
Frappés par une vague de pénuries de certains fruits et légumes, les supermarchés britanniques sont contraints de rationner les quantités distribuées. Une situation qui devrait encore durer au point de faire craindre une hausse des prix. Mais comment le pays a-t-il pu en arriver là ? Si la plupart des responsables évoquent les mauvaises conditions météorologiques et la hausse des prix de l'énergie, certains observateurs pointent du doigt le Brexit.
Pas plus de trois tomates, poivrons et concombres par personne. Alors que le Royaume-Uni est touché par une pénurie de certains fruits et légumes, plusieurs chaînes de magasins sont forcées de rationner le nombre de produits par client.
Le gouvernement britannique a expliqué ces pénuries par les conditions météorologiques extrêmes en Espagne et en Afrique du Nord – d'où proviennent la plupart des fruits et légumes consommés au Royaume-Uni à cette période – qui ont affecté les récoltes.
Le British Retail Consortium (BRC), syndicat professionnel qui représente les commerces de détail britanniques, l'assure : les pénuries devraient durer "quelques semaines" jusqu'à ce que la saison de croissance au Royaume-Uni commence et que les magasins trouvent d'autres sources d'approvisionnement.
Alors que les légumes manquent et que la ministre de l'Environnement a provoqué un tollé en suggérant aux Britanniques de consommer moins de tomates et plus de navets, les esprits s'échauffent autour des causes de cette situation. Si la plupart des versions érigent les conditions climatiques et la hausse des prix de l'énergie en principaux responsables de ces pénuries, un doigt accusateur est également pointé vers le gouvernement et le Brexit.
Conditions météorologiques extrêmes
Un temps exceptionnellement froid en Espagne, des inondations au Maroc, sans oublier les tempêtes qui ont fortement perturbé le transport des marchandises... L’ensemble de ces facteurs permettent notamment d'expliquer la pénurie subie par le Royaume-Uni qui, pendant les mois d'hiver, importe environ 95 % de ses tomates et 90 % de ses laitues d'Espagne et d'Afrique du Nord, selon le BRC.
Mais au Royaume-Uni aussi, le terrain était propice à provoquer une telle situation. Quelques mois plus tôt, plusieurs vagues de chaleur ont conduit au quatrième été le plus chaud jamais enregistré au Royaume-Uni, les températures dépassant pour la première fois les 40° C. En décembre, le pays a ensuite été frappé par une série de gelées aiguës et prolongées.
Difficile, donc, pour le Royaume-Uni de compter sur ses producteurs locaux, ou encore sur ceux des Pays-Bas, un autre de ses grands partenaires commerciaux alimentaires. Car pour faire face à la hausse des prix de l'électricité, les agriculteurs des deux pays ont dû réduire l’usage des serres pour se concentrer sur les cultures d'hiver.
Crise énergétique
Dans le sillage de la guerre en Ukraine, les Pays-Bas ont été durement frappés par la crise énergétique. "L'énergie était 200 % plus chère en septembre qu'au même mois l'année dernière", contre 151 % en août, a déclaré, en octobre dernier, l'Office central néerlandais des statistiques (CBS).
Cinquième économie de l'Union européenne (UE), les Pays-Bas, qui essaient de mettre fin à leur dépendance au gaz russe, ont désormais l'un des taux d'inflation les plus élevés d'Europe, rapporte Le Figaro.
Directeur général de Nationwide Produce, l'un des plus grands producteurs d'aliments frais du Royaume-Uni, Tim O'Malley, a déclaré mardi que les pénuries pourraient conduire à des hausses de prix dans les semaines à venir. Une annonce qui survient alors que les prix des denrées alimentaires augmentent déjà à leur rythme le plus rapide en 45 ans, grimpant de 16,7 % sur l'année jusqu'en janvier.
Les distributeurs britanniques devront alors trouver d'autres sources d'approvisionnement et miser sur les récoltes des producteurs locaux. La National Farmer's Union, principal syndicat agricole du pays, a demandé au gouvernement un plan de soutien aux producteurs. Selon l'AFP, 168 millions de livres, soit 190 millions d'euros, ont d'ores et déjà été versés aux agriculteurs britanniques.
