Les députés russes ont adopté mercredi une loi destinée à faciliter l'enrôlement dans l’armée. Les ordres de mobilisation seront désormais remis par voie électronique et non plus en main propre et les réservistes se verront immédiatement interdits de quitter le territoire. Des milliers voire des dizaines de milliers de Russes ont jusque là évité l’enrôlement en fuyant le pays ou en se cachant.
Ceux qui ne veulent pas combattre en Ukraine auront désormais du mal à y échapper. Les sénateurs de la chambre haute du parlement russe, la Douma, ont approuvé, mercredi 12 avril, un projet de loi autorisant l'envoi des ordres de mobilisation par voie électronique. Ce texte, validé en deux jours, attend désormais la signature du président Vladimir Poutine.
Selon cette nouvelle législation, les autorités n’auront plus besoin de retrouver les réservistes qui manquent à l’appel pour leur donner leur convocation à aller se battre en Ukraine en personne. Il leur suffira d’envoyer les documents via Gosouslougy, le portail numérique des services publics, utilisé par des millions de Russes pour leurs démarches administratives.
"Sera considéré comme réfractaire un citoyen mobilisable s'il a refusé de recevoir sa convocation ou s'il n'est pas joignable", a indiqué la Douma dans son communiqué.
Désormais, les Russes qui ne se présenteront pas au commissariat militaire sous 20 jours suivant leur mobilisation ne pourront plus travailler en tant qu'entrepreneur ou travailleur indépendant, contracter des prêts, acheter ou vendre logement et voiture.
Le Kremlin dément pour autant vouloir lancer une deuxième vague de mobilisation de réservistes pour le front ukrainien.
Pour mieux comprendre la signification de cette loi pour la capacité militaire russe – et pour les réservistes – France 24 s'est entretenu avec le lieutenant-colonel Joakim Paasikivi, professeur de stratégie militaire à l'Université suédoise de la défense et expert de l'armée russe.
France 24 : Comment les réservistes russes ont-ils pu échapper jusqu'à présent à l'appel sous les drapeaux ?
Joakim Paasikivi : L’une des méthodes consistait à éviter l'adresse officiellement enregistrée au bureau d'enrôlement et à ignorer l'obligation de mettre à jour son adresse en cas de déménagement.
L'autre consistait à quitter la Russie – des centaines de milliers de personnes l'ont fait – et à se rendre dans n'importe quel pays qui accepte de les accueillir. Certains sont allés en Europe occidentale, d'autres en Turquie. La plupart des Russes qui ont déserté se sont rendus dans les anciennes républiques soviétiques. Les plus riches sont partis aux Émirats arabes unis et dans d’autres pays similaires.
Cette nouvelle législation est-elle un signe du désespoir de l'armée russe ?
Dans une certaine mesure. Mais il s’agit aussi d’une amélioration assez logique d'un système devenu vraiment obsolète. À cause de cela, l'armée russe ne pouvait pas [facilement] enrôler ceux qui réussissaient à éviter les agents de recrutement militaire se présentant à l'adresse enregistrée.
Il y a eu des scènes très surprenantes postées sur les réseaux sociaux [pendant la mobilisation] en septembre, montrant des officiers de police et des agents de recrutement qui tentaient de passer par les fenêtres parce que les réservistes ne voulaient pas leur ouvrir la porte.
Avec un système numérique comme celui-ci, les autorités auront beaucoup plus de chances de trouver les Russes mobilisables. Dès lors que la convocation est envoyée, elles considèrent que la personne a été appelée sous les drapeaux.
Le Kremlin affirme avoir proposé cette nouvelle loi en réponse au "désordre" observé dans les bureaux d'enregistrement militaires à l'automne dernier. De quoi s'agit-il ?
Les adresses et autres informations au sein des bureaux d'enrôlement n'avaient pas été mises à jour depuis des années, à tel point que les agents n'arrivaient pas à joindre les personnes qu'ils essayaient de contacter.
Par ailleurs, de nombreuses personnes ont été convoquées par erreur. Il s’agit de personnes qui auraient dû être exemptées pour une raison ou une autre, y compris des profils ayant dépassé l'âge de combattre, trop malades ou des étudiants. Plusieurs responsables du recrutement militaire ont ainsi été sanctionnés. Il y a également eu une série de suicides au sein de cette machinerie, car les choses ne fonctionnaient tout simplement pas.
Ces problèmes n'ont pas seulement été mis en évidence par ceux qui ont été enrôlés à tort, mais aussi par Vladimir Poutine lui-même. Il a admis que 9 000 personnes avaient été enrôlées par erreur et qu'il fallait les renvoyer chez elles. Il avait besoin de montrer qu'il était actif sur cette question. Il s'est donc présenté comme le "bon tsar" capable de rétablir la situation et d'imputer les erreurs commises à des corps administratifs intermédiaires.
Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.