
Les Sages doivent se prononcer vendredi sur la constitutionnalité de la loi sur la réforme des retraites et sur la validité du projet de référendum d'initiative partagée (RIP). Trois options sont sur la table. Décryptage.
Jamais de mémoire de constitutionnaliste le Conseil constitutionnel n'avait suscité autant d'attente. Car c'est bien au 2 rue de Montpensier, au cœur de Paris, que se joue l'avenir de la réforme des retraites. Les Sages, présidés par l'ancien Premier ministre socialiste Laurent Fabius, doivent rendre le 14 avril "en fin de journée", deux décisions particulièrement scrutées. La première porte sur la constitutionnalité de la réforme des retraites. L'autre sur le RIP, le référendum d'initiative partagé. À quelques heures de la délibération des neuf membres du Conseil constitutionnel, les spéculations vont bon train. "Je ne veux pas ajouter un élément au concours Lépine des idées du moment", a déjà réagi l'un d'entre eux. De toute façon "la décision du Conseil risque d'être plus complexe que ce que certains avancent", conclut un autre.
Trois grands scénarios sont toutefois incontournables. Parmi les pistes possibles, les membres du Conseil constitutionnel peuvent se prononcer sur la validation totale du texte ou sur une censure totale ou partielle. "D'un point de vue politique et non juridique, il parait peu probable que les Sages n'opèrent aucune modification du texte, explique Bruno Cautrès, politologue et chercheur au CNRS. Toutes les juridictions rendent toujours leur décision en tenant compte du droit évidemment mais également en fonction du contexte. La contestation sociale peut aussi jouer un rôle".
Le scénario de la censure totale
Il paraît peu probable que le Conseil constitutionnel remette tout en cause. Depuis sa création en 1958, ses membres n'ont censuré totalement que 17 lois et ces invalidations ne portaient que sur des questions mineures. "Une censure totale reviendrait à dire à l'exécutif qu'il était en dehors des clous de la loi depuis le début du cheminement législatif", explique Bruno Cautrès. On imagine difficilement ce scénario."
C'est pourtant ce qu'espèrent les sénateurs socialistes qui ont déposé un recours. Ils estiment que le choix d'inscrire le projet de réforme dans une loi rectificative de la Sécurité sociale (LFRSS) n'est pas conforme à l'esprit de la Constitution car il n'a eu d'autres but que de détourner la procédure législative habituelle. Le recours à la procédure accélérée de l'article 47-1 de la Constitution n'a fait que contraindre le Parlement à adopter une réforme majeure en vingt jours alors qu'il n'y avait aucune urgence, selon eux. "Même lors de la crise sanitaire de 2020, aucune loi de financement rectificative de la Sécurité sociale" n'a été adoptée, plaident les sénateurs socialistes.
"D'un point de vue purement politique, les deux scénarios extrêmes qui consistent à dire que tout est parfait ou rien ne va, sont difficilement concevables. Le scénario le plus probable est aussi le plus complexe dans lequel certains passages seraient retoqués," poursuit le spécialiste de la politique française.
Les cavaliers législatifs
C'est là qu'entrent en scène les fameux "cavaliers législatifs", c'est-à-dire les mesures n'ayant rien à faire dans un texte budgétaire. Les textes de loi sur le "CDI seniors" ou "l'index des seniors" pour les entreprises de plus de 300, - qui ne présentent pas d'aspect financier -, pourraient bien passer à la trappe. Un moindre mal pour le gouvernement pour qui l'essentiel est que soit validé juridiquement la mesure phare du texte : le recul de l'âge légal de la retraite de 62 à 64 ans, qui cristallise les mécontentements.
Mais même sur les cavaliers législatifs, les interprétations ne sont pas aussi simples. Dans le cas de l'index des seniors par exemple, le texte prévoit que les entreprises qui ne se soumettront pas à la publication de l'index, se verront imposer des sanctions par le gouvernement, à hauteur de 1 % de la masse salariale, dont le montant pourrait être affecté à la Caisse nationale d'assurance-vieillesse. On peut donc y voir indirectement un lien financier.
Le RIP validé ?
Autre hypothèse : le Conseil constitutionnel pourrait rendre une décision digne du "en même temps", chère au président Macron en censurant certains passages de la réforme et en validant la procédure de Référendum d'initiative partagée (RIP) soutenu par la gauche. Ses initiateurs veulent en effet soumettre à une consultation nationale une proposition de loi afin que l'âge de départ à la retraite ne puisse pas dépasser 62 ans. Pour ce faire, il faut réunir de nombreuses conditions comme le recueil de signatures de parlementaires, de citoyens. "Il est tout à fait possible que le RIP soit validé, reprend Bruno Cautrès, mais dans cas, cela n'empêchera pas Emmanuel Macron de promulguer sa loi. Quant à mobiliser et recueillir près de cinq millions de signatures en neuf mois après la promulgation de la loi, cela ne me paraît pas du tout certain."
Une chose est sure, le rôle du Conseil constitutionnel reste uniquement juridique. "Ses membres n'ont pas vocation à faire de la politique, relève Bruno Cautrès. Son fonctionnement est complexe et sérieux. Il travaille en lien étroit avec le conseil d'État. Les membres du Conseil peuvent avoir des accointances politiques mais ils ne peuvent être entendus que sur des raisonnements juridiques". Un point sur lequel Olivier Rouquan est d'accord. "Les membres du Conseil constitutionnel sont assistés de magistrats et doivent observer les jurisprudences, leurs arguments ne peuvent relever que du juridique. Ils sont soumis à des procédures contraignantes".

Une procédure contraignante
Une fois qu'il est saisi, le Conseil constitutionnel examine les recours qui ont été déposés. Dans ce cas, quatre saisines ont été adressées aux Sages, l'un de la Nupes, un autre des sénateurs de gauche, un troisième du Rassemblement national ainsi qu'une "saisine blanche", c'est-à-dire sans motif particulier émanant de la Première ministre, Elisabeth Borne.
Le président du Conseil constitutionnel, Laurent Fabius, est ensuite tenu de désigner un rapporteur, chargé d'examiner le texte et les arguments avancés dans les saisines, afin d'établir un rapport. Pour ce faire, il peut s'entourer du service juridique du Conseil et recevoir les auteurs du recours pour entendre leurs arguments afin d'élaborer son rapport. La rédaction faite, il livre ses conclusions devant le collège du Conseil constitutionnel. Chacun des Sages prend la parole pour faire valoir ses arguments juridiques et prendre position contre ou en faveur d'un point du rapport. Viennent ensuite les délibérations : une seule décision ne peut être rendue. En cas d'égalité, la voix du président du Conseil constitutionnel est prépondérante. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il vote en dernier.
Les décisions du Conseil constitutionnel, une fois rendue publique, font foi. Elles ne peuvent l'objet d'aucun recours.