
La vérification en bref
- À la suite des incendies qui ont dévasté la région de Valparaiso, au Chili, plusieurs publications prétendent montrer que les objets et les bâtiments bleus résisteraient miraculeusement aux flammes. Certaines de ces publications affirment que “des Chiliens ont commencé à peindre leurs maisons et leurs toits” pour se protéger.
- Ces affirmations se basent sur une théorie du complot ancienne, affirmant que les feux de forêt seraient causés artificiellement par des “armes à énergie dirigée”, via des lasers qui laisseraient intacts les objets bleus.
- Mais les images avancées ne prouvent pas cette théorie. Sur celles montrant des objets bleus préservés, des structures d’autres couleurs ont également été épargnées. La vidéo sur laquelle on peut voir un homme repeignant son toit en bleu montre quant à elle une personne déjà partisane de cette théorie.
- Le rôle d’une récente vague de chaleur et de la sécheresse est attesté par plusieurs experts dans le cas des incendies au Chili. Des enquêtes sur de possibles allumages criminels sont par ailleurs en cours.
Le détail de la vérification
Depuis le 2 février, plusieurs comptes traquent le bleu au milieu des images de dévastation filmées dans la région de Valparaiso. La raison ? Selon eux, les redoutables incendies de forêt, qui ont ravagé le centre du Chili et fait plus de 130 morts d'après le dernier bilan, auraient épargné les objets et les bâtiments peints dans cette couleur.
C’est ce qu’explique cet utilisateur anglophone de TikTok dans une vidéo publiée le 9 février. Montrant une image de maison peinte en bleu au milieu de ruines carbonisées, il affirme : “la maison a été à peine affectée. Tout ce qui l’entoure a été démoli, réduit en cendres.” “D’une manière ou d’une autre, elle a réussi à rester debout”, continue-t-il, avant de montrer une vidéo où l'on voit un laser brûler différents tissus et épargner celui de couleur bleue, sans en dire plus.
Cet utilisateur reprend en fait les images d’un autre compte TikTok hispanophone, publiées deux jours plus tôt et localisées à Vina del mar, une zone du Chili effectivement affectée par les incendies. “Est-ce que la théorie de la maison bleue est vraie ?”, s’y interroge l’utilisateur.
Cette théorie est mentionnée par d’autres publications, comme cette vidéo diffusée sur X (anciennement Twitter) par un compte anglophone. Elle montre également un bâtiment de couleur bleue épargné par les flammes, au milieu d’autres structures calcinées. En légende, le compte écrit : “Chili. Encore la couleur bleue. #DEW #DirectEnergyWeapon”.

On retrouve le même acronyme “DEW” dans cette publication en français, qui reprend un message en anglais vu près de 11 millions de fois. Dans la vidéo qui accompagne celle-ci, un homme en filme un autre, repeignant un toit en bleu. “Des Chiliens ont commencé à peindre leurs maisons et leurs toits, en particulier en bleu, afin de se protéger contre les DEW”, commente la personne derrière la publication, en mettant là aussi les images en parallèle avec la vidéo montrant un faisceau laser brûlant plusieurs tissus, à l’exception de celui teint en bleu.

Les termes “direct energy weapons” font référence à une théorie du complot selon laquelle les feux de forêt seraient allumés par des gouvernements ou des groupes d’influence à l’aide d’”armes à énergie dirigée”.
Ce type d’armement est bien réel : utilisant un faisceau laser ou des micro-ondes, il permet de perforer, d’endommager ou de perturber les systèmes électroniques d’un objet à distance. Mais il n’existe aucune preuve que les armes à énergie dirigée aient déjà été employées contre des populations civiles, notamment dans le but d’allumer des incendies.
“Ce ne sont pas des anomalies, cela dépend de la manière dont progresse l’incendie”
Si la thèse avancée par ces publications paraît infondée, que penser de ces bâtiments et objets bleus qui semblent avoir été mystérieusement épargnés par le feu, et que les comptes qui soutiennent la théorie des armes à énergie dirigée qualifient d’”anomalies bleues” ?

