
Une photo fournie par la Fondation Narges Mohammadi le 2 octobre 2023 de la militante iranienne des droits humains Narges Mohammadi. © AFP
Les Iraniennes sont de plus en plus nombreuses à se montrer tête nue en public, malgré la violente répression ayant frappé en 2022 et 2023 le mouvement de contestation "Femme, Vie, Liberté", après la mort en détention de la jeune Kurde Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour non-respect du strict code vestimentaire en vigueur.
Nattes, cheveux bouclés ou peroxydés s'affichent désormais ouvertement dans l'espace public, cohabitant avec des femmes arborant le voile ou le tchador. Si ces images d'Iraniennes dévoilées et souriantes peuvent donner l'illusion d'une liberté retrouvée, la répression s'est toutefois intensifiée ces derniers mois, notamment depuis la guerre de douze jours contre Israël en juin 2025, préviennent les organisations de défense des droits humains.
Plus de 1 400 exécutions ont déjà eu lieu cette année et l'Iran continue de mener une répression interne brutale, selon des ONG de défense des droits humains.
Symbole de cette dérive, la prix Nobel de la paix 2023 Narges Mohammadi, qui était en liberté provisoire depuis décembre 2024 et ne se couvre jamais la tête, a été de nouveau interpellée le 12 décembre à Mashhad après avoir pris la parole lors d'une cérémonie en hommage à l'avocat Khosrow Alikordi, retrouvé mort début décembre.
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Des ONG s'inquiètent de sa santé après son arrestation violente. Narges Mohammadi affirme avoir été frappée à coups de matraque par la police lors de son interpellation. Les autorités iraniennes refusent qu'elle bénéficie d'un examen médical indépendant, a alerté mardi 17 décembre sa famille.
"Elle a des ecchymoses au cou et au visage", a affirmé à des journalistes à Paris par liaison vidéo l'un de ses frères, Hamid Mohammadi, installé en Norvège.
Des militants rassemblés pour dénoncer un "assassinat politique"
"Lors de la cérémonie commémorative, les militants des droits de l'homme se sont rassemblés pour protester contre ce qu'ils considèrent comme un assassinat suspect et potentiellement commandité par l'État", a indiqué sous couvert d'anonymat un membre de l'équipe de Narges Mohammadi au Guardian.
Maître Khosrow Alikordi, 45 ans, avait notamment défendu des personnes arrêtées lors de la répression des manifestations de 2022. Son corps a été retrouvé le 5 décembre, et les autorités locales ont affirmé qu'il avait succombé à une crise cardiaque. Mais plusieurs groupes de défense des droits humains réclament une enquête les circonstances de sa mort. L'ONG Iran Human Rights, basée en Norvège, a affirmé qu'il y avait "de très sérieux soupçons d'un meurtre d'État".
Selon les autorités iraniennes, 39 personnes ont été arrêtées lors de ce rassemblement. D'après l'avocate parisienne de la famille Mohammadi, Chirinne Ardakani, "au moins 50 personnes" sont "détenues arbitrairement" depuis cette cérémonie, qui a rassemblé environ 1 500 personnes, selon elle.
D'autres familles de détenus s'inquiètent pour l'état de santé de leurs proches, rapporte le Centre pour les droits humains en Iran.
Sur des images de la cérémonie, on voit Narges Mohammadi - sans le voile obligatoire pour les femmes dans l'espace public en Iran - montant sur une voiture pour s'adresser à une foule qui scande des slogans hostiles aux autorités. S'adressant à la foule, elle lance un chant au nom de Majidreza Rahnavard, un jeune de 23 ans, pendu publiquement par les autorités iraniennes en 2022 après avoir été accusé d'avoir tué deux membres des forces de sécurité durant les manifestations "Femme, vie, liberté".
Le spectre d'un mouvement collectif
Pour Jonathan Piron, historien spécialiste de l'Iran pour le centre de recherche Etopia à Bruxelles, l'arrestation de Narges Mohammadi dans ce contexte n'est pas surprenante. "Son opposition reste forte. Elle est une figure très importante, connue en Iran, qui vit sur place, et qui représente aussi une opposition réelle, à l'intérieur du pays."
Arrêtée pour la dernière fois en novembre 2021 et emprisonnée jusqu'à sa remise en liberté pour des problèmes pulmonaires en décembre 2024, Narges Mohammadi a passé de nombreuses années derrière les barreaux mais n'a jamais cessé de militer pour les droits humains et la défense des prisonniers politiques.
Parmi les personnes arrêtées aux côtés de la prix Nobel, figuraient des militants de premier plan, comme la journaliste Sepideh Gholian, avec qui Narges Mohammadi a été détenue par le passé. Militante en faveur des droits des travailleurs, cette jeune femme chevronnée s'est illustrée à plusieurs reprises, notamment en se promenant tête nue tout en scandant des slogans contre le guide suprême iranien, Ali Khamenei, à sa sortie de prison en mars 2023 quelques heures après avoir été libérée.
L'arrestation de tous ces militants rassemblés peut s'expliquer par une volonté des autorités iraniennes de "couper court à toute convergence des luttes", analyse Jonathan Piron. "Le régime craint d'avoir une espèce de mouvement collectif qui s'organise et qui devient dangereux parce qu'il peut proposer un message politique".
Selon le procureur de Mashhad, Hassan Hemmatifar, les personnes présentes ont été arrêtées pour avoir incité à chanter des slogans "contraires aux normes". Mais depuis sa prison, Narges Mohammadi a indiqué à sa famille être accusée de "coopérer avec le gouvernement israélien", une charge qui peut être passible de la peine de mort en République islamique d'Iran.
Répression des femmes voilées en pause ?
Les arrestations d'opposants politiques sous ce motif se sont multipliées depuis la guerre des douze jours contre Israël. "Le régime a renforcé sa main mise sur les opposants politiques car il se sent affaibli. Il y a aussi une paranoïa qui s'est installée à l'intérieur du régime, concernant la présence d'espions, de relais pour Israël, qui a abouti vraiment à des centaines d'arrestations. On ne sait pas très bien où sont certaines personnes qui sont détenues", raconte Jonathan Piron.
Pour ce chercheur comme pour d'autres experts, la priorité actuelle du régime est de neutraliser les oppositions politiques et de resserrer son contrôle. La question du port du voile n'est pas sa priorité. Mais "il y a un réel risque d'un retour d'une répression encore plus dure", estime Roya Boroumand, directrice du Centre Abdorrahman Boroumand pour les droits humains en Iran, une ONG basée aux États-Unis.
"Sur la question du voile, la bride semble un peu relâchée, ce qui amène à penser que c'est une victoire et qu'il n'y aura pas de retour en arrière. Mais la législation est encore en place", conclut Jonathan Piron.
Avec AFP