Propriétaire d'un café près de Manchester, Rachael Flaszczak a expliqué à la BBC avoir du mal à se fournir en œufs, tomates, épinards et roquette. "Nous allons au supermarché pour essayer d'obtenir notre stock pour le lendemain, mais nous ne voyons que des caisses vides et renversées", raconte-t-elle, allant jusqu'à évoquer une toute autre cause. "Il n'y a pas de pénurie là-bas [dans l'UE], donc cela doit avoir quelque chose à voir avec le Brexit."
Une conséquence du Brexit ?
Selon l'Union nationale des agriculteurs (NFU), qui compte les règles du Brexit comme l'une des causes de la situation traversée aujourd'hui par le Royaume-Uni, les pénuries de certains fruits et légumes pourraient être la "partie émergée de l'iceberg".
Dans les colonnes du Guardian, le vice-président de la NFU a estimé que la pénurie était aussi probablement une conséquence indirecte de la décision du Royaume-Uni de quitter l'UE.
"C'est vraiment intéressant qu'avant le Brexit, nous ne nous approvisionnions pas, ou très peu, au Maroc", explique-t-il. "Mais nous avons été obligés d'aller chercher plus loin, et maintenant ces chocs climatiques de plus en plus fréquents ont eu un impact réel sur les aliments disponibles sur nos étals".
Une position partagée par plusieurs experts comme Justin King, ex-PDG de Sainsbury (deuxième plus grande chaîne de supermarchés au Royaume-Uni), qui a déclaré à la radio LBC que le secteur des supermarchés a été "horriblement affecté" par le Brexit.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes européens ont partagé des photos de leurs rayons de supermarchés bien fournis pour mettre à nu la réalité des récentes pénuries alimentaires outre-Manche.
Sur Twitter, le chanteur du groupe de pop britannique Simply Red, Mick Hucknall, a appelé ses abonnés d'Europe continentale à publier des photos de leurs rayons de supermarchés, blâmant, lui aussi, implicitement, le Brexit.
"Par souci d'équité, certains de nos amis d'Europe continentale peuvent-ils publier des photos de leurs pénuries alimentaires dans les supermarchés ?"
Beaucoup – notamment en France – ont accédé à sa demande.
For the sake of balanced fairness can some of our mainland European friends pls post photos of their supermarket food shortages? Tx in advance. #BrexitBenefits
— Simply Red (@SimplyRedHQ) February 21, 2023Analysant les facteurs responsables des pénuries, la présidente de l'association Save British Farming, Liz Webster, a déclaré : "La raison pour laquelle nous avons des pénuries alimentaires au Royaume-Uni et qu'ils n'ont pas de pénuries alimentaires en Espagne – ou ailleurs dans l'Union européenne – est le Brexit, et aussi à cause de ce gouvernement conservateur désastreux qui n'a aucun intérêt dans la production alimentaire, l'agriculture ou même l'approvisionnement alimentaire".
Dans une interview donnée à la LBC, cette dernière affirme que la seule solution aux pénuries alimentaires est de revenir dans le marché unique et l'union douanière "le plus rapidement possible".
'It gives me sleepless nights Nick.'
Blaming the government for 'the Brexit they chose', @LizWebsterLD says the only solution to food rations is getting back into the single market and the customs union 'as quickly as possible'.@NickFerrariLBC pic.twitter.com/DuWk38ZMjl
Interrogé dans Farming Today sur BBC Radio 4, Jim Monaghan, spécialisé dans la science des cultures, se montre plus nuancé. "Des entreprise à qui j'ai parlé, aucune ne m'a dit que le Brexit avait facilité les choses. Il y a toute une gamme d'opinions sur l'étendue du problème : trouver de la main-d'œuvre est devenu plus difficile, tout comme les échanges de récoltes entre l'Europe et le Royaume-Uni, mais il y a aussi d'autres problèmes qui ne sont pas liés au Brexit", a-t-il déclaré. Parmi ceux-ci, les conditions climatiques désastreuses et la crise énergétique, mais aussi les problèmes d'acheminement provoqués par les récentes grèves.
La plupart des grossistes, importateurs et détaillants britanniques semblent balayer l'hypothèse Brexit, arguant que des pénuries sont constatées également en Irlande, pourtant membre de l'UE, rapporte la BBC. Pour eux, sont davantage en cause une production nationale plus faible, des chaînes d'approvisionnement plus complexes et un marché davantage sensible aux prix.