La possibilité d’un retour du phénomène climatique El Niño est de plus en plus prise au sérieux par les météorologistes, même s’il est encore trop tôt pour avoir une évaluation précise du risque. Certains modèles évoquent même la possibilité d’un "Super El Niño" . Des phénomènes qui peuvent avoir des conséquences importantes au niveau mondial.
El Niño de retour avant Noël ? La possibilité que ce phénomène climatique, connu pour avoir un impact mondial sur les températures, fasse une apparition en 2023 est de plus en plus évoquée jusque dans les plus hautes sphères météorologiques.
Un tel phénomène se caractérise par une hausse des températures à la surface de l'eau dans la partie est du Pacifique équatorial d'au moins 0,5 °C.
Ce retour d'El Niño est jugé quasiment certain pour des climatologues de l’institut allemand de Potsdam, tandis que leurs homologues américains ont estimé, mercredi 12 avril, qu’un épisode El Niño présentait 62 % de probabilité de se produire dès la fin de l’été.
Quant à l’Organisation météorologique mondiale, elle se montre plus prudente et n'avance qu'une probabilité de 55 % de l’apparition de ce phénomène avant la fin de l’année.
Un El Niño en moyenne tous les quatre ans
Mais il n’est pas seulement question d’un El Niño classique. Plusieurs modèles de prévision laissent entrevoir l’hypothèse d’un "Super El Niño" pour cette année, indiquent les analystes du Bureau australien de météorologie.
Les températures à la surface de l’eau dans la zone de naissance des El Niño connaîtraient alors des hausses excédant les 2 °C, indique Le Guardian. "Il n’y a eu que trois épisodes de 'Super El Niño' lors des quarante dernières années – en 1982-1983, 1997-1998 et 2015-2016", précise Jérôme Vialard, spécialiste de l’océanographie et directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement.
Les conséquences peuvent être terribles. Lors du dernier épisode, entre 2015 et 2016, des scientifiques américains avaient observé une multiplication des épidémies dans le monde, notamment de dengue et de choléra.
El Niño survient en moyenne tous les trois à quatre ans. Le dernier remonte à 2018-2019, ce qui suggère que son retour cette année ne serait pas une aberration statistique.
Ces phénomènes naissent de "l’accumulation d’eau chaude dans le Pacifique équatorial, qui va entraîner une hausse des températures à la surface dans une grande partie de l’océan Pacifique", explique Grégory Beaugrand, directeur de recherche au Laboratoire d’océanologie et de géosciences. "C’est un phénomène tellement puissant qu’il a une influence sur le climat sur tout le globe", ajoute Jérôme Vialard.
L’océan Pacifique peut, en effet, "être vu comme une sorte de climatiseur planétaire", explique ce spécialiste. Lorsqu’il y fait plus chaud, le thermomètre s’affole un peu partout. Ce n’est pas illogique puisque "l’océan Pacifique couvre une grande partie de l’hémisphère Sud, et une hausse des températures fait naturellement monter la moyenne globale", détaille Grégory Beaugrand.
Hausses des températures et des événements météo extrêmes
Mais El Niño n’est qu’une face de la pièce climatique qui se joue dans l’océan Pacifique. L’autre est La Niña, qui en est l’exact opposé, puisqu’il s’agit d’un épisode de refroidissement des eaux dans l’océan Pacifique.
En fait, "lorsque les températures de l’eau sont inférieures de 0,5 °C à la moyenne [dans la zone Est du Pacifique Sud] on estime qu’on entre dans un épisode de La Niña, si le température dépasse de plus de 0,5 °C la moyenne, cela devient un El Niño, et entre les deux c’est une phase neutre", résume Grégory Beaugrand.
Le Bureau australien de météorologie vient d’ailleurs d’indiquer, le 11 avril, la fin d’un très long épisode La Niña. Ces phénomènes s’étendent, en moyenne sur des périodes d'un à deux ans, "alors que cette fois-ci, il a duré trois ans, ce qui est presque inédit", indique Jérôme Vialard.
Le monde sort donc d’une longue parenthèse de trois ans durant laquelle les températures globales étaient tirées par le bas par La Niña. D’où une certaine crainte de voir arriver El Niño, puisque La Niña n’a pas empêché l’humanité de connaître des épisodes de chaleur record, comme au cours de l’été 2022 en France.
Mais il n'est pas uniquement question d'une hausse des températures. El Niño est associé à une série d’événements météorologiques extrêmes. Les premiers à en ressentir les effets seront probablement les habitants d’Amérique du Sud, vers la fin de l’année. C’est d’ailleurs de cette zone géographique que vient le nom de ce phénomène : ce sont des pêcheurs péruviens qui, au XVIIe siècle, constatant que la mer se réchauffait régulièrement vers les fêtes de fin d’année, ont commencé à l’appeler "El Niño", en référence à l'enfant Jésus.
En Amérique du Sud, "les conséquences sont particulièrement fortes, avec de très importantes pluies, des risques de glissements de terrain, et une chute de la productivité de l’océan", détaille Jérôme Vialard. En 1972-1973, un épisode El Niño avait entraîné la quasi-disparition de toute l’industrie de la pêche aux anchois au Pérou, pourtant essentielle au pays.
En Australie, El Niño augmente le risque de "sécheresse, qui aggrave celui des incendies", rappelle le Guardian. La sécheresse est aussi la compagne habituelle d’El Niño en Afrique, ce qui réduit dangereusement les rendements de l’agriculture et augmente la probabilité des famines, souligne l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).
"Barrière printanière de prévisibilité"
Un "Super El Niño" provoquerait "des modifications encore plus brutales des températures du globe", note Grégory Beaugrand. Des hausses qui "persistent même après la fin d’un 'Super El Niño' pour des raisons encore difficiles à comprendre", poursuit cet expert.
"Les impacts sont non seulement plus forts, ils peuvent aussi être différents", ajoute Jérôme Vialard. Ainsi, les épisodes de pluies torrentielles en Californie semblent être une "spécialité" des épisodes de Super El Niño.
Mais "il faut rester très prudent par rapport à l’éventualité d’un 'Super El Niño' car c’est un phénomène très difficile à anticiper à ce stade", assure Grégory Beaugrand.
Le printemps n’est de toute façon pas la période idéale pour évaluer le risque d’un retour d’El Niño avant la fin de l’année, assurent les experts interrogés par France 24. "On parle en effet de barrière printanière de prévisibilité. Il existe à cette période des phénomènes atmosphériques imprévisibles, tels que des coups de vent d’ouest, qui peuvent avoir un impact sur la probabilité de survenue d’un épisode d’El Niño", complète Jérôme Vialard.
Pour lui, il faudrait plutôt attendre la fin du printemps et le début de l’été pour se faire une idée plus précise de ce qui risque d’arriver ou non à partir d’octobre.