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Assassinat du numéro 2 du Hamas : défié dans son fief, le Hezbollah face à un choix cornélien
Retenue ou escalade ? L'élimination du numéro 2 du Hamas par Israël, mardi, dans la banlieue sud de Beyrouth, a ravivé les risques d’une confrontation totale entre l’État hébreu et le Hezbollah, désormais exposé dans son bastion sécuritaire et dans l’obligation de répliquer. Décryptage.

L’onde de choc provoquée par la frappe israélienne qui a éliminé, mardi 2 janvier, dans la banlieue sud de Beyrouth, Saleh al-Arouri, le numéro 2 du Hamas, ainsi que plusieurs cadres du mouvement islamiste palestinien, n’a pas fini de secouer le Hezbollah libanais. 

Même si le parti chiite libanais n’était pas directement visé, cet assassinat opéré en plein cœur de son fief le place néanmoins dans l’embarras alors que depuis le début, le 7 octobre, de la guerre entre l’État hébreu et le Hamas, les échanges de tirs entre le Hezbollah et l’armée israélienne sont quasi-quotidiens. 

Si ces hostilités étaient jusqu’ici limitées à la zone frontalière entre le Liban et Israël, le risque d’une escalade et d’une extension régionale du conflit a brusquement augmenté. Il s’agit en effet de la première attaque israélienne menée directement dans le bastion du parti pro-iranien depuis la guerre de l'été 2006 opposant les deux ennemis déclarés, qui rompt de facto les règles d’engagement tacites qui les liaient jusqu’ici. 

Un coup dur infligé au Hamas et … à "l’axe de la résistance"

"Les règles d'engagement ont été complètement dynamitées par Israël qui a dépassé les lignes rouges, estime Anthony Samrani, rédacteur en chef à L'Orient-Le Jour, le quotidien francophone libanais. Le Hezbollah se retrouve dans une position très délicate où, d'une part, il ne peut pas ne pas répondre et en même temps, s'il répond de façon trop musclée, il risque une guerre ouverte qu'il cherche, en tout cas qu'il a cherché, jusqu'ici à éviter avec Israël". 

Mardi soir, le Hezbollah a qualifié dans un communiqué l’attaque israélienne "de grave agression contre le Liban" et de "sérieux développement dans la guerre entre l'ennemi et l'axe de la résistance". Il a prévenu que l’assassinat de Saleh al-Arouri "ne restera pas sans riposte ou impuni". 

🔴 "Les Libanais demeurent suspendus aux lèvres du chef du #Hezbollah", nous indique @BerberiSerge, notre correspondant au #Liban 🇱🇧.

Il nous en dit plus sur le sentiment actuel dans le pays, à quelques heures d'un discours d'Hassan #Nasrallah ⤵️ pic.twitter.com/b8E0ZkUpeY

— FRANCE 24 Français (@France24_fr) January 3, 2024

Le secrétaire général du parti chiite, Hassan Nasrallah, doit prononcer, mercredi soir, un discours désormais très attendu, alors qu’il était programmé à l’origine pour marquer le quatrième anniversaire de la mort du général iranien Qassem Soleimani, tué par une frappe de drone américain en Irak. 

De son côté, le gouvernement israélien, qui désespérait depuis le début de la guerre à Gaza d’éliminer une figure de premier plan du Hamas, comme il l’avait promis en représailles aux attaques du 7 octobre, aura finalement atteint son objectif… au Liban. 

Tout en infligeant un coup très dur à son ennemi, du fait du profil de Saleh al-Arouri, très impliqué dans les affaires militaires du Hamas et cofondateur de sa branche armée, les brigades Al-Qassam, Israël prive le Hezbollah et son parrain iranien de son principal interlocuteur et relais au sein du mouvement islamiste palestinien. Selon plusieurs médias libanais, Saleh al-Arouri devait rencontrer mercredi matin Hassan Nasrallah, avec lequel il était en contact direct et permanent. 

Qui était Saleh Al-Arouri, le numéro 2 du Hamas tué par Israël au Liban ?

"Il était certainement l'un des dirigeants palestiniens les plus proches de l'Iran et celui qui a fait le plus dans le rapprochement avec le Hezbollah, précise Anthony Samrani. Il était l'un des théoriciens de ce qu'on a appelé l'unité des fronts, c'est-à-dire la volonté des différents membres de ‘l'axe de la résistance’ d'unir ou de coordonner leurs actions contre Israël".

Les messages envoyés au Hezbollah

Avec l’élimination de cette cible prioritaire à Moucharrafiyé, dans la banlieue sud de Beyrouth, moins risquée à réaliser, techniquement et même diplomatiquement, qu’en Turquie ou au Qatar où résident les autres principaux chefs en exil du Hamas, les Israéliens envoient également plusieurs messages au Hezbollah.

Le premier est factuel : ils sont parvenus à localiser et à frapper leur cible dans ce qui est considéré comme un havre ultra-sécurisé du parti chiite, dans lequel se sentait suffisamment en confiance Saleh al-Arouri pour organiser une réunion dans un bureau du Hamas abrité dans un immeuble résidentiel. Trahison interne au Hamas ? Capacités de renseignements propres aux Israéliens sur place ? Les deux ? Pour protéger ses propres cadres, le parti chiite devra rapidement répondre à ces questions.

Le deuxième est géopolitique : Israël ne craindrait pas la réplique du Hezbollah, ni une éventuelle escalade du conflit sur sa frontière nord. Mercredi, l'armée israélienne, sans revendiquer directement la frappe qui a tué Saleh al-Arouri au Liban, a dit se préparer à "tout scénario". 

"Il est désormais très important pour le Hezbollah de réaffirmer sa capacité de dissuasion tout en prenant en compte un contexte local : les Libanais ne veulent pas être entraînés dans une guerre et le parti chiite n'a pas les moyens aujourd'hui d'être dans une confrontation totale contre Israël, qui plus est avec une présence américaine massive dans la région, "explique Anthony Samrani. 

Ce dernier estime qu’il existe deux lectures possibles de l’opération israélienne. "La première, c'est de dire qu’Israël considère que le Hezbollah, dans tous les cas, ne veut pas de guerre et répondra de façon limitée, indique-t-il. La seconde sous-entend qu’Israël veut ouvrir un front de grande ampleur contre le Hezbollah, alors que son allié américain fait tout pour l'en empêcher depuis des semaines, et considère que ce type d'opération contraindra le Hezbollah à répondre de façon extrêmement musclée et donc à déclencher une escalade qui risque de devenir, au bout d'un moment, incontrôlable". 

"Il s’agit d’un moment extrêmement important pour le Hezbollah, même si la décision d'entrer en guerre ou non, dans sa logique, ne dépend pas de l'élimination de hauts cadres, conclut-il. Nous avons pu le constater avec l'élimination en Syrie, il y a quelques années, de Imad Moughniyé [chef militaire du Hezbollah assassiné à Damas en 2008], et plus récemment, celle de Qassem Soleimani. Le Hezbollah ne répond pas de cette manière".