
Du maïs plus résistant à la sécheresse, du blé pauvre en gluten, des tomates résistantes à certaines maladies… Ces plantes, dont le génome a été modifié, pourront-elles bientôt pousser dans les champs français européens ? Le Parlement européen doit statuer, à partir de mardi 6 février, sur la réglementation autour des NGT, des semences génétiquement modifiées grâce à de nouvelles techniques scientifiques. "De nouveaux OGM", dénoncent certains. Une solution d'avenir pour s'adapter au dérèglement climatique et rester compétitifs sur le marché international, assurent les autres.
Développés au début des années 2001, les premiers organismes génétiquement modifiés (OGM) impliquaient de modifier les caractéristiques d'un végétal en lui transférant en laboratoire les gènes d'une autre espèce – une transgénèse, dans le langage scientifique. Un procédé qui a toujours suscité de vives inquiétudes, aussi bien sur les conséquences éthiques que sur l'impact sur la santé des consommateurs et la biodiversité. À quelques exceptions près, leur utilisation et leur commercialisation sont interdites dans l'UE.
Un OGM, ou pas ?
Les NGT, ou "nouvelles techniques génomiques", ont émergé ces dernières années grâce à la technologie CrispR, des "ciseaux moléculaires" qui ont valu le prix Nobel de chimie à la Française Emmanuelle Charpentier et à l'Américaine Jennifer Doudna en 2020, qui permettent de modifier avec précision une séquence ADN.
Comme pour les OGM traditionnels, il s'agit de modifier génétiquement une espèce, mais sans en impliquer une autre cette fois-ci : CrispR va permettre de venir enlever le gène spécifique d'une plante, d'en coller un autre ou bien de transférer artificiellement des gènes entre des organismes d’une même espèce. De cette façon, il sera possible d'activer ou au contraire d'inhiber certaines de ses caractéristiques.
Le champ d'application au monde agricole de cette technologie paraît immense : une plante pourrait, en théorie, rester plus longtemps comestible, avoir plus de goût, mais surtout devenir plus résistante aux aléas climatiques ou aux maladies et ainsi nécessiter moins de produits phytosanitaires. Des enjeux majeurs à l'heure où le dérèglement climatique touche de plein fouet le secteur et rend de plus en plus urgente la transition écologique.
"Cela fait déjà des années que l'on privilégie des variétés de végétaux plus résistantes aux aléas climatiques, aux maladies ou au manque d'eau à travers la sélection végétale et que nous croisons des espèces pour essayer d'obtenir des caractéristiques spécifiques", rappelle Rémi Bastien, vice-président de l’Union française des semenciers. "Ce procédé est le même, sauf que, quand la sélection végétale traditionnelle est aléatoire et s'inscrit dans un temps long, ces technologies nous permettront d'obtenir ce que nous recherchons beaucoup plus rapidement et de façon bien plus précise", salue-t-il.
Par exemple, "un nouveau pathogène touchant les tomates a émergé au Moyen-Orient en 2016. Nous venons seulement de parvenir à mettre sur le marché une variété qui y est résistante. Le processus a pris huit ans. Les NGT auraient permis d'accélérer les choses", poursuit-il.
Pour Jérôme Enjalbert, généticien et directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), "cela reste des OGM". "Il ne faut pas jouer sur les mots. À partir du moment où on réécrit une partie de la séquence ADN d'un organisme volontairement, en laboratoire, et qu'un humain effectue une manipulation ciblée sur le génome, c'est un OGM."
"Ne pas rater le virage"
Depuis 2018, les NGT étaient considérés par l'UE comme des OGM et soumis aux mêmes réglementations. Mais alors que ces derniers ont depuis été autorisés aux États-Unis, dans plusieurs pays d'Amérique latine et en Asie, et que des centaines de projets seraient en cours de développement dans le monde, la Commission européenne a décidé de remettre le sujet sur la table en juillet.
Elle propose désormais de distinguer deux catégories de NGT. Le premier groupe serait constitué de végétaux ayant subi moins de vingt modifications génétiques, toutes susceptibles de se produire naturellement ou via une sélection végétale traditionnelle. Jugés sans impact négatif sur la santé et l'environnement, ils échapperaient aux contraintes qui pèsent sur les OGM et seraient simplement inscrits dans une base de données publique. À l’inverse, les autres NGT, de catégorie 2, seraient considérés comme des OGM avec une législation drastique. Enfin, aucun produit issu des NGT ne pourrait être labellisé "bio".
"Cette approche donnerait à l'UE un cadre règlementaire proche de ce qui existe déjà dans ces pays et nous permettrait de ne pas rater le virage sur le marché international", salue Rémi Bastien. "Nous sommes encore sur des nouvelles technologiques, mais les projets se multiplient et il est nécessaire que nous ne rations pas le train. Il en va de notre compétitivité."
Manque de données et de traçabilité
Au moment de la reprise des discussions à Bruxelles, Jérôme Enjalbert pointe cependant les nombreuses limites et interrogations qui subsistent. "CrispR sont des ciseaux moléculaires et nous faisons des modifications de plus en plus propres avec. Malgré tout, cela reste une technologie neuve et il existe des effets hors-cible que nous ne contrôlons pas totalement", avance-t-il.
Un constat partagé par l’agence sanitaire française Anses, dans un rapport publié en décembre : "Ces techniques peuvent conduire à des modifications des fonctions biologiques des plantes [non prises en compte]. On ne peut pas écarter qu’elles puissent induire des risques pour la santé et l’environnement", peut-on lire.
Par ailleurs, Jérôme Enjalbert craint que ces NGT entraînent une standardisation de l'agriculture. "Le risque OGM, c’est aussi de diffuser des variétés éditées qui écrasent la diversité cultivée et uniformisent les paysages agricoles. Or, cela est primordial à long terme [de garder une diversité d'espèces]. D'autant plus que nous savons que, dans le monde du vivant, les parasites s'adaptent. Une plante résistante aujourd'hui, ne le sera peut-être plus demain."
Une crainte battue en brèche par Rémi Bastien : "Ces procédés revenant au même que la sélection végétale naturelle, il n'y a aucune raison que les végétaux qui en sont issus se comportent différemment. Et la diversité est au cœur de notre métier. Pour nous, il s'agira de continuer à proposer des variétés qui s'adaptent aux réalités locales."
Autre crainte : l'absence de traçabilité. Les semences modifiées risquent en effet de contaminer d'autres cultures avoisinantes. Or, il est impossible à ce stade de savoir si une plante est issue d'un NGT ou si elle a été contaminée, confirme Jérôme Enjalbert. "Enfin, d'un point de vue purement économique, il est crucial de s'assurer que ces semences ne sont pas confisquées par quelques multinationales aux dépens des sélectionneurs et petits cultivateurs", finit de lister le spécialiste.
Principe de précaution
Devant toutes ces interrogations, Jérôme Enjalbert appelle à faire valoir le principe de précaution. "Ces technologies pourront être de bons outils. À condition que la prudence prime. Avant d'étendre l'utilisation des NGT, il faudrait expérimenter avec quelques espèces et faire de vraies études d'impact pour mesurer l'intérêt agroécologique et toutes les conséquences sanitaires et environnementales", conclut-il.
Devant le débat, les pays de l'Union européenne se montrent divisés. Une quinzaine d'États, dont la France, voient dans les NGT un "outil important" pour s'adapter au dérèglement climatique, mais l'Allemagne, l'Autriche ou encore les pays d'Europe de l'Est tirent la sonnette d'alarme, mettant en avant les inquiétudes que suscitent ces nouvelles technologies.
