'a pas simplement des réserves en termes de matériel, elle a surtout des réserves en matière démographique. L'échec de la contre-offensive a d'ailleurs montré l'incapacité des Ukrainiens à aspirer toutes les réserves russes, puisque ceux-ci ont réussi à relancer, notamment du côté d'Avdiivka, des contre-attaques massives, avec la possibilité de perdre encore beaucoup de matériel et beaucoup d'hommes", indique Guillaume Lasconjarias.

Avec une population de 143 millions d’habitants et une industrie de défense qui devrait tourner à plein régime en 2024, l'armée russe, semble mieux préparée à une guerre de longue haleine, et ce malgré les sanctions occidentales. 

À contrario, l'Ukraine et ses 43 millions d'habitants pourrait bientôt éprouver des difficultés à renouveler ses troupes tandis que les inquiétudes sur les stocks de munitions persistent. 

"On voit que la production européenne de munitions promise à l'Ukraine, n'atteint pas ses objectifs. il faut impérativement mobiliser et monter la production", estime Cédric Mas. "Mais le vrai sujet pour l'Ukraine en 2024, ce sera le résultat des élections présidentielles américaines en novembre. Ces élections pourraient tout changer" pour Kiev.