logo

Groupe Ryodan : ces fans de mangas persona non grata à Moscou comme à Kiev

Le groupe PMC Ryodan, qui se revendique comme un rassemblement des fans russes de mangas japonais et de Hunter x Hunter en particulier, est mêlé depuis plusieurs semaines à des affrontements violents dans plusieurs villes russes. Moscou les accuse d’être à la solde de Kiev. Mais la police ukrainienne les pourchasse aussi, les soupçonnant d’être des marionnettes de Moscou. 

Ils ont souvent à peine 20 ans, les cheveux longs et portent d’amples pulls noirs avec une araignée blanche dans le dos. Ces jeunes fans de mangas japonais au look très particulier affolent les autorités russes jusqu’au sommet de l’État ces derniers jours. 

Ce nouvel "ennemi de l’intérieur" s’appelle le groupe PMC (Private Military Company, qui est le sigle des groupes de mercenaires tels que ceux de Wagner) Ryodan. Depuis le 19 février, des vidéos d’eux en train de se battre contre d’autres jeunes dans des centres commerciaux dans plusieurs villes russes se sont multipliées sur la messagerie Telegram

Des centaines d’interpellations en Russie

Les autorités à Moscou et à Saint-Pétersbourg ont annoncé des centaines d’interpellations de "ryodanites" depuis plus d’une semaine, rapportent les médias russes

Dmitri Peskov, le porte-parole du Kremlin, a mis en garde fin février contre "cette pseudo sous-culture qui n’apporte rien à notre jeunesse". Il a ajouté que le gouvernement suivait ce groupe de près, suggérant que le pouvoir russe estimait que ces "mangaphiles" représentaient une menace pour l’ordre public.

Le responsable du comité pour la Jeunesse du parlement russe, Artem Metelev, a d’ailleurs annoncé son intention de rencontrer des membres de ce groupe de jeunes pour "trouver un terrain d’entente". De leurs côtés, les médias russes multiplient les articles énumérant, pour les uns, les signes de dérives qui doivent alerter les parents, tandis que d’autres accusent l’Ukraine d’utiliser ces ados "troublés" pour déstabiliser la Russie de l’intérieur.

L’apparente dérive violente de ces ados a de quoi surprendre les observateurs de la société russe. Le groupe Ryodan "est un mouvement de sous-culture au sein de la jeunesse dans les principaux pays slaves qui existent depuis des années et dont les membres sont unis par l’amour des mangas et anime et plus spécifiquement Hunter x Hunter", explique Jeff Hawn, spécialiste de la Russie et consultant extérieur pour le New Lines Institute, un centre américain de recherche en géopolitique.

Leur accoutrement et leur nom sont d’ailleurs autant des références directes à cet influent manga qui compte 37 tomes et existe depuis la fin des années 1990. Ryodan est, en effet, l’appellation en VO de la "Brigade fantôme", un gang mafieux qui est l’un des éléments centraux du manga et dont l’emblème est une araignée blanche.

Mais si dans la bande-dessinée japonaise le Ryodan apparaît souvent comme le méchant de l’histoire, le groupe éponyme qui existe en Russie - mais aussi en Ukraine et en Biélorussie - "n’a jamais fait preuve de violence, et a plutôt été décrit comme un rassemblement de geeks qui se revendiquent anticonformistes et apolitiques", résume Jeff Hawn.

Chasse aux sorcières très politique ?

Plusieurs de ces membres ont d’ailleurs tenté de rappeler sur les réseaux sociaux leur engagement pacifiste et ont dénoncé une "chasse aux sorcières" dont ils seraient actuellement les victimes. Ils ont aussi souligné que l’utilisation du sigle PMC était, pour eux, une manière ironique d’associer le groupe Wagner à un mouvement qui n’avait rien de violent.

La vidéo d'échauffourées qui a mis le feu aux poudres sur les réseaux sociaux a été filmée le 19 février dans l’un des plus grands centres commerciaux de Moscou, et montrent d’ailleurs quatre membres du groupe Ryodan violemment pris à partie par d’autres jeunes, a analysé le site d’investigation spécialisée sur la Russie Bellingcat dans une enquête publiée vendredi 3 mars.

À la suite de cet incident, d’autres affrontements ont eu lieu à Saint-Pétersbourg, Volgograd ou encore Novosibirsk. À chaque fois, les membres du groupe Ryodan font face au même type d’adversaires - des jeunes souvent au crâne rasé et en survêtement. "Ces anti-Ryodan ne semblent pas mus par une idéologie commune, même si au sein de certains groupes sur Telegram on retrouve une iconographie propres aux mouvements suprémacistes", souligne Bellingcat.

"Ils ont un style qui rappelle celui des Gobnik ou des hooligans russes, qui franchement sont bien plus violents que les Ryodan", note Jeff Hawn. Le terme Gobnik désigne un type de voyous russes issus de la classe populaire qui symbolise une certaine forme de masculinité en Russie.

Pour Jeff Hawn, cet acharnement contre les Ryodan est typique d’une nation qui "cherche des boucs émissaires" en temps de crise. Ces fans de mangas sont des cibles faciles "car avec leurs cheveux longs et leur look, ils sont très loin de l’idéal masculin promu par l’idéologie dominante en Russie", estime cet expert. 

Les anti-Ryodan s’en prennent d’ailleurs à la prétendue féminité de ces adolescents et leurs attaques sur les réseaux sociaux sont souvent accompagnées de propos homophobes. Dans ce contexte, il n’est pas surprenant que les médias officiels présentent les Ryodan comme des agents de Kiev et, par extension, de l’Occident. "Cette accusation permet aussi de renforcer le récit officiel selon lequel l’Occident est décadent et cherche à pervertir la jeunesse russe", souligne Jeff Hawn.

Mangaphiles non-grata aussi en Ukraine

Ironiquement, les jeunes du groupe Ryodan ne sont pas davantage les bienvenus en Ukraine. Des arrestations de membres de ce mouvement ont eu lieu à Kiev et à Kharkiv alors que les autorités les soupçonnaient de préparer des affrontements dans divers lieux publics. "Les autorités ukrainiennes ont présenté ce groupe comme un élément de la guerre psychologique russe", assure un Ukrainien en exil contacté par France 24 qui a préféré garder l’anonymat.

La police de Kharkiv a même ajouté que le FSB cherchait à recruter des jeunes ukrainiens pour attaquer les membres du groupe Ryodan afin de "susciter des émeutes en centre ville", a affirmé sur Facebook Volodymyr Tymoshko, le chef de la police de Kharkiv.

Le sort réservé en Ukraine à ces amoureux des mangas est "un test pour le pays", estime Jeff Hawn. Les autorités sont, d’après lui, tiraillées entre une paranoïa héritée de l’époque soviétique et une mentalité plus ouverte envers les sous-cultures comme les Ryodan.