Pour Éric Brocardi, porte-parole de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers de France, ces phénomènes n’ont rien de particulièrement étonnant. “Ce ne sont pas des anomalies, cela dépend de la manière dont progresse l’incendie”, commente-t-il en réaction aux images.
“Les explications principales, ce sont le mode de propagation du feu et le sens du vent, qui peuvent mettre à l’abri certains éléments. En Gironde, par exemple, dans le cas du feu qui a touché les abords du bassin d’Arcachon en juillet 2022, on a eu un feu de cime : en certains endroits, les cimes des arbres ont brûlé, et pas les sous-bois.” Une thèse accréditée par la présence de vents violents durant les incendies, qui ont contribué à leur propagation.
Paul Sirvatka, professeur de météorologie à l’université américaine de DuPage, ne voit également rien d’inhabituel dans ce type de phénomènes. “En raison des mécanismes de propagation, principalement les braises et le vent, les motifs formés par le feu dans sa propagation peuvent être intriqués et complexes”, explique-t-il, image à l’appui. “On appelle cela un motif en “mosaïque”.

On observe par ailleurs que sur les images partagées par les comptes qui s’interrogent sur la préservation des objets bleus, certaines structures de couleurs différentes semblent également peu affectées par les flammes. La végétation, notamment, est presque intacte à proximité des structures bleues, laissant penser que c’est en réalité toute la zone les entourant qui a été préservée des flammes, peut-être en raison de l’intervention des pompiers.


Une vidéo publiée par un homme déjà adepte de cette théorie complotiste
Qu’en est-il à présent de la vidéo où l’on peut voir un homme en train de repeindre un toit en bleu ? Montre-t-elle, comme le prétendent certaines publications, que “les habitants” des zones touchées par les incendies se “mettent subitement à peindre le toit de leur maison en bleu” ?

En réalité, pas vraiment. La vidéo a initialement été publiée le 9 février par le compte TikTok @eduarjoselugo. Dans celle-ci, l’homme derrière ces images reste vague sur les raisons qui le poussent à repeindre son toit : “Ici, on peint le toit de ma maison, en bleu, comme le bleu du ciel… [...] Le mal ne touche pas ce qui est bleu, car le bleu est lié à Dieu”, affirme-t-il ainsi.
pintando la casita el techo azul con el famoso Rigo quinta región Valparaíso presente para todas sus contrataciones el rigo
♬ sonido original - eduarjoselugoMais dans d’autres publications du même compte, on comprend en réalité que cet homme est lui-même un adepte de la théorie conspirationniste selon laquelle les armes à énergie dirigée seraient derrière les incendies au Chili.
Dans cette autre vidéo, il partage en effet un extrait audio qui lie la préservation supposée des objets de couleur bleue durant les incendies à “la phase 1 du projet Blue Beam”. Celle-ci aurait “suscité d’inquiétantes rumeurs sur des attaques lasers supposées”.
Le projet Blue Beam est une autre théorie du complot autour de l’usage de lasers et d’hologrammes par les gouvernements, évoquée par la rédaction des Observateurs dans un précédent article.
Cette vidéo ne prouve donc pas que les habitants du Chili ont expérimenté la réalité de la théorie des “armes à énergie dirigée”, et repeignent par conséquent massivement leurs toits en bleu. Elle montre en réalité un seul homme, déjà adepte de cette théorie.
Derrière les accusations contre les armes à énergie dirigée, la remise en cause du changement climatique
La théorie conspirationniste qui pointe la responsabilité des armes à énergie dirigée dans différentes catastrophes naturelles est ancienne : elle se serait développée dans le sillage du 11 septembre 2001.
Mais elle refait surface de manière régulière ces derniers mois à chaque fois que se produit un feu de forêt particulièrement destructeur : elle a ainsi été mise en avant par différents comptes lors des incendies qui ont frappé le Canada en juin 2023, et au cours de ceux d’Hawaï, en août de la même année.
Dans ces deux derniers cas, la théorie des armes à énergie dirigée était notamment utilisée par ses adeptes pour nier que ces évènements extrêmes aient un rapport avec le changement climatique. Ce lien est pourtant bien établi par la communauté scientifique.
Dans le cas du Chili, là aussi, les partisans de la théorie des armes à énergie dirigée argumentent pour tenter de réfuter l’existence du réchauffement climatique. Cet utilisateur, par exemple, en réponse à une vidéo des dégâts alertant sur l’importance de lutter contre le dérèglement du climat, fait le lien avec les incendies à Hawaï et affirme que les “DEW” servent les “foutaises” sur le changement climatique des “monstres globalistes”.

Pourtant, le rôle du changement climatique a également été mis en évidence dans ces incendies. Les scientifiques pointent notamment du doigt la conjonction d’une importante vague de chaleur au Chili, d’une longue sécheresse et du phénomène El Nino. Des enquêtes sont par ailleurs en cours pour déterminer si certains départs de feu sont susceptibles d’être d’origine criminelle, en raison d’indices laissant penser que des produits inflammables ont été utilisés en certains endroits.